INTRODUCTION Le 21 juillet de l’année i833, un brick de guerre appareillait dans le port de Dunkerque, pour se diriger vers les mers du Nord; et les habitans de la ville saluaient à son départ et accompagnaient de leurs vœux ce bâtiment qui allait protéger leur pêche parmi des peuplades étrangères et explorer des côtes lointaines. C’était le brick la Lilloise, commandé par M. Jules de Blosseville. Tout jeune encore, M. de Blosseville s’était acquis un nom honorable dans la marine. Elève de première classe, il avait fait, en 1822, avec M. le capitaine Duperr ey, le beau voyagede la Coquille. Enseigne de vaisseau, il parcourut, en 1827, sur la Chevrette, les mers de l’Inde. En 1828, il fut nommé lieutenant de vaisseau, puis il passa trois années dans l’Archipel. £)ès son premier voyage, il s’était distingué par son amour de la science, par son zèle pour le travail. M. Lesson, membre de l’Institut, qui était attaché comme naturaliste à l’expédition de la Coquille, a écrit sur lui quelques lignes que nous prenons plaisir à citer. « En trois années-de mer, dans les passages ies moins cônnus du globe, Blôsseville montra à quel degré d’intelligence du métier, de hardiesse de coup d’œil et de connaissances pratiques, son heureuse aptitude pouvait le faire parvenir. C’est dans un carré d’état-major, par le contact perpétuel des individualités, par le frottement des angles de chaque caractère que s’établit la.plus juste appréciation de là valeur intrinsèque d’un homme; et l’opinion des camarades et de ses chefs fut unanime. Pour M. de Blôsseville, .riche d’illusion et de courage, il restait in différent à ces rivalités haineuses, à ces ombrageux dénigremens, qui, à bord, se font jour dans les chuchotteries de l’amour- propre et de la jalousie. Après les heures de service il se renfermait dans une étroite cabine; et là, en présence des travaux des grands navigateurs et des cartes des plus célèbres hydrographes de l’Europe, il amassait un trésor de science; hardi et aventureux, il était toujours le premier à s’élancer avec les sauvages, à les accompagner seul, souvent sans armes, dans leurs pirogues et dans leurs villages. Que de fois il est resté plusieurs jours à leur merci, loin du bord et de toute protection! Sa confiance ou plu?- tôt sa témérité n’a jamais été trompée, tant son coup d’œil jugeait avec sagacité du degré de confiance qu’il devait accorder à ces hommes. Seul, avec une boussole de poche, un léger plomb de sonde maniable, un compas portatif, son sextant, dans des pirogues de sauvages, il levait le plan des côtes, sondait les havres et enrichissait l’expédition de travaux qu’une susceptibilité inquiète ne lui avait pas permis de faire avec les embar cations du vaisseau. C’est ainsi qu’il a levé les plans, aujourd’hui gravés, de l’île de Maurua, la grande baie des Iles, etc., etc., travaux aussi consciencieux que remarquables. Dans toutes les relâches il s’abouchait avec les capitaines étrangers, lisait leurs journaux, tirait un savant parti de leur expérience; et c’est à de telles sources qu’il a puisé les matériaux des deux mémoires qu’il a publiés sur la Nouvelle-Zélande, et en tête desquels, avec cette candide loyauté, apanage de son beau caractère, il a placé le nom du pilote Edwardson, qui les lui avait communiqués, comme pour les îles de l’Archipel de la mer Mauvaise, découvertes par le capitaine Dibbes, il les a publiés sous le nom du marin anglais. A cet âge, qui ne connaît pas l’égoïsme, Jules de Blosseville se livrait avéc la même ardeur à la récolte des objets d’histoire naturelle; il les remettait aussitôt à ceux chargés de les rassembler dans l’intérêt de la mission, tandis que plus d’un de ses collègues les conservait pour les vendre à son arrivée à Paris (i). » France littéraire% novembre i836. Dans le voyage de la Chevrette, cette ardeur pour le travail, cette aptitude pour la science, ne se démentirent pas. On vit alors M. de Blosseville faire tour à tour avec une rare précision des observations magnétiques, des observations de météorologie et de marée, des recherches géologiques. M. Arago présenta en 1829, à l’Institut, un rapport sur le résultat scientifique de ce voyage ; le nom du jeune lieutenant de frégate s’y trouve cité à chaque page. De retour à terre, M. de Blosseville travaillait à mettre en ordre ses notes de voyage ; il recueillait ses souvenirs; il racontait ses émotions. Dans sa ville natale de Rouen, comme sur le banc de quart de sa frégate, il poursuivit sans cesse ses études de marin. Quand il avait achevé son journal de bord, il reprenait l’histoirè des grandes découvertes et la vie des navigateurs célèbres. Nousavonslude lui,dans là. Revue des Deux- Mondes (1) deux articles qui nous ont vivement intéressé : l’un sur Georges Powell, (1) Tomel, ire série, p. 3a4et43i. capitaine du Rambler, qui fut tué par les insulaires de Varnoo; l’autre sur l’histoire des explorations de l’Amérique. Le premier est le récit naïf d’üne aventure romanesque, dramatique, dont M. de Blosseville connaissait parfaitement le héros. Le second forme une œuvre sérieuse, étudiée, écrite avec talent et chaleur. On voit que celui qui a tracé ces tableaux de voyage s’était passionné pour les pilotes aventureux dont il raconte l’histoire. S’il eût vécu au i5e et au 16e siècle, au temps où l’on comptait chaque année par une découverte, il eût été de ceux qui se jetaient dans un frêle bateau pour s’en aller au-delà des mers chercher une rive inconnue, planter leur étendard dans un nouveau monde. A cette époque, M. de Blosseville eût voulu tenter une longue exploration dans la Nouvelle-Zélande. Une rencontre fortuite tourna ses pensées d’un autre côté et décida de son sort. En I832 , il trouva à Patras un officier de la marine anglaise, dont il avait fait la connaissance à Paris dans le salon de M. Arago; c’était le capitaine Franklin. WTSOIWGTJWi TW Pendant trois années de suite (j), M, Franklin avait navigué dans les mers polaires, En l’entendant raconter ses excursions pé-* rilleuses, ses belles découvertes, M, de Blosso* ville se passionna pour les mémos dangers et ambitionna ]a même gloire. Il revint ep France, étudia avec ardeur l’histoire de la navigation septentrionale, l’histoire du Groenland, et demanda à s’en aller dans le Nord. Il avait d’abord obtenu l’autorisation de s’embarquer sur un baleinier français pour visiter la baie de Baf- fins. Mais on n’en équipa cette année-là aucun ; il résolut alors de partir avec un navire anglais. Les entraves qu’il rencontra dans l’exécution de ce projet l’obligèrent à y renoncer ; il crut devoir alors abdiquer toutes ses espérances; il se résigna à retourner au port. Déjà il avait pris congé de s famille, déjà il avait dit adieu à ses amis, il allait se mettre en route pour Toulon, quand lachambrede commerce de Dunkerque pria , le ministre de la marine d’envoyer sur les (i) x825, 1826, 1827. côtes d’Islande un bâtiment de guerre pour protéger la pêche. Le même jour l’amiral de Rigny accueillit le voeu de la députation de Dunkerque et signa l’ordre qui appelait M. de Blosseville à prendre le commandement du navire désigné pour cette nouvelle navigation. M. de Blosseville partit, et il emmena avec lui trois officiers jeunes aussi et instruits : MM. Lepelletier d’Aulnay, Rulhière, Lieutier ; M. Garnier l’accompagnait en qualité de chirurgien, et M. Lancrenon en qualité d’agent comptable. Nous citons avec tristesse les noms de ces hommes dont le sort est maintenant un douloureux mystère. Peut-être la France les citera-t-elle un jour avec orgueil ! Au mois d’août i833, M. de Blosseville adressa au ministère de la marine un rapport sur ses premières excursions, avec un croquis de la côte orientale du Groenland qu’il avait visitée. Il était alors à Vapna- fiord (i); il touchait à l’époque de l’année (i) Côte orientale d’Islande. où, selonM.de Lœvenhorn, il est moins difficile d’atterrir au Groenland. Il aurait voulu débarquer à terre, essayer de pénétrer jusqu’au lieu occupé par les anciennes colonies danoises;' il était heureux, plein d’espoir. La dernière lettre que son frère a reçüe de lui est datée du 6 août. Depuis ce temps, on n’a plus eu aucune nouvelle de la HUoise, aucune nouvelle des personnes qui composaient l’équipage. En i834, le brick la Bordelaise reçut l’ordre d’aller a la recherche de nos malheureux compatriotes. 11 partit au printemps, aborda en Islande, et revint au mois de septembre sans rapporter aucun renseignement. L’année suivante, M. Tréhouart prit le commandement de la corvette la Recherche, * et partit de Cherbourg au mois d’avril pour faire les mêmes perquisitions. Le 11 mai, il était en Islande. MM. Gaimard et Robert, qui l’accompagnaient, débarquèrent à Rey- kiavik, et parcoururent une grande partie du littoral, dans un but scientifique, et dans le but de chercher à recueillir dans la cabane \ du pêcheur, dans la chaumière du paysan, quelques notions sur la Lilloise, Pendant ce temps, M. Tréhouart poursuivait ses investigations sur les côtes nord- ouest et nord de l’Islande. Le ier juillet il s’avança du côté de la banquise qui s’étend du cap Langanœs au cap Farvel; il côtoya pendant plusieurs semaines cette ligne dé glaces à quelques encâblures de distance; il voulait pénétrer au milieu de ces montagnes flottantes. Plus d’une fois il crut y découvrir un passage, mais, après avoir louvoyé avec peine au milieu d’un bassin tortueux, il se voyait tout à coup arrêté par un nouveau rempart, obligé de revenir en arrière, ou de chercher une autre issue. Après toutes ses tentatives et tous ses efforts, il se trouva à quinze lieues de distance de la plage découverte sur la côte orientale du Groenland, par le capitaine Graah. Mais cette découverte, le capitaine Graah l’avait faite dans des canots d’Esquimaux, et laRe- cherche ne pouvait suivre les mêmes défilés, passer par la même route. Le cap Farvel était bloqué par les glaces. L’été touchait à sa fin. M.Tréhouart qui, dans cette pénible exploration, avait fait preuve d’une fermeté rare, craignant d’exposer à des périls presque certains l’équipage qu’il commandait, se décida à revenir en F rance. T out ce voyage s’était fait sans qu’on recueillît aucun indice sur la Lilloise. En i836, la Recherche appareilla de nouveau pour l’Islande, et M. Tréhouart qui, l’année-précédente, avait si noblement rempli son devoir, devait commander encore cette expédition. On résolut alors de donner au voyage de la Recherché un nouvel intérêt, en y adjoignant une mission scientifique. Les Danois, les Suédois, les Anglais avaient tour à tour visité l'Islande pour étudier ses monumens littéraires, ses phénomènes naturels. Les Allemands, les Hollandais avaient publié sur la topographie, l’histoire et la mythologie de l’Islande, des livres d’un haut intérêt; et nous, nous ne connaissions encore cette contrée hyperboréenne que par les récits des voyageurs étrangers, par des traductions. Un seul Français, M. de Trémarec, avait tenté de les décrire, mais il y avait passé à la hâte, et son récit ne présente qu’un petit nombre de notices fort courtes et fort incomplètes. Un autre Français, M. de la Pereyre, pendant un séjour qu’il fit à Copenhague, recueillit auprès des savans danois des notions sur l’Islande; mais son livre n’est autre chose que le résultat de quelques conversations inachevées, de quelques lectures superficielles et souvent fautives. Au mois de septembre i835, MM. Gai- mard et Robert étaient revenus en France avec une riche moisson d’objets d’art et d’histoire naturelle; ils avaient ouvert le livre de l’Islande à la première page, ils voulaient voir les autres; ils avaient gravi la cime du Snæfels, ils voulaient connaître celle de l’Hécla; ils avaient étudié les mœurs, la physionomie, l’aspect de la nature sur tout son littoral , ils voulaient continuer leurs observations de l’autre côté. Leurs récits in- téressans, curieux, sincères, ne tardèrent pas à faire des prosélytes. Au mois de mai i836, cinq passagers nouveaux allaient suspendre leiirs hamacs aux lambris de la Recherche. Ils faisaient partie d’une commission organisée par l’ordre de M. le ministre de la marine, destinée à étudier l’Islande sous ses divers points de vue, et présidée par M. Gai- mard, qui le premier avait conçu l’idée de cette expédition, et qui, pendant tout le temps qu’elle a duré, a fait preuve d’un grand dévouement et d’un zèle infatigable. M. Robert devait poursuivre ses études géologiques; M. Lottin était chargé des observations d’aiguille aimantée; M. Angles, des observations de météorologie; M. Meyer, à qui nous devons plusieurs beaux tableaux de marine, emportait sa palette, et M. Bé- valet devait dessiner les objets d’histoire naturelle. L’Académie française voulut bien m’accorder un mandat littéraire : je le reçus avec reconnaissance. Il est bien vrai cepen- v dant que j’aurais pu trouver, à Paris, à la Bibliothèque du Roi, une grande partie des trésors poétiques que j’allais chercher si loin. Il est bien vrai aussi que toute la littérature islandaise a été transportée à Copenhague, que les savans danois l’ont fouillée jusque dans ses derniers replis, et que, quand l’étranger s’en irait de village en village, de maison en maison, quêter les manuscrits, il ne trouverait pas une malheureuse strophe, pas une pauvre saga qui n’eut été déjà recueillie par Màgnussen, commentée par Rafn, analysée par Muller. Mais c’est une chose importante de voir le pays dont on étudie l’histoire, de vivre parmi les hommes dont on veut connaître la langue. Il y a entre la poésie d’un peuple et la terre qu’il habite, et la nature qui l’entoure, et le ciel sous lequel il vit, une alliance intime, alliance que peu de livres révèlent, et qu’il faut avoir observée sur les lieux mêmes poür la bien sentir. Ainsi je partis âvec joie, et à ceux qui me parlaient des sagas de la Bibliothèque du Roi, et des manuscrits amassés à Copenhague, je répétais ces vers de Goethe: Wet das Dichten will yerstehen Muss in’s Land der dichlung gehen. Wer die Dichter wiil yerstehen Mus in Dichter’s Lænde^ gehen (1). (i) Celui qui veut comprendre la poésie doit aller dans la terre de la poésie. Celui qui veut comprendre les poètes doit visiter le pays des poètes* ( Le Divan. ) Quelques jours après notre arrivée en Islande, la Recherche quitta Heÿkiavik. Elle visita les diverses parties de l’île où abordent les pêcheurs français et se dirigea vers la côte orientale du Groenland. Je dois a à l’amitié de M. Méquet, qui a fait avec distinction eette campagne, en qualité de lieutenant de frégate, quelques notes sur le voyage de la Recherche à Frederickshaab. Je crois pouvoir le8 placer dans cette introduction. Le ag juin, l’équipage s’aperçut du voisinage des glaces, à la couleur de la mer verte et foncée. Le ciel était, pur, l’horizon étendu. A midi, la vigie signala une glace flottante. Une heure après on en comptait un grand nombre. La nuit vint ; l’obscurité était profonde ; le bâtiment mit en panne. Le lendemain, au lever du soleil, on découvrit du haut des mâts l’immense espace occupé par la banquise; cette banquise n’est point, comme on se le figure généralement, une mer de glaces Unie, compacte. C’est un amas de blocs gigantesques chassés par la tempête, emportés par le courant, qui flottent comme les vagues, s’agglomèrent, s’attachent l’un à l’autre, et quelquefois se disjoignent. A une certaine distance, on ne distingue pas, il est vrai, leurs aspérités, et toutes ces lignes échancrées, tortueuses, irrégulières, apparaissent comme une surface plate et continue. Mais à mesure qu’on en approche, ces glaces se dessinent sous les formes les plus étranges, les plus variées. Les unes projettent dans les airs leurs pics aigus, comme des flèches de cathédrales ; d’autres sont arrondies comme une tour, crénélées comme un rempart. Celle-ci ouvre ses flancs aux flots impétueux qui la fatiguent, elle se creuse, se mine, s’élargit comme une voûte, et ressemble à une arche de pont; celle-là se dresse fièrement au mi- - lieu des autres comme un palais de roi ; elle a ses murailles de granit, sa colonnade, sa terrasse italienne, et le soleil qui la colore, la rend éblouissante comme un de ces temples d’or où demeuraient les dieux Scandinaves. Souvent aussi au milieu de cet océan désert, sous ce rude ciel du nord, on retrouve des formes de végétation empruntées à d’autres olimats. On aperçoit des plantes qui semblent se balancer sur leur tige; des arbres qui penchent vers les vagues leur feuillage ; des animaux qui dorment sur leur lit de glace. Quelquefois les Européens ont vu dans cette nature fantastique l’image des lieux qu’ils venaient de quitter. Des maisons construites symétriquement, alignées comme dans une rue, leur apparaissaient de loin. Des bancs à dossier semblaient les appeler à prendre du repos; des tables se dressaient devant eux. Ni les bouteilles au long col, ni les verres, ni la nappe effrangée, rien n’y manquait. Mais un instant après l’image trompeuse disparaissait comme par enchantement, et une autre image venait la remplacer Ce qui ajoutait encore à l’effet produit par tant de points de vue bizarres, c’est l’admirable couleur de ces glaces, c’est le bleu transparent, le bleu limpide et velouté qui les revêt. A côté de ces tons de couleurs si purs, si lumineux, l’azur du ciel paraissait pâle et l’émeraude de la mer était terne. Mais pour ceux qui devaient la franchir, b cetteb àhquise avait un aspect effrayant. Dé loin le regard du matelot contemplait ces remparts de glace, élevés l’un derrière l’autre comme des chaînes de montagnes. On n’entrevoyait pas un espace libre, pas un chemin ; seulement de temps à autre une gorge étroite comme un défilé. C’était là qu’il fallait s’engager, c’était là qu’il fallait faire manœüvrer lé bâtiment. Le capitainfe, M. Tréhouart donna l’exemple du courage et de la patience ; il était le chef de cette périlleuse expédition; il en devint l’ame et la vie. Pendant tout le temps qùé la Recherche passa dans les glaces, on le vit nuit et jour au milieu de l’équipage, calculant les écueils, dirigeant les manœuvres, gouvernant soh navire avec la sagacité d’un vieil officier et l’intrépide énergie d’un vrai soldat. Si la Recherche, n’a pas péri dans la banquise, c’est à lui qu’on le doit, c’est au zèle qu’il avait su communiquer à tous ceux qui l’entouraient. Pendant huit jours, la Recherche louvoya au milieu des passages sans issue, des gorges perfides de la banquise, à chaque instant INTRODUCTION. XIX arrêtée par une nouvelle montagne, surprise par un nouveau danger. Un matin^, une glace flottante vint la heurter, et lui enleva quatre pieds de son étrave. Il n’en fallait guère plus pour la faire sombrer; elle arriva cependant à vingt lieues de terre, mais les glaces l’empêchaient d’aborder. Depuis plusieurs jours, un brouillard continuel n’avait pas permis de prendre la hauteur du soleil. Des courans, dont on ne peut calculer la lorce, entraînaient le bâtiment, et les officiers ignoraient leur véritable position. Un coup de vent du nord leur fraya un passage. Les glaces furent emportées avec vitesse. Le 5, au matin, la Recherche manœuvrait plus à l’aise; les blocs flottants avaient disparu. II ne restait autour du bâtiment que des masses gigantesques, les unes semblables à des montagnes, d’autres à des édifices en ruines. Le soir un cri de joie retentit au haut des huniers. Un matelot venait d’apercevoir la terré du Groenland. Le calme arrêta le navire pendant la nuit, mais le lendemain la brisé fraîchit, et après quelques heures de navigation on découvrit très bien la côte élevée, spacieuse et couverte de neige. Cependant personne ne connaissait le point où il fallait aborder; ôn tira quelques coups de canon dans l’espoir d’attirer des Groënlandais, puis on attendit. Tout à coup l’œil exercé des marins distingue à l’horizon un point noir ; ce point grossit, S’avance, et l’on aperçoit un Esquimau dans sa pirogue. Il s’approche avec une sorte d’hésitation, mais aux signes d’amitié qu’on lui adresse il se rassure et vient se placer au pied du bâtiment. Les officiers lui crient : Frederikshaab! et il répond Pa-mi-ut. Impossible de se comprendre. Le capitaine lui remet une lettre du gouverneur d’Islande pour le chef de l’établissement danois de.Frederikshaab, lui montre le rivage et lui fait signe de la porter. L’Esquimau baisse la tête, agite sa rame et le voilà parti. En quittant le bâtiment il veut montrer son adresse: il se fait chavirer dans sa pirogue, il se relève d’un coup de rame; il lance un harpon à une longue distance, puis il fuit avec la rapidité de l’oiseau. Douze heures se passent, douze heures d’anxiété. Le capitaine se demandait si l’Esquimau l’avait compris, et après cette journée d’attente, ne le voyant pas revenir, il allait aviser au moyen de reconnaître la terre, quand on vit arriver un grand nombre de kaiak. Un Groënlandais apportait une lettre du chef de l’établissement danois ; il devait servir de pilote à nos compatriotes, et la Recherche entra dans le bassin de Frede- rikshaab, tantôt à la voile, tantôt remorquée patf son embarcation ou par des pirogues groënlandaises qui l’escortaient avec une étonnante légèreté. A dix heures du soir, elle était dans le port, amarrée à de fortes encâblures. Les officiers oubliaient leurs inquiétudes et les matelots chantaient sous le ciel groënlandais leur chanson de Bretagne ou de Normandie. Frederikshaab est un établissement de la Société de commerce de Danemark. On y arrive par un canal de deux lieues de longueur, très étroit, formé d’une haie continue petites îles. Le sol est constamment couvert de neige; 1^ température dans les jours d’été à o°. Sur la côte, on aperçoit un petit fort en terre, portant le pavillon danois; l’habitation du chef de l’établissement, construite avec une certaine élégance, meublée avec goût, confortable, une chapelle en terre, et cinq à six huttes d’Esquimaux, voilà tout. Un navire danois vient à peu près toutes les années apporter à cet établissement les denrées européennes et prendre en échange l’huile, le phoque, le poisson, les peaux de lièvres blancs et de renards. Un prêtre qui demeure à vingt lieues de là vient aussi une fois par an faire un sermon à cette pauvre peuplade, baptiser les en- fans, sanctionner les mariages. Le reste du temps, Jes habitans de Frederikshaab vivent dans une ignorance complète du monde extérieur, dans une solitude absolue. Le chef de l’établissement, M. Mœller et sa jeune femme, qu’il avait été chercher en Danemark deux années auparavant, accueillirent nos compatriotes avec la plus touchante cordialité. Un employé subalterne ISJHODITCTtOW. ' XJUI de la société, M. JCauffeld, ne fut ni moins obligeant, ni moins empressé. La Recherche séjourna là quinze jours. Les officiers explorèrent Jes environs tantôt pour faire des recherches d’h^sto^re turelle, taxitôt pour observer les mœurs, la physionomie, le caractère des habitaps. Sur les montagnes ils trouvaient la gelinotte, le lièvre blanc, le renard bleu; ils pénétraient dans la hutte du Groënlandais, ils s’asseyaient à son foyer. Les hommes sont d’une taille an-dessous de ls moyenne; ils ont les yeux noirs, petits, perçans, les pommettes saillantes, le teint cuivré- M. Méquet leur trouva beaucoup de ressemblance avec les Indiens dp l’Amérique méridionale, les Gai ibis, qu’il avait vus quelques mois auparavant. Les femmes ont des cheveux noirs relevés à la chinoise; leur hgure est douce, souvent jolie. Les hommes et les femmes portent le même costume, une camisole en double peau de phoque ou de renne, le poil en dedans le poil en dehors, des culottes en peau de pho- que, et de grandes bottes fourrées en peau de lièvre ou de renard ; tous ces vêtemens sont cousus avec des boyaux de poisson, taillés avec art, ornés de petites bandes de peaux de différentes couleurs, quelquefois de grains de verre. Celui des femmes, surtout, est fait avec une sorte de coquetterie ; elles ont de plus que les hommes un capuchon qui leur pend derrière le dos, et dans lequel, en voyage, elles placent leur enfant, afin d’avoir les mains libres et de ramer. La hutte des Esquimaux n’est autre chose qu’un mur en pierre élevé à deux ou trois pieds de terre et recouvert en peaux de phoque; elle est formée par un rideau de lanières de peaux transparentes qui y laisse pénétrer un peu de clarté. Au milieu, de cette hutte on aperçoit une lampe de forme ovale, en pierre du pays; elle sert tout à la fois à les éclairer, à chauffer leur demeure, et à cuire leurs alimens. L’hiver, ils se creusent des habitations plus solides dans les blocs de glace qu’ils taillent comme le roc. Les habitans de cette malheureuse contrée n’ont d’autre ressource que la pêche, et le phoque compose toute leur richesse; le phoque les nourrit, les habille, les chauffe, les éclaire, et leur donne de quoi acheter, auprès de l’agent de la compagnie danoise, les diverses denrées dont ils ont besôin. Si les phoques venaient à quitter les côtes du Groenland, il est certain que toute cette population serait condamnée à mourir. La Providence leur envoie aussi par les cou- rans de la Sibérie les troncs d’arbres avec lesquels ils fabriquent leurs harpons .et une partie de leurs ustensiles. La Providence n’oublie jamais ceux quelle semble le plus • complètement abandonner; elle a placé sur ce sol humide du Groenland les plantes anti-scorbutiques; elle a donné à l’Islande le lichen, préservatif de la phtisie. Les Esquimaux vont à la pêche dans leur kaiak. C’est un canot en peau de phoque, très étroit, aminci aux deux bouts, léger comme une écorce de liège, glissant sur l’eau comme un patin sur la glace.JL’homme se place au milieu de cette frêle embarcation; il y entre jusqu’à la ceinture; il y est xxn WT^ODUCTioir. lié, et il la fait manœuvrer avec lui comme une partije de lui-même. jCe n’est plus un batelier ordinaire, ce n’est plus le pêcheur dans sa barque, c’est l’homme avec des nageoires, l’homme devenu poisson. J1 tient d’une main une rame plate à deux pelles avec laquelle U exécute les mouvemens les plus rapides, les manœuvres les plusétranges, il a à côté de lui ses flèches, son bar pop. Ainsi armé, il s’élance sur les vagues impétueuses, court à la poursuite des phoques, et ne craint pas même d’attaquer la baleine. Quelquefois aussi il a recours à la ruse, il endort l’oiseau de nier par ses sifflemens, et quand il le voit arrêté, battant de l’aile, la tête immobile, le regard fixe, il lui lance une de ses flèches, et rarement il manque son coup. Les Esquimaux, opt encore pue autre embarcation qu’ils appellent umiak; c’est leur grand bateau 4e voyage, leur yacht, leur navire ; ils s’en servent pour aller d’une peuplade à l’autre, pour porter leurs denrées à la colonie. Les femmes s’y em- barqifpntfvgc leurs ep&ns; elles emportent iirrRODücnoK. xxvn avec elles les ustensiles de ménage, les piquets pour construire la tente. Dès que l’umiak aborde sur la côte, le Groën- landais prend ses piquets, déroule ses peaux de phoque, et voilà sa demeure faite; toute la famille couche là. Une petite planche de quelques pouces de hauteur sépare seulement les jeunes filles des femmes mariées. La nouvelle de l’arrivée de la Recherche se répandit rapidement dans les habitations voisines de Frederikshaab, et l’on vit accourir dans leurs umiaks une quantité d’Esquimaux empressés de voir le grand vaisseau dont on leur avait parlé et d’échanger leurs richesses groënlandaises contre des denrées européennes; ils donnaient avec joie pour un pantalon de matelot, pour une veste bleue, leurs camisoles et leurs culottes de peaux de phoque. Les hommes n’avaient besoin que d’un signe pour se dépouiller à l’instant; mais les femmes hésitaient; un instinct de pudeur luttait en elles, avec le désir de suivre l’exemple de leurs maris: cependant elles finissaient presque toujours par céder ; elles se retiraient à l’écart, ôtaient leurs vêtemens et les apportaient avec un timide sourire au matelot. Dans le cours de ces relations journalières, nos compatriotes furent plus d’une fois frappés de l’honnêteté, de l’intelligence, . de la discrétion des Esquimaux, èt il n’est pas un mousse de la Recherche qui ne se plaise encore à faire leur éloge. Malheureusement le but pour lequel ce bâtiment avait été à Frederikshaab ne fut pas rempli. M. Mœller ne put donner à M. Tréhouart aucun renseignement sur la Lilloise, et toutes nos investigations en Islande et au Groënland pourraient nous faire désespérer du sort de nos malheureux compatriotes, sil’on devait désespérer avant le temps d’une' noble entreprise soutenue avec courage. Le 20 août notre bâtiment était de retour à Reykiavik, et le 27 septembre, après une longue et pénible navigation, nous revîmes les côtes de France. J’ai cru devoir raconter avec tous ces détails le voyage de la Recherche. Qu’il me soit permis maintenant de dire quelques mots du livre que je publie. INTRODUCTION. XXIX Ces Lettres sur l’Islande ont été écrites, en partie pendant mon séjour à Reykiavik, en partie depuis mon retour à Paris, d’après des notes prises sur les lieux mêmes. Tout ce qui a rapport aux moeurs, à la description du pays, est vrai. J’ai dépeint ce que j’ai vu, sans y rien ajouter et sans y rien changer. Quant à la partie littéraire de cet ouvrage je ne m’en exagère pas à moi-même l’importance. Je sais qu’elle aurait pu être plus longuement développée; les Danois ont écrit sur ce sujet des volumes entiers et n’ont pas épuisé la matière. Nous n’avons point encore de traduction complète de l’Edda, point de traduction des sagas, point de grandes études sur la poésie des scaldes, sur les historiens du nord, sur la langue islandaise, cette belle et forte langue qui a régné dans les trois royaumes Scandinaves. Je sais que tous ces travaux sont à faire; je crois même qu’ils intéresseraient, sinon la majorité du public, au moins un grand nombre d’hommes éclairés.Mais, d’un côté, j’avoue que je ne me sentais pas encore de force à les entreprendre; de l’autre, il m’a paru prudent de ne pas offrir d’abord au public un ouvrage très étendu; il n’y a pas long-temps que nous avons commencé à tourner nos regards vers le nord. Avant de vouloir en expliquer catégoriquement la science et l’histoire, il est peut-être nécessaire d’indiquer par aperçu les points principaux sur lesquels l’attention doit se porter. Ce livre n’est donc qu’un récit de voyage sans prétention, un tableau rapide de quelques faits notables, dignes d’une longue étude, et si je ne.me trompe, peu connus en France; c’est l’abrégé d’un livre important qui se fera par le concours de quelques hommes plus sa vans et plus expérimentés que moi, et qui sera complété par des travaux d’art et d’histoire naturelle. En terminant, je remercie l’Académie française qui a bien voulu me prêter, dans cette excursion Scandinave, l’appui de son puissant patronage. Je remercie ceux qui m*ont aidé de leurs conseils, soutenu de leur amitié dans des études que j’ai entreprises avec crainte, que je poursuivrai désormais avec courage. BOCÜMENS HISTORIQUES. ISLANDAIS. Àrœ. Landnamabdk. Skalholt,in-4, 1688. — Schedœ Skalholt, in-4, 1688. Biœrn. Annalar (publiées avec la traduction latine). Hrappsey, in-4,1774. Espolin. Islands Àrbœkur. Copenhague, in-4,1821. Krakas Maat (avec la traduction latine et dan.) Copenh., in-8, 1826. Kongs-Stug-Siô (avec la traduction latinë et dan. ). Sorœ, in-4, 1768. Nockrër Marg-Frooder Sœgu Islendinga. 1 vol. in-4. lloolum, 1756. Rymbegla ( avec la traduction latine). Copenh., in-4, 1780. Sœmund. Edda, publiée avec la vie de Sœmund, par Arne Magnufcsen, et la traduction latine du texte islandais ; l**e partie, Copenh., in-4, 1787; 2e partie, 1813, traduite en partie en danois, par Sandvig ; en allemand par Van der Hagen , Grimm, Herder, Grœter; en anglais par Herbert et Prowett. Snorri Sturleson. Heimskringla, publié avec une trad. latine et suédoise, par Peringskiold. Stockholm, in-fol., 1697; avec une traduction latine et danoise, par Schæning, Copenh., in-fol, 1777. —Edda, publiée avec une trad. latine et danoise, par Resenius. Copenh., in-4 , 1665 ; avec une traduc. latine et suédoise, par Gæransen, Upsal, in-4, 1746 ; trad. en danois par Rask et Nyerup, en allemand par Schimmelmann et par Rühs ; en anglais par Percy; en français par Mallet. Stephensen (Magnus). Eplirmœli atiandu Aldar fra Eykonnuni Islandi Leiragaard. in-12, 1806. Trad. en allemand, Island, im-J 81\ Jahrhundert. — Et en danois, Copenh., in-8, 1808. EgilsSaga, publiée avec la trad. latine. Copenh. , in-4, 1809. Eyrbyggia Saga (avec la trad. latine). Copenh., in-4, 1787. Fornaldar Sœgur, publié par Rafn. 3 vol. in-8. Copenh., 1830. Fornmanna Sœgur, 11 vol. in-8. Copenh., 1825. Hervarar Saga ( avec la trad. lpt. ). Copenh., in-4 , 1778. Hungurvaka Saga (avec la trad. lat). Copenh., in-8, 1778. Islandske Sœgur. Copenh., in-8, 1830. Kristni Saga ( avec la trad. latine ).Copenh., in-8, 1773. Sagan af Gunnlaugi Ormstnngu (avec la trad. lat). Copenh., in-4, 1775. Sagan af Niait ( avec U trad. latine ). Copenh, in-4, 1772, 1809. SturltmgaSaga. Copenh., in*4,1822. (1). LATINS. Blefkenii Islandia. Lngd., in-8, 1007. Bryniolsen. Periculum ranologicum. Copenh., in-8®, 1823. Einarsen. Sciagraphia Historié» litter. Islandicæ. Copenh., in-8, 1777. Finsen ( F innus Johannœui), Historié ecelesiastica Islandiæ. Copenh., in-4, 1772-1778. Johnsen (Arngrim). Bretis «ômmentarius de Islandia. Hoolom, in-8, 1592. Crymogæa s eu rerum Islandicanun libri très.-Hambourg , in-4, 1609. 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Grâce pourtant à ces habitations danoises, l’impression que l’on éprouve en entrant à Reykiavik est moins triste qu’on pourrait se l’imaginer d’après les relations de plusieurs voyageurs. On passe encore par certains degrés de civilisation avant d’en venir à l’aspect réel du pays. Les ornemens de luxe, dont les marchands danois aiment à s’entourer, cachent comme un rideau la nudité des demeures islandaises, et les maisons bâties en bois nous préparent graduellement à voir la cabane sauvage qui s’élève à quelques pieds de terre, avec ses murailles de tourbe et son toit de gazon. Mais ce dont nulle civilisation étrangère ne peut faire grâce au voyageur qui arrive ici pour la première fois , c’est l’odeur nauséabonde qui le saisit au moment où il pose le pied sur le sol de l’Islande. Cette odeur le poursuit partout et s’attache à tous les objets dont il se sert; c’est le résultat de cette quantité dé poisson que les Islandais font sécher en plein air, le résultat de la malpropreté au milieu de laquelle vivent ces malheureux, et des matières souvent corrompues dont ils se nourrissent. L’histoire de Reykiavik ne remonte pas très haut. Il y a soixante ans, ce n’était guère qu’un village de pêcheurs. Mais sa situation est bonne; sa rade, protégée par plusieurs petites îles, passe pour l’une des rades les plus commodes et les plus sûres qui existent, et non loin de là se trouvent des bancs de pêche justement renommés. Peu à peu les négocians danois y établirent leurs factoreries, et la ville acquit chaque année plus d’importance. Aujourd’hui c’est la résidence du gouverneur, de l’évêque, du médecin général du pays, du président du tribunal. On y trouve une bonne école et une bibliothèque de huit mille volumes. A une lieue de là est l’école universitaire de Bessestad; à peu près à la même distance, l’ancienne imprimerie de floolum, transportée à Yidœ. Je ne fais qu’indiquer ceci en passant, j’y reviendrai-plus tard spécialement. Malgré cette concentration d’établissemens publics, Reykiavik n’est qu’une pauvre bourgade. On la croirait bien à l’abri de toute révolution , de toute idée' ambitieuse; et cependant elle a eu aussi ses jours d’orage politique, son protecteur et sa constitution. Quand les futurs historiens de l’Islande retraceront les annales de cette contrée, ils diront comment la terre d’Ingolfr, la terre républicaine des émigrés norvégiens, a eu l’idée un béau jour de redevenir ce qu’elle était, de renverser le joug de toute souveraineté étrangère et d’arborer sur les côtes sa bannière nationale. Yoici le fait : au mois de juin 1809, un négociant anglais, M. Phelps, équipa deux bâtimens chargés de denrées pour l’Islande, et se mit à la tête de sa cargaison avec un Danois nommé Jorgensen , qui devait lui servir d’interprète. Le commerce de l’Islande était alors, comme il l’est encore aujourd’hui, exclusivement réservé au Danemark. Mais le Danemark était en guerre avec l’Angleterre, et M. Phelps espérait peut-être profiter de cette époque d’agitation pour échanger en toute liberté ses tonnes de sucre et ses balles de café contre le suif et le poisson des Islandais. Ses deux navires entrèrent à pleines voiles dans la rade de Reykiavik. Il jeta l’ancre, s’annonça comme négociant anglais et attendit. Mais plusieurs jours se passèrent, et pas un Islandais ne parut: M. Phelps, qui se tenait sur son gaillard d’avant, la lunette à la main, comptant bien voir arriver l’une après l’autre toutes les embarcations du pays, fut singulièrement désappointé quand il s’aperçut que pas un canotier ne se dirigeait de son côté, >que pas un paysan ne venait lui demander une once de tabac. Alors il apprit que le comte Tramp, gouverneur d’Islande , avait rendu un arrêté par lequel il défendait formel- - lement, à tous les habitans du pays, d’entrer en relation avec les Anglais. A cette nouvelle, M. Phelps fut saisi d’une violente colère. Il y allait de l’honneur de sa nation et delà vente de ses marchandises; et, quand il vit le pavillon britannique, ainsi méprisé, et ses denrées proscrites , il prit une résolution héroïque. Il arma douze matelots et ordonna au capitaine de son bâtiment d’aller, sans autre forme de procès, s’emparer du comte Tramp. C’était un dimanche. Les habitans de Reykiavik étaient réunis sur la place et autour de l’église. Le capitaine anglais, brave comme César, s’avance au milieu de la foule, entre chez le gouverneur, lui montre ses « douze hommes, leurs baïonnettes, et le déclare prisonnier de guerre. Tout cela se passa sans rumeur et sans effusion de sang. Les Islandais restèrent dans la rue, bouche béante, et le soir même, leur gouverneur couchait à bord du bâtiment anglais. Le lendemain on vit paraître une magnifique proclamation. L’autorité du gouvernement danois était abolie; l’Islande redevenait libre et indépendante. M. Jorgensen, interprète de M. Phelps, prenait le titre d’Ex- cellence et se déclarait protecteur de l’Ile, général en chef des armées de terre et de mer. L’ancien sceau national fut remplacé par les deux initiales du n ou veau gouverneur, et l’oriflamme bleue portant trois morues flotta sur le clocher. Après avoir ainsi annoncé la révolution survenue dans le pays, Son Excellence M. Jorgensen descendit à terre, et pour montrer qu’il n’était pas si novice dans l’art de gouverner les hommes, il commença par confisquer la caisse de l’État à son profit; puis il chercha à rallier à lui les personnages les plus influens de Reykiavik. Aux uns il promit des places de magistrat, aux autres des pensions. Il se proposait aussi d’accorder de nouvelles immunités au clergé, et les prêtres, touchés de ses sentimens religieux, signèrent une adhésion à toutes les mesures prises par lui. Pour compléter sa royauté, il lui manquait encore une garde; eq faisant, par ordre de lautorité, une perquisir tion dans toutes les maisons de Reykiavik, on finit par réunir cinq fusils, trois épées, six capotes en drap et deux casques. M. Phelps fournit le reste de l’équipement, et huit hommes, armés de pied en cap, paradèrent chaque jour sous les fenêtres du protecteur. Lui-même était leur général et leur fourrier. Chaque matin il haranguait pompeusement leur patriotisme, et chaque soir il livrait à leur appétit une double ration de bière et de poisson sec Non content d’une telle milice, M. Jorgensen voulut avoir un fort. Par ses ordres on éleva sur la côte une muraille épaisse. On déterra cinq vieux canons que les Danois avaient oubliés jadis dans le pays, on les plaça sur le rempart, et dans un conseil de guerre auquel assistaientle maçon de Reykiavik, comme directeur des fortifications, et le charpentier, comme ingénieur, la ville fut déclarée imprenable par mer et par terre. Après cela, M. Jorgensen parcourut le pays pour prévenir Fémeute et se concilier l’affection de ses nouveaux sujets. U voyageait à cheval, suivi de cinq hommes.Trois d’entre eux criaient sur toute la route : vive le protecteur ! et deux autres aiguillonnaient, de la pointe de leurs piques, l’enthousiasme un peu lent des Islandais. Grâce à ces sages précautions, il traversa une grande partie de l’île au milieu des explosions de joie de toute la population, et si à son retour il ne trouva point d’arc-de- triomphe à l’entrée de sa capitale, c’est que sa modestie s’y refusa. Le règne du protecteur durait déjà depuis deux mois. Un évènement fatal vint l’arrêter au moment où il tendait chaque jour déplus en plus à s’affermir. Au mois d’août, un bâtiment de guerre anglais, commandé par le capitaine Jones, arriva dans un petit port voisin de Rey- kiavik, à Havnefiord. Les marchands danois, dont le protecteur avait mis les magasins sous le séquestre^ portèrent leurs réclamations à M. Jones. Le comte Tramp, qui était toujours retenu prisonnier à borddu navire deM. Phelps, lui adressa aussi ses plaintes. Le capitaine, qui, au milieu de tous ces conflits, représentait l’auto> rité légale, commença une enquête sérieuse sur tout ce qui s’était passé, et après avoir entendu les griefs des uns et des autres, il enleva à M. Jor- gensen sa garde et son sceptre, et ordonna à M. Phelps de conduire l’ex-protècteur d’Islande et le comte Tramp en Angleterre. Les anciens magistrats de Reykiavik reprirent leurs fonctions. Les anciennes lois furent mises en vigueur, et, quelques jours après cette comédie mercantile, la ville avait repris son attitude habituelle, et lebourguemestre, assis sur son siège de chêne, gouvernait, comme parle passé, au nom du roi de Danemark. Notre première visite, en arrivant ici, était due au gouyerneur, M. de Krieger, et nous ne saurions trop nous louer de l’accueil qu’il nous fit. Il a voyagé en France et en Italie, il parle français facilement, et il s’est fait notre guide,et notre interprète avec une grâce charmante. Le lendemain nous allâmes voir avec lui l’é- vêque, qui habite une jolie maison au bord de la mer. Autrefois il y avait deux évêchés en Islande, l’un à Hoolum, l’autre à Skalholt. Tous deux ont été réunis à Reykiavik en 1797. M. Steingrimr Jonsson, qui occupe aujourd’hui le siège épiscopal , est un homme âgé, fort instruit, autrefois professeur de théologie à l’université de Besses- tad, et qui a conservé dans ses nouvelles fonc tions les goûts studieux qui l’ànimaient dans sa carrière de professeur. J’ai trouvé chez lui une belle bibliothèque d’ouvrages étrangers', une riche collection de sagas islandaises, d’éditions rares et de pièces manuscrites ayant rapport à l’histoire du pays. M. Steingrimr nous reçut avec toute la cordialité des hommes du Nord. Tandis qu’il nous faisait les honneurs de son salon, tandis qu’il nous montrait avec empressement ses livres et ses manuscrits, parlant tour à tour latin avec l’un de nous, danois avec un autre, anglais avec un troisième, sa femme préparait elle-même le café, le vin de Porto, et la bière choisie qu’une 'maîtresse de maison islandaise tient toujours en réserve pour les étrangers. Cette visite avait d’ailleurs un intérêt particulier pour l’évêque et pour nous. M. Gaimard lui avait envoyé la veille divers présens au nom du roi et du ministre de la marine, et nous assistions à l’installation de ces objets dans le salon épiscopal. Je ne saurais vous dire avec quelle joie naïve le digne vieillard contemplait la selle en velours qui lui était destinée, et les tasses en porcelaine de Sèvres rangées sur son armoire. Ce fut bien autre chose quand un de nos compagnons de voyage tira le cordon d’une pendule que nous avions aussi apportée, et que l’instrument caché dans la boîte commença à jouer l’ouverture de Zampa, et l’une de nos walses les plus populaires. Alors il courut avec un bonheur d’enfant appeler sa femme; avec sa femme vint la fille d’un de ses amis, et les servantes, qui n’osaient entrer, s’avancèrent jusque auprès de la porte; derrière elles, le garçon de ferme se dressait sur la pointe des pieds pour apercevoir le magique instrument. Tout cela formait un tableau d’intérieur plein dé grâce, dont Wilkie eût voulu peindre les détails, et Greuze les bonnes et candides physionomies. Nous passâmes ainsi deux heures à visiter les trésors littéraires de l’évêque, à parler avec lui de l’Islande qu’il connaît bien, de son histoire qu’il connaît encore mieux, et nous sortîmes enchantés de son hospitalité. Cette hospitalité, nous l’avons, du reste, retrouvée partout, avec moins de luxe extérieur, mais avec la même générosité. Partout où nous nous sommes présentés, dans la maison de l’ouvrier comme dans celle du riche bourgeois, nous avons vu l’Islandais empressé de nous tendre la main, de nous faire entrer dans sa demeure, et sa femme courant en toute hâte chercher ce qu’elle avait de meilleur à nous offrir. Ces jours derniers nous visitions à quelques lieues d’ici la maison d’un paysan. A côté de la chambre qu’il occupait, on nous en montra une autre avec quatre lits réservés pour les voyageurs qui viennent souvent, pendant l’hiver, lui demander asile, et près de la cuisine, une forge où il a lui-même ferré maintes fois gratuitement le cheval du passant. Après nous avoir fait servir du lait et du café, il monta à cheval et nous guida à travers les landes rocailleuses où nous voulions aller, passant le premier les rivières enflées, et prenant nos chevaux par la bride pour les soutenir au milieu de l’eau. Quand il nous quitta après quatre heures de marche, nous nous gardâmes bien de lui offrir de l’argent, car pendant que nous étions dans sa maison, lui ayant témoigné le désir d’acheter une Bible islandaise de Hoolum et une édition ancienne du Landnamabock que je trouvai dans sa bibliothèque, il avait voulu me les donner, mais non en recevoir le prix. A Reykiavik, nous avons joui du même accueil. Les Islandais aiment les étrangers. Us sont flattés qu’on vienne les voir de si loin ; puis ils avaient gardé un bon souvenir de M. Gaimard et de son compagnon de voyage, qui étaient déjà venus ici l’aunée dernière; enfin, nous leur apportions beaucoup de choses utiles dont ils n’avaient pas encore appris à se servir. Mais ce qui ne serait ailleurs qu’un trait de caractère louable, devient ici une œuvre difficile, une véritable vertu. Quand ces pauvres gens vous apportent une jatte de lait, une tasse de café, ils se privent souvent du nécessaire. Ils sacrifient en un instant ce qu’ils ont obtenu avec beaucoup de peir* ; ils donnent à l’étranger ce qui était réservé pour une occasion solennelle pour leurs fêtes de famille. Hélas! tout ce qu’on a dit de la misère des Islandais n’est point exagéré; et à Reykiavik même, là où l’affluence des étrangers, le mouvement du commerce, pourrait servir à la pallier, cette misère éclate encore de toutes parts. Il y a ici, comme je l’ai déjà indiqué, deux populations distinctes, les marchands danois, les pêcheurs et paysans islandais. Les marchands viennent chaque année avec leurs bâtimens chargés de denrées étrangères. Ils arrivent au mois de mai, et s’en retournent, pour la plupart, au mois d’août. Quelques-uns seulement passent ici l’hiver. Ils ont des habitations élégantes et jouissent d’une vie confortable. Derrière ces maisons danoises, bâties à grands frais avec des planches et des solives' apportées de la Norvège, on aperçoit une construction grossière, une muraille de tourbe et de mousse, portant un toit de gazon qui s’en va en pointe comme une tente. C’est la cabane islandaise, le bœr. II n’est plus ici question d’art ni d’élégance. La seule chose que l’on ait eu en vue en construisant ces demeures massives, c’est * de mettre les habitans à l’ab*. du froid. La muraille est épaisse de quatre à cinq pieds, recouverte en terre et fermée hermétiquement de tous côtés; une porte étroite au milieu, un carreau de fenêtre à côté, une ouverture au-dessus du toit. L’intérieur est divisé en quatre comparti- mens, le sol entièrement nu, et l’espace si resserré qu’à peine peut-on s’y mouvoir. Ici le pêcheur prépare ses filets et ses lignes; là deux mauvais tonneaux, gâtés par l’humidité, renferment ses provisions. Dans la cuisine pendent ses pantalons en peau de phoque et son manteau «1 cuir épais. Deux pierres posées l’une sur l’autre composent le foyer, et des ossemens de baleine, des têtes de cheval desséchées, servent de siège. On n’entre là qu’en courbant la tête ; on ne peut s’y tenir debout. Au dehors apparaît un enclos où le paysan n’a pu faire croître un peu d’herbe qu’en creusant long-temps cette terre ingrate. C’est là qu’il récolte du foin pour l’hiver. Quelques-uns y joignent un petit carré de jardin. Le gouvernement danois leur envoie chaque année les graines nécessaires. Ils sèment leurs légumes au commencement de juin; et s’ils ne la recueillent pas au mois d’août, la moisson court grand risque d’être perdue. Si à cette habitation le pêcheur joint encore un bâtiment en planches de quelques pieds carrés, pour faire sécher le poisson, il peut se regarder comme un être privilégié. La plupart font sécher le produit de leur pêche en pléin air sur les murs ; mais du moins ils peuvent être bien sûrs que personne n’y touchera. Nuit et jour, une quantité de morues sont ainsi étalées au bord du chemin, et jamais on n’a eu d’exemple de vol. De temps en temps, auprès de ces misérables demeures, on rencontre, il est vrai, quelques habitations plus vastes, mieux aérées et mieux bâties, appartenant à des paysans riches, qui, sans vouloir changer le mode de construction nationale, ont du moins cherché à le rendre aussi commode que possible; mais ces habitations sont en petit nombre. La vie du pêcheur islandais est une vie de privations et de souffrances continuelles, unëvie de lutte contre la nature et les élémens. Au mois de février, quand la terre est couverte de glaces, quand le ciel brumeux de l’Islande n’annonce que des orages, quand les rayons d’un soleil pâle percent à peine à travers un crépuscule obscur qui ressemble à une nuit sans fin, le pêcheur quitte sa famille, sa chaumière. Il laisse à sa femme le soin de filer la laine, de préparer le beurre;à ses enfans, celui de garder les bestiaux. U s’en va avec sa ligne, le long du golfe, commencer sa laborieuse existence. Là se trouvent quelquefois réunis jusqu’à trois et quatre mille pêcheurs, et, dans tout le pays, les habitations ne sont plus occupées que par des femmes et des enfans. Chaque nuit les pêcheurs consul* tent l’aspect du ciel ; si l’horizon leur présage une tempête, ils restent à terre; sinon, ils se lèvent à deux heures du matin et s’embarquent, après avoir fait leur prière, sans doute une prière comme celle du matelot breton : « Mon Dieu, protégez-moi ; ma barque est si petite, et la mer est si grande! » Et toute la journée les pêcheurs jettent à la mer leurs lignes et leurs filets, et vers le soir ils s’en reviennent avec des bateaux remplis jusqu’au bord ; car, si le sol islandais est ingrat pour eux, la mer du moins les traite avec libéralité. Mais ces pauvres gens n’ont souvent pour toute fortune que leur frêle nacelle, et quaad ils approchent de la côte, souvent on les voit se jeter à l’eau pour la tirer eux-mêmes à terre et l’empêcher de se heurter trop violemment contre les rochers. Les femmes les attendent à leur retour pour recevoir le poisson et le préparer. On coupe toutes les têtes pour les faire sécher. C’est là ce que le pêcheur réserve pour lui ; presque tout le reste est destiné à être vendu. La pêche dure jusqu’au mois d’avril, quelquefois jusqu’au mois de juin. Quand le pêcheur est rentré chez lui, il compte ses richesses, rassemble ses provisions, les poissons qu’il a fait sécher, le drap (vadmâl) que sa femme a foulé, la laine et lé beurre que l’on a conservé. Les marchands danois de Reykiavik et de Havonefird sont là qui l’attendent, et il leur porte le fruit de son travail. Il y a une grande foire à Reykiavik au mois de juin. Les paysans islandais y viennent de quarante et cinquante lieues, portant avec eux leur tente pour se reposer, le poisson'pendu à l’arçon des selles, et les autres denrées enfermées dans des sacs de laine. Il n’est pas rare alors de voir arriver, à la file Tu» de l’autre, des caravanes de cent chevaux, tous chargés de provisions. Le commerce qui se fait entre les Danois et les Islandais est en grande partie un commerce d’échange. Les Islandais livrait leurs denrées et reçoivent de la farine, du sel, du café, de l’eau- de-vie , quelques meubles de luxe, car la civilisation avec ses raffinemens a déjà commencé à s’insinuer dans le pauvre bœr, et tel paysan qui autrefois -buvait sa bière dans un vase de bois grossièrement travaillé, veut aujourd’hui prendre son café dans une tasse de porcelaine. Quelquefois ils demandent à recevoir une par tie de ce qui leur est dû en argent, et cela ne s’opère pas sans quelques négociations, car il y va de l’intérêt des Danois de payer tout en marchandises. L’argent n’est pas d’ailleurs pour eux une chose nécessaire; ils acquittent ordinairement leurs impôts avec tant de livres de poisson , et tant d'aunes de vadmâl. Ils paient àé la même manière leurs domestiques et leurs ouvrière, et ceux d’entre eux qui amassent quelques species2 les laissent paisiblement reposer au fond d’une caisse. Ils ignorent encore l’art de placer leur argent dans des spéculations de commerce, ou de le prêter à usure. Cependant ils n’entament pas leur marché avec les Danois sans prendre certaines précautions. Il y a, près de Reykiavik,' une grande plaine où le paysan dresse d’abord sa tente avant que d’entrer en ville. Il laisse là ses chevaux, ses denrées, ses domestiques, puis, après avoir fait dévotement sa prière, comme lorsqu’on va tenter un périlleux voyage, il prend le chemin de la cité et visite, l’un après l’autre, tous les marchands. Chacun d’eux lui fait ses offres, et lui présente un verre d’eau-de-vie. Le paysan boit l’eau-de-vie . et note soigneusement les diverses propositions qu’on lui adresse. Sa tournée faite, il va rejoindre sa caravane. Il passe une soirée entière et une nuit à consulter sa mémoire et son carnet. Si sa femme est avec lui, il lui demande son avis; et, le lendemain, il s’en va, suivi de toutes ses richesses, chez le marchand en qui il a le plus de confiance. Mais souvent, le résultat de ces transactions avec les Danois, c’est qu’une fois l’échange fait, le pauvre pêcheur islandais, qui tout l’hiver a supporté la faim, le froid, la fatigue , se pâme de joie à la vue d’un baril d’eau- de-vie; Alors sous la tente où ils sont installés, sur le port, dans les rues, les malheureux Islandais boivent pour oublier ce qu’ils ont souffert, puis ils boivent de nouveau pour oublier sans doute ce qu’ils sont encore destinés à souffrir. Quand ils en sont là, au lieu de faire du bruit et de se battre, ils se prennent la main, et s’embrassent avec effusion de cœur; puis ils montent à cheval et se mettent en route. Mais dans leur état d’ivresse, ou ils oublient de prendre ce qui leur appartient, ou ils nouent mal leurs sacs, et ils arrivent ordinairement chez eux dans le plus triste état. Les richesses sont loin, et le propriétaire se réveille. Un de nos amis en a rencontré un qui s’en allait ainsi avec ses rêves de bonheur, l’œil enflammé, la tête tombant sur la poitrine. A l’arçon de sa selle pendait un baril d’eau-de-vie qui coulait d’un côté, et un sac de café qui coulait de l’autre; et le bienheureux Islandais, fermant l’oreille à toutes les remontrances , continuait paisiblement sa route. Une demi-heure après, le sac à café et le tonneau devaient être parfaitement vides. C’est ainsi que se terminent souvent ces voyages de commerce, etle pêcheur rentre chez lui pour vivre d’un peu de beurre rance et de têtes de poisson séchées au soleil. Sa boisson ordinaire est du lait mêlé avec de l’eau (blanda). Ceux qui sont riches boivent de la bière préparée par la maîtresse de la maison. Il se chauffe avec de la tourbe qu’il façonne lui-même, et broie entre deux pierres l’orge dont il a besoin. Au mois d’août, il fauche l’herbe de.ses enclos; c’est là sa seule récolte. Encore s’estime-t-il heureux quand cette récolte est assez abondante pour lui permettre de garder ses troupeaux. L’année dernière les habitans de Reykiavik ont été obligés de tuer une partie de leurs vaches et de leurs chevaux, faute de foin pour les nourrir* Les Islandais sont graves et silencieux. C’est peut-être de tous les peuples celui qui a le moins le sentiment de la musique et de la danse. A les voir, on dirait qu’ils sont tous sous le poids de cette nature austère au milieu de laquelle ils sont nés. De toutes parts,leurs yeux ne rencontrent qu’un tableau sinistre, des souvenirs de calamité ou des sujets de terreur,une terre aride et volcanique, dé la cendre et de la lave, et pas une fleur, pas une plante (i); une mer orageuse et des montagnes de glace. Nous avons parcouru pendant plusieurs jours, à une assez grande distance de Reykiavik, cette contrée sauvage, couverte de rochers vomis par les volcans. Où ne trouve, pour tout chemin, qu’un sentier brisé à chaque instant, ou par les rivières qui débordent, ou par l’eau fétide des marais. L’Islandais seul peut s’aventurer au x. Le gouverneur nous faisait admirer un soir, dans son jardin, l’arbuste unique de Reykiavik, un sorbier. Il y a cinq ans qu’il est planté, et il a deux pieds de haut. Chaque bourgeon qui pousse sur ses rameaux est un évènement ; mais quand il arrivera à la hauteur du mur qui le protège, il mourra. milieu de ces landes désertçs, comme les navigateurs au milieu de l’océan; l’étranger s’y perdrait. De temps en temps seulement, on aperçoit une pyramide en pierre placée comme un phare pour indiquer la route à suivre pendant l’hiver, et de loin en loin aussi, un bâtiment en pierre, adossé contre une montagne et construit successivement par les paysans. Le premier qui fait halte dans un lieu commode et abrité contre lèvent, pose la base de l’édifice; un autre arrive qui continue l’œuvre de son prédécesseur; puis un troisième travaille sur le même plan, et chaque paysan qui vient là passer une nuit croit devoir payer à ceux qui l’ont précédé, à ceux qui le suivront, le tribut d’une heure de travail. Le monument se trouve ainsi achevé. Les Islandais qui voyagent savent où il faut le chercher; ils se dirigent là le soir avec leurs chevaux et s’endorment entre ces quatre murs. C’est la tente du désert, c’est le caravansérail des montagnes du Nord. Quelquefois, après avoir traversé pendant plusieurs heures ce sol fangeux et mouvant des marais, ou cette terre calcinée des collines, on est surpris d’apercevoir tout à coup un espace de verdure et un toit de / gazon d’où s’échappe un nuage de fumée. C’est une ferme, un bœr. C’est là que demeure la famille du paysan,isolée du monde entier, visitée parfois, dans les beaux jours, par quelques voya-, geurs, et abandonnée l’hiver à elle-même. Cinq ou six bœr comme celui-là, disséminés à travers les campagnes, composent une commune ayant son maire et son pasteur; en cherchant plus loin, on trouverait une cabane en terre avec une croix au-dessus: c’est l’église. Puis, il faut dire adieu à ces pauvres oasis, et continuer sa route le long de ces montagnes dont les cimes échevelées attestent encore l’éruption violente qui les a brisées. La plupart des volcans qui ont été enflammés autrefois sont maintenant éteints ; quelques-uns le sont depuis si long-temps, qu'on n’a même pas gardé le souvenir de leurs dernières éruptions. Mais on marche encore sur des bassins que l’on dirait éteints de la veille, sur une cendre épaisse, sur une terre rouge qui ressemble aux débris d’un four à chaux. Au haut d’un de ces cratères, j’ai trouvé Yarabis toute seule, élevant sa tige fragile et ses blanches corolles sur cette terre nue et calcinée. La dernière rose de Thomas Moore était moins isolée; la pauvre marguerite de Robert Bums, moins à plaindre. Tous ces voy a ges se font avec des chevaux d’une race particulière,des chevaux petits comme ceux de la Corse, forts et adroits comme ceux des Pyrénées, agiles comme les poneys de l’Irlande. La nature les a donnés comme une compensation à cette pauvre terre d’Islande, car ils sont doués d’une patience, d’une douceur, d’une sobriété admirables. Le voyageur peut se fier à eux, quand il gravit les montagnes, quand il traverse les marais. L’instinct les guide à travers les sinuosités les plus tortueuses et le sol le plus fangeux. Là où ils posent le pied, le terrain est sûr. S’ils tâtonnent, c’est qu’ils cherchent leur route; s’ils résistent à la bride, c’est que le cavalier se trompe. Quand ilsontvoyagé tout le jour, l’Islandais les lâche le soir .au milieu des champs, ils s’en vont ronger la mousse des rochers, et reparaissent le lendemain, frais et dispos comme la veille. Quand vient l’hiver, le sort de ces pauvres bêtes est bién triste. Le paysan, qui n’a jamais assez de foin pour nourrir tout son troupeau, garde seuler ment un ou deux chevaux, et chasse les autres dans la campagne. C’est grande pitié que de les voir alors errer au hasard pour chercher un peu de nourriture et un abri. Ils grattent le sol avec leurs pieds pour trouver sous la neige quelques touffes de gazon. Us s’en vont au bord de la mer mâcher les racines flottantes, les fucus; quelquefois on les a vus ronger les planches humides des bateaux. Lorsque le printemps arrive, beaucoup d’entre eux ont péri, et ceux qui surviventauxrigueursdel’hiver, àla disette, sont tellementmaigres et exténuésqu’à peine peuvent- ils se soutenir. Mais dès que la neige est fondue et que l’herbe pousse, ils reprennen t leur vigueur. Les moutons sont comme les chevaux, abandonnés dans les champs. La nuit ils se réfugient dans quelque caverne; le jour, lorsque le vent du nord souffle avec violence, ils se serrent l’un contre l’autre le dos tourné au vent, la tête au centre, et forment une phalange arrondie et compacte sur laquelle l’orage a peu de prise. Outre le froid et la famine, ils ont à redouter encore les inondations. Tl y a en face de Reykiavik une petite île fort basse, où un paysan avait conduit, au commencement de l’hiver dernier, Un troupeau de moutons. Le printemps venu, il alla le chercher et ne trouva plus rien : les vagues de la mer avaient tout enlevé. Que les agronomes et les membres du club des Jockeys vantent les belles races de mérinos, et les familles pur sang de chevaux anglais! Celui qui étudie la nature sous ses divers aspects doit une belle page à ces pauvres et chétifs animaux qui, sur une terre ingrate comme celle d’Islande, partagent toutes les privations, toute la misère de l’homme. Pour moi, dussé-je faire rire ceux qui n’ont jamais compati aux souffrances des animaux, j’avouerai que, dans mes excursions en Islande, j’ai souvent pressé entre mes mains, avec attendrissement, la tête de mon cheval qui mé portait si patiemmént à travers les sentiers rocailleux, qui n’abusait ni de mon ignorance des chemins, ni de ma maladresse de cavalier; et lorsqu’il m’arrivait de le frapper, à le voir pencher humblement le cou et reprendre une nouvelle allure, je me sentais saisi d’une sorte de remords comme lorsqu’on ^>mmet une injustice. Si cette terre islandaise porte presque partout une empreinte de désolation, souvent aussi elle présente un aspect grandiose, un caractère sublime. Au-dessus d’une des collines de Reykia- vik s’élève un observatoire où les marchands vont se placer pour découvrir au loin leurs vaisseaux. Là, j’ai souvent admiré le vaste panorama qui se déroulait autour de moi; souvent le soir à onze heures, le soleil était encore sur l’horizon, et ses rayons enflammés se balançaient dans la mer comme une colonne de feu; la mer était calme, seulement une brise légère plissait en se jouant les vagues bleues, qui retombaient ensuite avec mollesse comme une nappe d’argent, ou scintillaient comme des étoiles. A travers ce golfe d’Islande s’élèvent, de distance en distance, des îles couvertes de gazon, et tout autour on aperçoit une enceinte de montagnes dont le sommet se perd dans les nuages. Celles qui sont le plus près * de terre ont une couleur bleue limpide que je ne sais comment définir. Ni les montagnes de la Suisse que j’ai parcourues avec les premières impressions de la jeunesse, ni les Alpes que j’ai long-temps coiÿemplées, ni les Pyrénées dont j’ai gravi les cimes les plus élevées, n’ont cette teinte si claire, ces tons lumineux que le peintre admjre sans pouvoir les exprimer. Plus loin l’aspect des, montagnes change; à leur base, elles se confondent avec l’eau de la mer; à leur sommet, elles se revêtent d’une couleur de pourpre et d’opale, elles ont un manteau de neige qui éblouit, et des pointes de glaces qui ressemblent à une couronne de diamans ; et quand le ciel est clair, quand, à l’extrémité du golfe, le Snœfels se lève sous le disque du soleil avec sa tête éternellement chargée de frimas, il apparaît au- dessus des vagues comme un nuage d’or. En ce moment toute cette partie de l’Islande a l’aspect d’une contrée méridionale. La Méditerranée n’est pas plus limpide que cette mer du Nord, le ciel-du midi n’est pas plus beau. Tandis que partout ailleurs l’obscurité enveloppe la terre, le jour le plus pur sourit à la chaumière de l’Islandais. Alors les enfans du pêcheur montent sur leu r toit de gazon, et passent là de longues heures comme sur une terrasse italienne. J’ai rencontré ainsi un soir deux enfans, un frère et une sœur, assis au haut de la cabane de leur père ; la jeune fille, avec ses blonds cheveux .flottant sur les épaules, s’appuyait sur son frère ; un mouton jouait autour d’eux, et devant la porte de la cabane^ la grand’mère tournait une quenouille chargée de laine. On eût dit une idylle de Théo- crite, un poëmed’André Chénier, transportés dans ces froides régions du Nord, et l’imagina- tion du peintre n’eût pu inventer un groupe plus gracieux, au milieu d’un paysage plus imposant. A quelque distance de la ville, on peut rêver le désert, la solitude la plus absolue. Toutes les maisons disparaissent entre les collines qui les abritent, et l’on n’aperçoit que la mer, les montagnes et le ciel. Là règne le silence des lieux inhabités. Pas une voix humaine ne se fait entendre, pas un chant d’oiseau ne s’élève dans l’air, pas une feuille ne soupire. Tout est calme, repos, sommeil ; et si après avoir contemplé ce tableau oriental, on reporte ses regards sur cette terre si nue, sur ces landes rocailleuses qu’on a à ses pieds, on dirait que la nature a jeté là par grandes masses tous les élémens d’une création splendide, et ne s’est pas donné la peine d’achever son oeuvre. Ne pourrait-on pas attribuer à ces magnifiques scènes de la nature, à ces contrastes si vivement tranchés, l’amour que les Islandais portent à leur pays? Quand ils ont été attristés pendant six mois par l’aspect d’une nuit continuelle , un jour continuel vient aussi pendant six mois les récréer. Quand ils ont regardé avec les majestuenses montagnes qui se découvrent à leurs yeux. Quand la tempête a ébranlé leur cabane et battu pendant plusieurs heures leur fragile chaloune, n’est-ce pas pour eux une grande joie que de voir les vagues se calmer et les nuages s’entr’ouvrir pour faire place à l’azur du ciel? Une pêche heureuse, une saison féconde leur fait oublier de longues journées de fatigue etde souffrance. Un rayon de soleil est pour eux une aurore de bonheur : c’est un signe bienfaisant de la nature ; c’est le sourire d’une mère avare qui les a traités avec rigueur et qui semble s’attendrir. Peut-être aussi n’aiment-ils tant leur pays que par les peines qu’ils y trouvent, par les efforts auxquels ils sont condamnés. Les voyageurs ont observé que les habitans d’une contrée ingrate restent fixés sur leur sol, tandis que ceux des plaines les plus riantes s’éloignent souvent sans regret. Est-ce une loi de la Providence? est-ce un instinct de la nature ? est-ce l’effet de ce sentiment de vanité humaine qui fait que nous nous attachons davantage aux choses qui nous ont le plus coûté? Quoiqu’il en soit, nous voyons chaque année des populations entières quitter les belles campagnes du Wurtemberg, de l’Alsace, pour s’en aller au loin chercher une habitation étrangère, une terre inconnue, et l’Islandais reste sur la colline dé lave où il est né, dans le pauvre enclos de gazon qui lui donne à peine de quoi nourrir ses brebis et son cheval. On a souvent essayé d’arracher les Islandais à leur pays, et presque toujours ces tentatives ont amené d’effrayans exemples de nostalgie. J’en citerai un entre autres. Un Islandais avait été transporté en Angleterre ; il y était depuis plusieurs années, et peu à peu l’impression de douleur qu’il avait éprouvée en s’éloignant de sa patrie s’était effacée. On ne l’entendait plus regretter ni sa ferme, ni ses montagnes ; il parlait une autre langue, et vivait d’une autre vie. Un jour, tandis qu’il était dans un état de calme si complet en apparence, quelqu’un vint à prononcer devant lui un mot islandais , et soudain, à ce mot jeté au hasard, voilà toute une chaîne de souvenirs qui se réveille dans son esprit ; il pleure, il tombe malade, et ses amis sont obligés de le ramener. Les Islandais sont d’une taille moyenne. J’ai vainement cherché dans leur physionomie le caractère spécial que je croyais y trouver. Us ressemblent, par leur teint clair et leurs cheveux blonds, aux Allemands et aux Danois. Ils avaient autrefois un costume national. Ils l’ont modifié peu à peu, et maintenant leur jaquette de vadmal, leur long gilet de drap paraissent taillés sur le même modèle que la veste et le gilet des paysans d’Alsace. Les femmes sont généralement gracieuses ‘ et jolies. Elles ont de beaux cheveux blonds, soyeux, qu’elles laissent flotter sur leurs épaules, et des yeux bleus qui donnent une grande expression de douceur à leur physionomie. Elles ont, pour la plupart, conservé l’ancien vêtement du pays; cé vêtement est élégant, et quelquefois riche. Il se compose, pour les jours ordinaires, d’un corset en drap noir à manches plates, plissé par derrière, étroitement serré à la taille, et d’une longue robe de même étoffe. Elles portent, autour du cou, une cravate en soie, et sur la tête un petit bonnet noir orné d’une longue frange verte qu’elles n’étalent pas sans une certaine coquetterie. Les 3 jours de fête le corset noir est enrichi de galorls en argent par devant et par derrière; le bas de la robe est couvert de bandes de velours. Au bout des manches pendent des boutons d’argent artistement travaillés^ la ceinture est formée d’un cercle d’argent chargé d’ornemens, de feuilles dé chêne et de plusieurs plaques taillées en cœur et en losange sur lesquelles les jeunes filles font graver leurs initiales et celles de leur fiancé. Ce jour-là -, elles cachent soigneusement leurs cheveux et s’enveloppent la tête d’un mouchoir en soie au haut duquel s’élève un morceau de toile empesé qui se recourbe comme le cimier d’un casque de dragon. C’est probablement de cette vieille coiffure Scandinave que provient celle des femmes normandes. Il a fallu bien des jours de pêche et bien des livres de poisson pour payer toutes ces broderies de velours et ces ceintures d’argent; mais elles se transmettent d’une génération à l’autre, et le dimanche, quand les filles de pêcheurs s’en vont à l’église portant ainsi l’héritage de deux siècles, on les prendrait pour de grandes dames. En arrivant à Reykiavik, notre intention était de n’y passer d’abord que quelques j&urs. Nous voulions profiter des vraies semaines d’été pour faire notre excursion dans les districts les plus éloignés de l’Islande. Mais un voyage ici ne s’organise pas si facilement. Il n’y a pas de bureau de diligence où l’on puisse aller retenir sa place pour partir le lendemain, pas de grandes routes où l’on conduise tout à son aise voiture et bagage, pas de village où l’on espère s’arrêter de temps à autre. Il faut, avant de partir, tout prévoir et tout disposer, comme si on s’aventurait à travers une contrée entièrement déserte. Il faut emporter sa tente et ses provisions ; car, passé Reykiavik et quelques pêcheries danoises, situées sur la côte, on ne trouve plus que de loin en loin le pauvre bœr, étroit et sale, et dénué de ressources. Au commencement de juin, il est toujours assez difficile de se procurer ici de bons chevaux. Pendant l’hiver on ne leur donne qu’une chétive ration; ils dépérissent jusqu’à ce qu’au printemps on les reconduise dans les pâturages, et il faut qu’ils y restent quelques semaines pour reprendre leurs forces. Cette année la disette de fourrage avait forcé les paysans à en tuer plusieurs, et ceux que l’on nous présenta étaient d’une maigreur à faire pitié. Enfin, après nous être adresses à plusieurs marchands, nous finîmes par réunir le nombre de chevaux de selle et de bagage qui nous étaient nécessaires, et le 20 juin nous étions en route pour le Geyser. Je ne fatiguerai pas votre attention par le dé- tail journalier de nptre voyage ; mais je voudrais pouvoir vous peindre, comme je l’ai vue, cette nature étrange et souvent grandiose. Certes, pour celui qui est habitué aux divers aspects d’une terre plus civilisée, pour celui qui veut voir des villes, des monumens, de grandes masses de peuples réunis sur un même point, cette contrée serait triste à parcourir ; mais une fois qu’on a fait abstraction des choses qui, ailleurs , nous sembleraient d’une nécessité absolue , une fois qu’on est décidé à prendre l’Islande telle qu’elle est, à la chercher là où elle existe réellement, à l'étudier dans ses misères et ses beautés, elle présente à chaque pas une source féconde d’observations. Ainsi, lorsque, dans le cours du voyage, nous avions fait les haltes nécessaires pour le peintre et le géologue, c’était pour nous un singulier plaisir de nous en aller chevauchant à travers ces landes sauvages, de noter l’un après l’autre tous les changemens d’aspect qui s’offraient à nos yeux, et tous les accidens de la journée. Tantôt nous nous trouvions jetés au milieu d’une plaine marécageuse où l’on ne découvrait pas une trace de chemin, sur un sol fangeux et vacillant, où quelquefois nos chevaux enfonçaient jusqu’au poitrail. Tantôt nous marchions sur des couches de lave, ou sur un sol couvert de cendre que le vent chassait par tourbillons. Dans quelques-uns de ces champs de lave, les vieillards du pays se souvenaient encore d’avoir vu des pâturages verts et des habitations; mais une nuit lé volcan avait éclaté, et le lendemain tout était enfoui sous des blocs de pierre et des monceaux de cendre. Autour de ce lieu de dévastation, on apercevait de longues lignes de montagnes stériles, sillonnées par des bandes de neige qui descendaient sur leurs flancs rocailleux. Nous marchions ainsi pendant plusieurs heures sans découvrir un seul vestige de culture, sans rencontrer un être vivant, un arbuste, un brin d’herbe. Mais'quelquefois, au milieu de cette enceinte de rochers volcaniques, nous étions tout à coup arrêtés par l’aspect d’un lac bleu enfermé dans cette terre aride, comme une coupe d’argent pour l’oiseau des montagnes qui vient y rafraîchir son aile, pour le voyageur qui y trouve une eau pure et limpide. Quelquefois aussi nous apercevions, à une assez longue distance, l’enclos vert et les murs de gazon du bœr.Nous nous dirigions à la hâte de ce côté; notre guide frappait, avec le manche de son fouet, trois coups à la porte, et le paysan venait nous recevoir, et la jeune fille islandaise, timide et curieuse, s’avançait, avec ses cheveux blonds sur t’épàule, pour nous offrir une jatte de lait. C’était un de nos délassemens de voyage d’entrer dans le bœr, si pauvre qu’il fût, et de causer avec le paysan, assis sur une tête de cheval dans sa cuisine enfumée. L’intérieur de cês habitations est d’ailleurs curieux à observer. Comme elles sont toutes éloignées l’une de l’autre, et, pendant plusieurs mois de l’année, privées de communications, il faut que le propriétaire fasse en sorte d’avoir dans son étroit domaine ce dpnt il se sert habituellement. Ainsi sa demeure est divisée en cinq ou six compar- timens rangés sur la même ligne. Dans l’un est la cuisine et la chambre où il couche avec ses domestiques, dans un autre la laiterie, dans un troisième la forge, les instrumens de menuiserie. C’est lui qui ferre ses chevaux, qui fabrique ses meubles. On a remarqué que les Islandais ont une aptitude particulière pour tous les ouvrages d’industrie. Cette aptitude a dû se déve- lopper par la nécessité où ils sont de pourvoir sans cesse eux-mêmes aux choses dont ils ont le plus pressant besoin. Avec la corne fondue, ils fabriquent des boucles pour leurs brides et des cuillères. Avec la laine ils tissent leurs draps, ils tressent leurs cordes. Dans la même chambre, une femme carde, foule et teint la laine destinée à faire une pièce de drap, fis fabriquent avec des os de baleine, des aiguilles, des boutons , des manches d’instrumens. Un morceau de lave leur sert de marteau, et un bloc de pierre, d’enclume. Dans les premiers mois d’hiver, avant le temps de la pêche, la plupart des paysans passent leurs longues veillées à ces travaux mécaniques. Il en est qui, à force de patience, parviennent à faire des sculptures en bois et des œuvres d’orfèvrerie remarquables. Nous avonsjvu un meuble islandais sculpté par un paysan avec un rare talent. L’œuvre finie, l’artiste avait écrit son nom au bas; mais le bœr où il vivait l’a seul connu : combien d’hommes doués de grandes facultés restent ici sans développer leur génie, et meurent sous un de ces toits de gazon sans être connus ! Dans quelques parties de l’Islandei on décou- vre d’heure en heure des habitations de paysans rangées au bas d’une colline; dans d’autres, nous passions des jours entiers sans en apercevoir une seule. Tout, autour de nous,'avait l’aspect du désert ; tout était morne, sombre, et l’on n’entendait que le cri aigu du pluvier, ou parfois le bruit d’une troupe de cygnes qui s’envolaient à notre approche. Avec le souvenir du paganisme Scandinave, nous eussions pu les prendre pour des Valkyries qui s’en allaient présider à quelque grande bataille (i). Dans ces plaines abandonnées, on éprouve un vrai sentiment de joie, quand, par hasard, on vient à rencontrer une autre caravane. Alors les paysans islandais descendent de cheval et vont s’embrasser, puis ils s’asseoient sur une pierre et se racontent les nouvelles du pays. Celui qui vient de l’intérieur sait si la pêche est bonne, si les chevaux ne sont pas malades. Celui qui vient de Reykiavik est un personnage important. Il i. Scandinaves croyaient que les Walkyries se changeaient parfois en cygnes. Les trois femmes que Veland et ses frères trou* vèrent un jour dans une rivière étaient des. Walkyries. Elles avaient déposé à terre leur vêtement ; et pour les empêcher de fuir, les trois frères s'emparèrent de ce vêtement., sait le prix courant des marchandises, et quel est le marchand danois le plus accommodant. Il sait ce qu’on pense de la paix et dé la guerre, ce que fait l’évêque et ce que dit le gouverneur. i Il répète de point en point tout ce qu’il a appris, et voilà le journal en plein air, la gazette officielle de l’Islande. Ce qui varie à chaque instant le paysage dans une contrée où il n’y a ni forêts, ni champs de blé, ni prairiesce sont les montagnes qui tantôt étendent leur longue chaîne jusqu’au bord de la mer, tantôt s’élèvent par grandes masses comme des forteresses, ou s’élancent dans lés nues comme des flèches de cathédrale. Leur couleur change sans cesse, selon le ciel qui les couvre, et l’heure à laquelle on les observe. Le matin on les voit surgir comme des vagués bleues au-dessus de l’horizon ; le soir, le soleil les inonde de ses rayons, et les fait resplendir comme des dômes dorés. Souvent, après une longue journée de marche, soit par un effet de mirage ou de réfraction, soit par l’effet de notre imagination, nous, voyions ces montagnes se dessiner devant nous comme les remparts qui entourent une ville de guerre, et oubliant qu’il n’y a dans ce pays ni ville ni remparts, nous avancions avec un indicible mélange de joie et d’inquiétude. Déjà nous distinguions la pointe des clochers, le faîte des maisons; il nous semblait entendre la rumeur de la foule, quand tout à coup notre cheval allait se heurter contre une pierre, et nous n’apercevions plus devant nous qu’une masse de lave. Ces effets de réfraction apparaissent fréquemment dans le Nord. Scoresby, dans son Voyage au Groenland, en cite des exemples étonnans. Au milieu des glaces flottantes qui entouraient son navire, souvent il a vu se dresser devant lui des maisons et des remparts, des tours bâties en forme de minarets et de longues lignes d’édifices pareilles à des villes orientales. Un jour il reconnut dans la réfraction des nuages le vaisseau de son père, dont il était éloigné de plus de trente milles. Il nota l’heure à laquelle il avait fait cette observation , et, quelques jours après, son père lui- même la confirma. U y avait, il y a quelques années, à l’ile de france, un homme qui annonçait plusieurs jours d’avance, par la disposition des nuages, l’arrivée des navires. Du sommet de ces montagnes nous redescen- dions dans les champs de sable volcanique, le long des grandes rivières que nos chevaux traversaient à la nage, ou sur la grève, auprès des baies où viennent aborder le bateau pêcheur et le navire marchand, et chacun de ces chan- gemens de site nous offrait un nouveau tableau et de nouvelles impressions. Un matin, nous côtoyions ainsi les bords de la mer. Les vagues se déroulaient sur la grève comme des nappes d’argent, et venaient baigner les pieds de nos chevaux. Un peu plus loin elles s’élançaient avec impétuosité contre une ligne de brisans, et faisaient jaillir dans l’air des gerbes d’eau perlée, des flots d’écume étincelans. Toute la plage était déserte, mais l’hirondelle, dans son vol gracieux, rasait du bout de l’aile les vagues du rivage, et l’on voyait briller au-dessus de l’eau les yeux chatoyans du phoque, cette meermaid du moyen-âge. A quelque distance de là s’élevait la chapelle en bois construite sur la dune. C’était un dimanche. Les pêcheurs, réunis autour du prêtre, avaient entonné lei chant religieux, et ce chant arrivait à notre oreille comme le son d’une voix plaintive et solennelle, et c’était une admirable chose que le calme de cette frêle t église au bord de la mer agitée, l’aspect de cette croix au milieu de la solitude, et l’harmonie de ces voix religieuses passant à travers le bruit des vagues et les sifflemens du vent. Tout ce qu’il y a de grave et de poétique dans ces diverses contrées de l’Islande, s’accroît encore si l’on y passe avec les divers souvenirs historiques qui s’y rattachent ; car chacune de ces baies, de , ces vallées, de ces montagnes, a sa place marquée dans les anciennes sagas, ou dans les annales modernes. Souvent cette histoire est triste ; c’est le récit d’une éruption de volcan, le tableau d’une famine, d’une épidémie et de tous ces fléaux qui ont traversé l’Islande à chaque siècle; mais en remontant plus haut, elle se revêt d’un caractère héroïque qui lui donne un singulier prestige. C’est le temps des Jarls et des Scaldes, le temps des mythes religieux et des combats à main armée. Ici lngolfr, le premier colon de l’Islande, retrouve leâ pénates qu’il avait jetés à la mer pour lui indiquer le lieu où il devait aborder; là vivaient les Sturles ; ailleurs est la montagne célèbre dans la saga de Niai. Dans cet humble bœr qu’on trouve auprès du Geyser, Aræ Frode, le premier historien de l’Islande, écrivait son Landnama Bok et ses Sckedoe. Dans cet autre, non loin de Breida- bolstadr, Sœmund chantait l’Edda. Il n’y a plus ici, il est vrai, de monumens primitifs ; les uns ont disparti avec le temps, les autres ont été transportés à Copenhague. Mais l’histoire est là qui indique à chaque pas l’endroit qu’il faut voir et le nom qu’il faut y chercher.. Le lieu le plus célèbre de l’Islande, c’est Thingvalla (1). C’est là que, dans les premiers temps de la république, les principaux habitans du pays avaient organisé un gouvernement central ; c’est là que chaque année se tenaient ces assemblées générales, ces althing, espèces de champ-de-mars, où l’on venait délibérer sur les affaires publiques et promulguer les nouvelles lois. Là, en l’an 1000, le christianisme fut adopté à la majorité des voix. Là venaient les grands juges, et les deux évêques, et les chefs des différens districts. On réglait les impôts, on lisait à haute voix les principaux contrats de (i) J’emploie ici le mot mis en usage par les étrangers. Le vrat mot islandais estTüiug-volIr, au pluriel Thingvallr (Champs du Tking). Les Islandais écrivent Thing avec le caractère runique et anglo- saxon dont les Anglais ont fait leur th. vente et de mariage * car c’était à la fois une assemblée politique et une assemblée de famille. . Quand le lœgmadr avait parlé pour tout le pays, le sysselmadr parlaitpour son canton. Les prêtres tenaient leur synode, le tribunal supérieur jugeait les procès criminels. Non loin du tertre de gazon où il venait siéger, est le rocher. où l’on décapitait les hommes, le lacoù l’on jetait dans un sac les femmes condamnées à mort, et le bûcher où l’on brûlait les sorciers. Les assemblées de Thingvalla commençaient ordinairement au mois de juillet et duraient quelques semaines. Les deux chefs de l’althing occupaient une petite maison en pierre dont on voit encore les vestiges, les autres campaient sous des tentes. Pendant le temps delà république, le président de l’assemblée était le lœgmadr élu par le peuple. Plus tard, quand l’Islande fut réunie au Dane- , mark, le gouverneur nommé par le roi s’empara successivement des différentes attributions du lœgmadr, et il ne lui resta plus que son caractère d’homme de loi et son droit de juridiction. Les comices de l’althing ont duré huit siècles. Ils ont passé tour à tour par le paganisme Scandinave et le christianisme, par la ferveur catholique des, premiers temps et la réformation, parla république et la monarchie. Une ordonnance du roi de Danemark les a supprimés en 1800 ; le tribunal supérieur, le gouverneur, l’évêque, sont aujourd’hui àReykiavik. C’est dans le fond d’une coulée de lave, entre les masses gigantesques de rochers, que se tenaient les séances de l’althing. A voir ce vallon étroit, isolé au milieu des montagnes, resserré par ces lourdes murailles de pierre, on dirait que la nature avait disposé ce lieu exprès pour les orageuses assemblées d’un peuple de pirates et de guerriers. Lorsqu’on arrive à Thingvalla, par la route de Laxelv, on descend dans ce vallon comme dans un abîme, par une pente tortueuse, par un sentier rompu qui ressemble à un lit de torrent. A droite, les rochers s’inclinent vers le lac, comme s’ils suivaient encore la pente que leur imprimait le volcan enflammé ; à gauche, ils s’élèvent comme de hauts remparts , et se dessinent à l’horizon sous les formes les plus étranges. D’un côté, le vallon est fermé par ce chemin où l’on n’avance qu’avec peine, de l’autre par une cascade. Tout autour on n’aperçoit que des montagnes rouges, une plaine semée de quelques arbustes chétifs, un grand lac, et au bord du lac la pauvre église de Thing- valla. Le soir, quand ce paysage est éclairé par les doux reflets d’une lumière argentée, quand tout est calme, et qu’on n’entend que la chute de l’eau, et le léger frôlement de quelques touffes de mousse chassées par le vent, c’est l’un des lieux les plus romantiques qu’il soit possible de voir; et si, au milieu de cette solitude profonde, on se représente les grandes réunions d’autrefois, les tentes blanches dressées dans le vallon, les juges assis sur les blocs de lave, les chefs de chaque cohorte marchant sous leur bannière, et le peuple dispersé à travers les rochers, je ne sache pas de tableau plus digne d’occuper le pinceau du peintre et la plume de l’historien et du romancier. Tandis que nous étions campés sous notre tente au milieu du vallon, nous vîmes venir à nous un homme dont l’extérieur et les vêtemens portaient l’empreinte de la misère, qui nous demanda dans un langage barbare, mêlé de latin, de danois et d’islandais, si nous voulions 4 acheter du lait et du poisson. C’était le prêtre de Thingvalla. Le sort des prêtres dans ce pays est triste, plus triste encore que celui des prêtres d’Irlande, sur lesquels on s’est si souvent apitoyé. Us ne reçoivent rien du gouvernement. Us ont pour tout bien la jouissance de la ferme qui appartient à l’église, et le quart des dîmes payées par leur paroisse. Si la veuve de leur prédécesseur vit encore, ils sont obligés de lui abandonner une part du produit de la ferme. Si la vieillesse ou les infirmités les empêchent de faire leur service, on leur donne un chapelain avec lequel ils partagent encore leur mince revenu. Ils ont une certaine taxe pour les diverses cérémonies du culte, mais cette taxe est très légère, et les paysans la paient avec du héurre et du poisson. U y a certaines églises oùle produit de la dîme, du casuel et de la ferme ne rapporte pas plus de ao à 3o thalers (60 ou 90 francs ) ; celle de Thingvalla est de ce nombre. Les prêtres ne peuvent plus exiger de corvées de leurs paroissiens. La seule prérogative dont ils jouissent encore, c’est de pouvoir placer à la fin de l’automne, dans chaque bœr, un mouton que le paysan s’engage à nourrir pen- dant l’hiver, et à leur rendre au printemps. Ne pouvant vivre avec ce peu de ressources, le prêtre est obligé de travailler comme le plus pauvre habitant de son district; il cultive sa ferme, il ferre ses chevaux, il va à la pêche, il est, pendant six jours de la semaine, pêcheur et paysan. Le septième il revêt le surplis et prêche ses paroissiens. Le malheur est qu’avec cette vie de labeur, le prêtre finit par s’assimiler aux bateliers avec lesquels il passe une partie de son temps.En travaillant comme eux, il prend l’habitude de boire de l’eau-de-vie comme eux. Il oublie lui-même sa dignité de prêtre, et le dimanche , s’il prêche la patience et la sobriété, Dieu sait comment il doit être écouté. La demeure du prêtre de Thingvalla était plus sale, plus misérable que toutes les demeures de paysans que nous avions visitées jusque-là. Dans une chambre obscure, humide, sur le sol nu, nous trouvâmes deux lits qui ressemblaient à des grabats. C’était le sien, celui de sa femme et de ses enfans. A côté, il y avait ses provisions, qui se composaient de quelques pains de suif, d’un peu de seigle et de lait. Une vieille femme cardait de la laine dans une autre chambre, et un lépreux broyait le seigle sous une pierre. La lèpre est une maladie fréquente dans ce pays, mais les Islandais ne redoutent pas l’approche de ceux qui en sont affectés. Ils la regardent comme une maladie héréditaire, mais non contagieuse. Si le malheureux lépreux de la vallée d’Aoste était venu dans ce pays, il aurait pu y trouver des amis et une sœur. Nous couchâmes le soir dans l’église. C’est le refuge habituel des voyageurs, qui, dans les mauvais temps, ne pourraient reposer sous une tente. L’église n’est du reste que comme un appendice de la ferme du prêtre. C’est là qu’il vient écrire, c’est là que sa femme étend la laine; et le tribut que les étrangers lui paient pour y passer une nuit ou deux, il le garde pour lui. Le lendemain nous étions en route pour le Geyser, et nous nous arrêtions avec surprise auprès du cratère de Trenton, dont le sommet, chargé de scories de lave, est comme une cheminée ouverte prête à lancer encore la flamme et la cendre. De là, on ne marche qu’à travers un sol dévasté, jusqu’aux sources chaudes de Laugarvatn. Nous voyageâmes tout le jour et toute la nuit. Le matin, au lever du soleil, nous passions sur une mauvaise planche la large cascade de Bruara, et deux heqres après nous étions au milieu des vapeurs du Geyser. La température avait changé complètement. Le thermomètre était descendu de îa degrés à o, et un vent violent soufflait dans la plaine. Les sources bouillantes du Geyser sont situées sur une colline, au-dessus d’une plaine marécageuse, formée par une ceinture de montagnes noires qui donnent à toute cette contrée un caractère de deuil et de tristesse. Au milieu le mont Hécla lève sa tête blanche, et à l’extrémité apparaît le Blaafial, plus chargé de neige encore que l’Hécla. Le grand bassin du Geyser est.entouré d’une croûte épaisse de silice, taillée par parcelles comme une écaille de tortue. Il a 16 mètres de largeur et 2 3 de profondeur. Près de là est le Strockr (1) qui partage avec le grand bassin l’admiration des voyageurs. Mais à chaque pas sur la colline, on rencontre une quantité d’autres sources, celles-ci larges.et profondes, ouvrant leur bassin de silice rose, et leurs cavités bleues comme l’azur du ciel ; celles- (1) Geyser vient de Geys (fureur), Strockr en islandais signifie pyramide. là commençant à peine à sortir de terre, et fumant à travers le gazon qui les recouvre à demi. De chaque côté, l’eau ue ces sources se répand sur le sol qu’elle pétrifie, et la vapeur qui s’échappe de la chaudière ardente s’en va comme des nuages de fumée à travers la plaine. Aussi je comprends maintenant lanaïve pensée de ce vieil auteur du Kongs-Skugg-Sio (i), qui, ne sachant comment expliquer cette chaleur souterraine, écrivait, dans sa candide ignorance, que toutes ces sources étaient autant de fournaises où le démon faisait bouillir les damnés. Le Geyser ne jaillit pas régulièrement. Il est soumis à l’influence de la pluie, du vent, des saisons. Nous avions établi notre tente entre les sources mêmes, afin de voir l’éruption de plus près, et nous l’attendions avec impatience dès le moment de notre arrivée. Le jour, nous craignions de nous écarter, la nuit nous veillions chacun à notre tour, afin de donner le signal à nos compagnons de voyage. Plusieurs fois nous fumes réveillés par les cris de celui qui montait la garde. Le bassin du Geyser commençait à (x) Livre islandais curieux, écrit au douzième siècle, traduit en latin sous le titre dé Spéculum regale, imprimé à Sorœ «1^1768, in-4. s’agiter. On entendait tin bruit souterrain pareil à celui du canon , et le sol tremblait comme s’il eût été frappé par des coups de bélier. Nous courions en toute hâte au bord de la colline; mais le Geyser, comme pour se jouer de nous, montait jusqu’au-dessus de sa coupe de silice, et débordait lentement comme un vaSe d’eau qu’on épanche. Enfin, après deux jours d’attente , nous fîmes jaillir le Strockr, en y faisant rouler une quantité de pierres et en y tirant des coups de fusil. L’eau mugit tout à coup comme si elle eût ressenti dans ces cavités profondes l’injure que nous lui faisions, puis elle s’élança par bonds impétueux, rejetant au dehors tout ce que nous avions amassé dans son bassin, et couvrant le vallon d’une nappe d’écume et d’un nuage de fumée. Ses flots montaient à plus de quatre-vingts pieds au-dessus du puits, ils étaient chargés de pierres et de limon; une vapeur épaisse les dérobait à nos regards, mais, en s’élevaût plus haut, ils se diapraient aux rayons du soleil, et retombaient par longues fusées comme une poussière d’or et d’argent. L’éruption dura environ vingt minutes, et deux heures après, le Geyser frappa la terre à coups redou- blés, et jaillit à grands flots, comme l’eau du torrent, comme l’écume de la mer, quand le vent la fouette, quand la lumière l’imprègne de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Nous assistions alors à l’un des phénomènes naturels les plus curieux qui existent ; mais ce qui a rendu notre séjour au Geyser plus intéressant encore, ce sont les observations de géologie et de météorologie faites par deux de nos compagnons de voyage. M. Robert a recueilli autour de ces sources brûlantes des échantillons curieux de lave et de silice, et M. Lottin s’est assuré par une épreuve réitérée que la température des sources bouillantes du Geyser s’élevait à plus de cent degrés. Une fois notre travail achevé, nous reployâmes notre tente, et nous partîmes pour Skalholt en saluant gaiement le Geyser, comme des moissonneurs saluent le champ où ils ont récolt é. Quand on parle de l’Islande, l’un des premiers noms sur lesquels se reporte d’abord la pensée, c'est celui de Skalholt. C’est la vieille capitale de cette fière aristocratie des Jarl, qui auraient voulu faire de chacun de leur vidage une capitale. C’est la véritable Athènes de ces landes du Nord, qui, dans les premiers siècles du moyen-âge, portèrent sur leur couche de pierre plus de fleurs de poésie que les contrées méridionales. Le premier siège épiscopal de l’Islande fut établi à Skalholt, ainsi que la première école., Là fut aussi, pendant une vingtaine d’années, l’imprimerie (i). Là ont vécu des hommes justement célèbres, des orateurs, des philosophes, des historiens ; cet Isleifr qui commença, en l’an 1057, ses fonctions de premier prélat de l’Islande, par assembler autour de lui une troupe d’enfans , à qui il enseignait les belles-lettres; ce Gissur, qui, au commencement du xi i* siècle, avait visité les grands états de l’Europe, et parlait la langue de tous les pays où il avait voyagé, si bien qu’à son retour on lui donna le surnom de Flos Peregrinatiànis ; Thorlakr, l’érudit, et Finnsen, le savant auteur de XHistoire ecclésiastique. Deux fois l’église (1) De 1684 à 1704. Elle était venue de Hoolum, elle y retourna. Entre autres bons livres imprimés à Skalholt dans ce court espace de temps, il faut compter le Landnama Bok, la saga du roi Olaf, les Harmonies évangéliques, la Grammaire latine, le livre de l*Althing. Nous avons rapporté en France quelques-uns de ces livres, qui sont à présent > en Islande même, de vraies raretés. métropolitaine de Skalholt fut brûlée, et deux fc'v rebâtie à grands frais sur un plan plus large. L’évéque donnait alors des fêtes auxquelles il invitait buit cents personnes, et chacune d’elles, en s’en allant, recevait quelque présent. Plus tard, lorsque l’école de Hoolum fut fondée, celle de Skalholt conserva encore sa prérogative. En l’an 1100, on enseignait dans cette école le latin, la grammaire, a poésie, la musique. C’est plus qu’on n’en savait alors dans d’autres grandes villes du reste" de l’Europe. Au xn® siècle, dans une de ces écoles, l’évêque qui la dirigeait surprit un des élèves lisant Y Art d’aimer, d’Ovide; et comme l’histoire rapporte qu’à la vue de ce livre l’évêque entra dans une sainte colère, on peut supposer que puisque le digne prélat en connaissait si bien les dangers, lui-même autrefois l’avait lu. En i55a, le roi de Danemarck établit un nouveau réglement pour ces deux écoles. Il donna aux évêques la jouissance de quelques biens que la réformation avait enlevés au clergé, et leur imposa l’obligation de pourvoir à l’entretien des élèves. Mais trop souvent les évêques, au lieu de remplir noblement leur devoir, s’a- bandonnèrent à un indigne sentiment de cupidité. Ils prenaient pour eux le revenu des biens qui leur étaient confiés, et dépensaient pour les élèves le moins possible. Plusieurs fois le roi leur écrit pour les rappeler à leur devoir. Finnsen rapporte, dans son Histoire ecclésiastique , une lettre qui montre dans quels minces détails il fallait entrer, et quelles précautions on était obligé de prendre pour garantir les pauvres élèves stipendiâmes de l’avarice des prélats. Permettez-moi de vous citer quelques passages de cette lettre vraiment caractéristique, et pour le temps où elle fut écrite, et pour le pays auquel elle s’adresse. « L’évêque, » dit le chancelier, qui parle au nom du roi, «entretiendra, pour l’amour de « Dieu, une bonne école et vingt-quatre éco- « liers : il aura un professeur et un maître ; « il donnera au premier 60 thalers par an « (180 francs), en beurre, poisson, vadmal, ou « argent, comme il voudra. Il lui donnera de « plus quatre moutons vieux (4 garnie faar ; « le chancelier avait sans doute peurque l’évêque « ne donnât des agneaux), trois mesures de fa- « rine, une de sel, une de beurre, deux cents a poissons et du lait. « Il donnera au maître 20 thalers par an. « Il sera obligé de donner aux élèves une « bonne boisson et de bons alimens: aux plus « grands, à chaque repas, le quart d’un gros « poisson, ou la moitié d’un poisson ordinaire; « aux plus petits, le quart d’un bon poisson et « du beurre. « Les repas devront être préparés à une heure « précise, de manière que les élèves ne négli- « gent pas leurs leçons. « Si Dieu voulait que quelques-uns d’entre « eux devinssent malades, l’évêque devra les « garder, pour en prendre soin, et leur faire « servir du poisson frais, du lait et de la soupe. « Chaque année, à la Saint-Michel, il fournira aux élèves des vêtemens : aux grands, dix aucunes de vadmal; aux autres, sept aunes. « II leur donnera de 1» lumière pour étudier « le soir et pour se coucher. « U ne pourra, sous aucun prétexte, les dé- « tourner de leurs leçons pour tes employer à « quelque travail que ce soit, et sera obligé de « les garder été et hiver. » Malgré toutes ces précautions, les écoles ne furent pas mieux entretenues. Les maîtres et les élèves se plaignirent. Les évêques aussi se plaignirent de ne pouvoir satisfaire aux obliga- tiens qu’on leur imposait, et, en 1746, ils obtinrent une ordonnance qui, tout en leur conservant le même revenu (1 ), réduisait à huit mois de l’année le temps des études. En 1797, la réunion des deux évêchés de Hoolum et de Skalholt en un seul entraîna celle des deux écoles. La nouvelle institution, basée sur de nouveaux réglemens, fut d’abord établie à Rey- kiavik ; de là elle a été transférée à Besesstad dans l’ancienne maison du gouverneur, et elle y est restée. Nous arrivions dans la capitale primitive de l’Islande avec tous les souvenirs de son histoire, rêvant à ses riches évêques, à ses réunions de savans ; et lorsqu’au détour d’une colline le guide me dit : « Voilà Skalholt ! » je ne pouvais (1) Ce revenu montait à a,5oo thalers ( 7,5oo fr. ) pour Skalholt, qui devait avoir vingt-quatre élèves, et 2,000 thalers pour Hoolum, qui n’en avait que seize. C’était à cette époque une somme considérable pour l’Islande. Les évêques recevaient en outre plusieurs élèves riches qui payaient le prix de leur pension. croire que le malheureux groupe de maisons que j’apercevais devant moi fut cette vieille cité dont je m’étais fait un autre tableau. C’était pourtant bien Skalholt: un pauvre bœr de paysans, habité par trois familles, qui se partagent la même laiterie et la même cuisine; une église en bois, étroite et mal bâtie, voilà Skalholt. Le cimetière seul atteste qu’il y avait là autrefois une métropole. U est tracé dans des proportions plus grandes que l'église et le bœr. Les morts ont mieux gardé que les vivans la place où fut le siège épiscopal. Près du cimetière sont les ruines de l’ancienne école, et l’endroit où le paysan a bâti sa triste cabane est celui même où l’évêque avait autrefois sa demeure. L’église aussi a été reconstruite sur un plan plus vulgaire, et dans des dimensions beaucoup plus petites. Elle a cependant conservé quelques restes de sa fortune première, plusieurs beaux livres, plusieurs ornemens d’autel précieux, des chasubles richement travaillées, et un calice en vermeil, qui, à en juger par ses ciselures, par ses médaillons peints sur émail, doit remonter aux premiers temps de la renaissance de l’art. Si je ne me trompe, c’est le calice dont il est parlé dans l’hifetoire ecclésiastique d’Islande, qui fut apportée Skalholt par l’évêque Klangr, en 1153. Ce qu’il y a ensuite de plus remarquable dans cette église, ce sont des inscriptions de tombeau. Une, entre autres, m’a frappé par son expression poétique: ellefutfaite pour la fille de l’évêque Vidalin,qui, lui aussi, peut être mis au nombre des hommes distingués de l’Islande ( i ). Je vais dans la tombe profonde, Heureuse épouse du Seigneur. Mon nom n'était pas de ce inonde, Il est dans un monde meilleur. / La mort apporte à mon enfance Le froid baiser qui fait soqffrir. * Mais gaiement là-haut je m’élance, Je revis pour ne plus mourir. Adieu donc, lumière infidèle f Pâle reflet d'un jour plus pur. D’ici la lumière éternelle M’apparait dans ce ciel d’azur. Nous visitâmes tout Skalholt et toutes ses ruines, et chaque pas que nous faisions sur ce (i) Il a laissé plusieurs recueils de sermons, un recueil de discours et de poésies latines, et un livre de religion intitulé : Postilla evan- geîica, qui se trouve dans toutes les maisons islandaises. Il avait été d'abord professeur à l’école de Skalholt. B mourut en 1710. sol poétiqtie ajoutait à nos déceptions. Nos rêves du passé furent interrompus par un incident qui ne pouvait guère les égayer. Le cheval qui portait nos provisions avait pris une autre route que la nôtre. Nous demandâmes du pain au propriétaire du bœr ; mais les Islandais ne mangent pas de pain. Pour le remplacer, la femme du paysan nous fit, avec de la farine de seigle," une espèce de galette, comme on en prépare ici dans les occasions extraordinaires, une galette qui n’est ni pétrie ni cuite. Quand nous en eûmes mangé, nous fûmes tous malades; mieux valait encore faire diète; et nous partîmes tous de Skalholt plus affamés qu’en y entrant. Delà à l’Hécla, nous avions une longuejournée à faire, et deux larges rivières à traverser; mais, de distance en distance, nous voyions la tête blanche du cratère se dessiner comme un croissant entre les brunes sommités des autres montagnes, et alors nous redoublions le pas et nous marchions avec ardeur. Si le long de notre chemin nous avions été frappés de toutes les traces sinistres des éruptions de volcans, quand nous arrivâmes aux environs de l’Hécla, il nous sem- \ bla que nous n’avions rien vu. C’est là qu’il fallait venir chercher l’aspect de la ruine et de la désolation. Partout le sol bouleversé, partout la terre enfouie sous ce déluge de feu; des blocs de lave comme des murailles, des montagnes de cendre engendrées par le cratère, et vomissant à leur tour d’autres montagnes, voilà ce que nous contempliûns avec un sentiment d’effroi et de stupéfaction. Cette fois, nous ne pou- vions'plus suivre en droite ligne notre chemin. U fallait passer autour des masses de pierres, se glisser entre les rochers, éviter les crevasses. Nous courions des bordées sur cette terre de volcans, comme un navire qui a le vent contraire, et qui marche vers le port en le perdant de vue. A chaque pas, un rempart de roc, une rivière formée par la neige des montagnes, ou un marais baigné sans cesse par la rivière. Nous regardions de temps à autre l’Hécla, dont le soleil dorait alors la robe blanche, et qui, du haut de sa crête glacée, semblait se moquer de notre fatigue et de nos efforts. Enfin, après avoir fait de longs détours dans le même cercle à travers la cendre et la pierre calcinée, nous arrivâmes dans une jolie vallée, abritée entre des rochers, 5 coupée par un ruisseau. Au fond, nous aper- çùmesune ferme, un enclos de gazon. C’était bien un Eldorado au milieu d’une terre aride, une oasis dans le désert, si jamais il en fut. Nous établîmes là notre tente, après seize heures de marche. Nous étions au pied du cratère. Le lendemain, nous partîmes avec Un homme du pays pour faire cette ascension de l’Hécia, qui, dès notre arrivée en Islande, avait été notre rêve le plus beau. Le temps était sombre, mais nous craignions qu’un autre jour il ne de* vînt plus sombre encore. Nous gravîmes à cheval les premières aspérités. A mesure que nous avancions, nous pouvions fcuivrç, de distance en distance, tous les élémens d’une éruption : d’abord la pierre ponce, poreuse et légère, qui monte à la surface du cratère, comme l’écume à la surface de l’eau, et s’envole au loin comme la cendre chassée par le vent; puis la scorie broyée, tordue entre les masses de lave dont elle s’échappe, comme la crasse des lingots de fer; puis la lave plus ferme et plus compacte; puis le basalte serré, luisant, poli comme le matrbre; puis enfin l’obsidien, noir cômme le jais, brillant comme le verré, dégagé de tout alliage étranger, et sortant du cratère- pur comme l’acier. Après deux heures de marche, nous mîmes pied à terre, et alors vint la fatigue. Comme il avait fallu nous précautionner contre la neige et le froid, nous portions de grosses bottes et de lourds vétemens. Le chemin était escarpé, raboteux, montant en droite ligne; nous marchions en courbant le dos, et en nous appuyant sur nos genoux. Biéntôt nods arrivâmes au pied d’-une montagne hérissée de pointes de basalte et de blocs de pierres détachés du sol. Là, rien ne soutenait nos efforts; quand nous posions le pied sur un roc, il s’écroulait sous nous ; quand nous croyions marcher en avant nous redescendions avec les pierres qui suivaient l’ébranlement que nous leur donnions et nous entraînaient dans leur chute. Pas un arbuste -n’était là pour nous servir d’appui, pas une plante à laquelle nous puissions nous cramponner. Tout ce roc escarpé était comme une muraille nue et vacillante, qui semblait s’en aller en morceaux quand nous essayions de la gravir. A chaque instant, il fallait nous arrêter pour nous reposer et reprendre haleine* Quel- ques-uns de nos compagnons de voyage qui avaient été sur des montagnes beaucoup plus élevées, nous disaient n’avoir jamais éprouvé une telle fatigue. Pour moi, je me couchais tout au long sur les rochers de basalte, et en étendant les jambes sur cette pierre froide, j’éprouvais une douleur comme si on me les eût brisées. Lorsque enfin nous fûmes arrivés au sommet de cette pointe aiguë, nous en vîmes s’élever une seconde devant nous ; èt après Celle-ci une troisième, car toute là montagne n’est qu’üne longue suite de pics escarpés étagés l’un sur l’autre, et fuyant comme des gradins. Pendant que nous accomplissions ainsi péniblement notre ascension, le ciel s’était assombri. Le vent sifflait, la pluie tomba à flots, et, un peu plus haut, cette pluie était de la neige. Alors une brume épaisse enveloppait la montagne; un rideau de nuages nous serrait dans ses sombres replis, et nous ne distinguions plus rien autour de nous. Notre guide, las et découragé, refusait d’aller plus loin. Nous n’étions encore que sur le premier cône de l’Hécla; nous voulions continuer notre route jusqu’au bout. Après avoir employé toute notre éloquence de voya- geurs, nous finîmes par le décider à nous mener jusqu’au pied du second cône; là, nous deman» dames à aller au ftiiiieu, puis au-dessus , et enfin sur la cime de l’HécIa. L’orage avait cessé. Un rayon de lumière perçait à travers les brouillards; mais c’était ce rayon de lumière qui ne sert qu’à faire mieux ressortir l’obscurité. Nous distinguions au-dessous de nous les montagnes comme des masses confuses, la plaine couverte d’une brume épaisse, et à travers cette brume, cette plaine, ces montagnes, le soleil voilé par les nuages projetait de loin en loin une lueur vague, une teinte blafarde. El tout était morne, silencieux comme le désert, profond comme l’abîme. Pas un cri ne se faisait entendre ; pas un être vivant, pas une.plante ne se montrait à nos yeux. On eût dit la nature morte, entobrée' par la nuit, plongée dans le chaos. Tout à coup le rideau de nuages se déchire, l’azur du ciel reparaît, les rayons de soleil éclatent dans l’espace. Le long de la vallée, le vent balaie le brouillard, qui s’entr’ouvre, s’éclaircit, et s’en va par lambeaux, léger et transparent comme un voile de gaze. D’un côté, nous voyons reparaître toutes les montagnes qui environnent l’Hécla, avec leur crête rouge et leurs bords cendrés; de l’autre, les Snœfial, qui portent dans les nues leurs épaules de neige et leurs pics de glace, brillans comme des pointes de lance aux rayons du soleil. A nos pieds, la plaine se déroule au loin avec les lacs d’eau limpide, qui parsèment sa robe verte comme des diamans, et les deux rivières qui la traversent comme des guirlandes. La montagne bleue, voisine du Geyser, s’élève au milieu de la vallée; et devant nous, à l’horizon, nous apercevons comme une ceinture d’or la pleine mer, étincelante 'de lumière, et les îles Westmann. Nous restâmes saisis d’un sentiment inexprimable d’admiration en face d’un spectacle si inattendu. C’était le jour de printemps de cette nature désolée; c’était le fiat lux de cette nuit de chaos. Alors nous oubliâmes en un instant et la fatigue de notre excursion et le froid et la neige. Nous saluâmes d’un cri de joie enthousiaste ces solitudes lointaines, et notre vieux guide lui-même partageait nos transports. C’était la seconde fois de sa vie qu’il montait jus- / qu’au haut de l’Hécla, et la première fois qu’il y montait avec des Français. Nous avions quitté notre tente à neuf heures du matin; nous y rentrâmes à minuit, riches de nos souvenirs, heureux de notre journée. Digitized by Google INSTRUCTION PUBLIQUE. En partant pour l'Islande, mon but était ‘ d’observer l’état actuel de la littérature et de l’instruction dans le pays que j’allais visiter, afin de comparer dans ses rapports intellectuels l’époque moderne à l’époque ancienne, l’Islandais laborieux de nos jours à l’Islandais nomade des sagas. J’ai commencé cette étude avec un vif sentiment de curiosité, et je l’ai poursuivie avec un nouvel attrait, lorsque j’ai vu qu’en me livrant à cette exploration, je ne m’aventurais pas sur une terre ingrate. Avoir cette pauvre population d’Islande, ces paysans condamnés à une vie de labeur et de privation, et ces pêqbeurs exposés sans cesse aux orages de leur mer du Nord, on ne s’attendrait pas à découvrir ftarmi eUx le goût de la lecture et de l’étude, et cependant, il n’en est pas un qui ne se plaise à porter dam sa chétive cabane quelques livres. Dans presque tous les bœr que nous avons visités, dans la demeure du pâtre comme dans celle du fermier, nous avons toujours trouvé une bible et des sagas. La bible et les sagas, c’est leur dot de mariage, c’est le legs de leurs pères, c’est le trésor de famille qui a succédé à la cotte d’armes du Vi- hingr, à la hache des Berserkir. Dans les. longues soirées d’hiver, quand la tempête gronde autour de l’humble bœr, quand la neige couvre tous les chemins et interrompt toutes les communications , la famille du paysan se réunit dans une même salle. Les femmes préparent les vê- teinens de laine, les hommes façonnent leurs instrumens de pêche ou d’agriculture, et, à la tueur d’un pâle flambeau, le maître de la maison prend un livre et lit à haute voix. Souvent même, si les livres lui manquent, il récite par cœur des fragmens de poème, et des sagas entières. Ainsi tous apprennent à connaître leur histoire, les actions de valeur de leurs ancêtres, et les faits d’armes qui ont illustré le lieu qu’ils habitent et les lieux qu’ils parcourent. Neuf siècles sont passés, et les noms de ceux qui ont peuplé ees montagnes d’Islande sont encore populaires parmi leurs descendans, et les exploits de ces soldats aventureux qui s’en allaient sur leur barque fragile braver la guerre et les orages font encore palpiter le cœur -pacifique de ces habitans du bœr qui ne pensent plus qu’à élever leurs moutons, ou à jeter leurs filets le long de la côte. Quand le paysan a lu tous les livres qu’il possède, il fait un échange avec ses voisins. Le dimanche il emporte à l’église sa bibliothèque. Il prête ses sagas à ceux qui ne les connaissent pas encore, et les autres paysans lui prêtent les leurs. Il est aussi tel livre qu’il relit régulièrement chaque hiver; il en est d’autres qu’il copie en entier. Nous avons vu dans plusieurs habitations de gros volumes in-folio écrits avec , le plus grand soin. C’étaient les traditions que le paysan avait lui-même copiées, faute de pouvoir les acheter. La société de Copenhague a rendu un grand service à toutes ces réunions de famille en publiant à un prix modéré une nouvelle collection de sagas (i). Aussi les paysans islandais ont-ils souscrit avec empressement à cette collection. Si de la demeure .du fermier nous passons à celle du prêtre ou du sysselmand (a), le cercle de connaissances s’agrandit et l’étonnement redouble. Que de fois je me suis arrêté avec un sentiment de vénération dans un de ces presbytères isolés au milieu des champs de lave! J’entrais dans une chambre humide, malsaine, dépouillée de meubles; mais sur les coffres en bois, sur les fenêtres, sur une planche clouée contre la muraille, j’apercevais les meilleurs livres de science et de littérature, et un homme couvert d’une mauvaise redingote s’avançait (i) Fornmanna sœgur. Copenhague, i83o. Il en a déjà paru îi vol. in-8®. M. Rafn a aussi publié un recueil important sous le titre de Fornaldar sœgur, 3 vol. in-8®. (a) Chef de district. En décomposant ce mot, et en le traduisant littéralement , il signifie homme d'affaires. / vers moi, prêt à me répondre en quatre ou cinq langues, prêt à me parler des grands poètes modernes et des classiques anciens3 ( 1 ). Dans ces habitations solitaires, le pauvre prêtre n’aperçoit devant lui que l’église et le cimetière, l’église où il a été baptisé, le cimetière où il a déjà marqué sa tombe à côté de celle de son père. Pas un être n’est là pour répondre à ses pensées, pour l’encourager dans ses efforts. Tout ce que nous appelons gloire, fortune, moyens d’émulation, tout cela est perdu pour lui ; et cependant, il travaille, il s’instruit, il se fait à lui-même sôn monde poétique. Les muses, pour nous séduire, n’ont pas toujours besoin de venir à nous, la tête couverte de lauriers, et l’étude, que nous devrions déifier comme les muses, attire à elle, par un charme infini, plus d’un homme simple et dénué d’ambition, qui S’attend rien de son travail, que le bonheur même de travailler. Tous les Islandais savent lire et écrire. Ils n’ont cependant point d’école élémentaire publique (i), et il ne peut en être autrement dans un pays où les habitations sont toutes disséminées à travers champs, et éloignées l’une de l’autre; mais chaque bœr est une école, et chaque mère de famille se fiüt elle-même l’institutrice de ses enfans. Le soir, elle les rassemble autour d’elle, et leur donne ses leçons. Les enfans orphelins, ou appartenant à des parens incapables de s’occuper de leur éducation, sont placés, aux frais de la caisse des pauvres, dans une autre famille. C’est le prêtre qui surveille ces diverses écoles, c’est lui qui interroge les élèves, qui approuve ou condamne, et distribue aux pauvres femmes de pêcheurs les livres élémentaires dont elles ont besoin. Le grand jour d'épreuve est celui où les enfans se (t) Je ne parle pas de l’école de Reykjavik, qui n’est fréquentée que par les enfans de la ville. présentent à la confirmation. Pas un d’eux ne peut être admis s’il ne sait lire et écrire, et ce serait pour une mère dë famille islandaise, un vrai malheur de voir ün de ses fils échouer dans cet examen religieux. Deux autres causes contribuent encore à entretenir parmi les Islandais le goût de l’étude, ce sont leurs longues nuits d’hiver et leur isolement. Pendant près de la moitié de l'année, ils vivent seuls, renfermés dans leur bœr, dépourvus de toute société et de tout moyen de distraction. Que feraient-ils alors, s’ils n’aimaient le travail? Les uns lisent, les autres s’occupent d’ouvrages d’orfèvrerie OU de ciselure. L’été leur ramène la vie de voyage : l’hiver leur impose la vie de solitude et de recueillement. Puis l’Islande est maintenant dotée de plusieurs établissemens dont on aime à reconnaître l’heureuse influence. Il y a une imprimerie à Vidœ, une bibliothèque publique et une société littéraire à Réykiavik, une école latine à Besesstad. L’imprimerie fut introduite en Islande en i53o, et établie à Hoolum. Ce fut l’évêque Gudbrandr qui fit ce présent à son pays. En t685, l’évêque Thorlakrobtint'qu’elle fût trans- féréeà Skalholt, mai&eUe n’y resta que jusqu'en 1704. Un autre évêque de HooJum la racheta pour cinq ceAts impériaux ( 1 ), et la transporta de nouveau dans sa métropole. Il est sorti de cette imprimerie plusieurs ouvrages remarquables , et entre autres deux belles bibles in- folio, devenues fort rares. En 1770, Olafr-Ols- sen établit encore une imprimerie à Hrappsey. C’est là qu’on édita les recueils judiciaires de l’althing et un grand nombre çle livres fort utiles. Aujourd’hui il n’y a plus en Islande qu’une seule imprimerie. Elle appartient au gouvernement, qui l’afferme au propriétaire de l’ancien cloître de Vidœ pour deux cents écus par an. On y imprime des livres d’éducation et des livres de prières, quelques recueils de poésie, et les sagas versifiées que les étudiants islandais publient sous le titre de Rimur. L’imprimeur emploie trois ou quatre ouvriers, et des commissionnaires distribuent ses livres dans toutes les parties de l’Islande. La bibliothèque de Reykiavik fut fondée en 1821 par les soins de M. Rafn, professeur à (x) Monnaie ancienne du paya. / Copenhague. Elle appartient à toute l'Islande, car toute l’Islande a contribué à la former, à l’enrichir. Le gouvernement danois ouvrit une souscription, et les particuliers donnèrent des livres et de l’argent. Chaque année encore, le paysan, le prêtre, le marchand, apportent leur tribut volontaire à cette bibliothèque, et chaque année le gouvernement lui envoie les meilleurs livres imprimés à Copenhague. Aujourd’hui elle compte près de 8000 volumes, composés de classiques anciens et d’ouvrages étrangers. Le but des fondateurs est de la rendre aussi populaire que possible, et surtout d’y former une collection complète de tous les ouvrages ayant rapport à l’Islande. Le lieu qu’elle occupe n’est pas disposé de manière à ce qu’on puisse y venir lire, mais chaque semaine elle est ouverte à jour fixe, et l’on prête des livres aux habitans des districts les plus éloignés, pour plusieurs mois et quelquefois pour un an. Ainsi quand l’Islandais des montagnes du nord vient à Reykjavik, la bibliothèque populaire s’ouvre pour lui, il y dépose son offrande, et il prend les Uvres qu’il veut étudier. Si cette coutume pré- s sente un résultat fâcheux, celui de priver pendant lin assez long espace de temps la bibliothèque de plusieurs ouvrages essentiels, elle offre l’avantage immense de faire eirculer dans les familles une foule de bons livres qu’elles ne pourraient se procurer, de répandre comme une source, abondante la vie intellectuelle dans' toutes les artères de cette lointaine population. La société littéraire d’Islande date de 1816. s Elle se divise en deux branches, celle de Copenhague et celle de Reykiavik. Son but est de propager en Islande le goût de la littérature, et de faire imprimer dans la langue du pays les livres leStplus utiles. Le nombre de ses membres n’est point limité. En même temps qu’elle cherche à s’attacher par un lien de confraternité littéraire les savans étrangers, elle enveloppe dans son vaste réseau toute l’Islande intellectuelle. A part Qoo francs qu’elle reçoit chaque année du gouvernement danois, cette société n’a pas d’autre ressource que la cotisation, à laquelle se soumettent ses membres, et avec ce revenu précaire, et le produit de ses publications, elle a fait paraître plusieurs ouvrages populaires (i), et contribué à la confection d’une carte générale de l’Islande. Outre ces livres excellens d’histoire, de géographie , que la société répand dans chaque district, elle publie encore tous les mois un journal. C’est une simple feuille in-i8, qui a pour titre Courrier du Midi ( SUNNAN POSTURINN ), une feuille créée exprès pour le peuple, écrite pour le peuple. Il n’y a là ni discussions politiques , ni querelles littéraires. Le paysan d’Islande, tout occupé de sa ferme, de sa pêche, est encore étranger à ces graves débats qui agitent si fort nos salons. Seulement le Courrier du Midi lui dit de temps à autre ce qui se passe en Europe, s’il y a une révolution, une guerre, uo désastre, et cela lui suffit. Le plus souvent, on l’entretient de lui-même, on lui donne des conseils d’hygiène, d’agriculture, d’économie domestique. Puis un rédacteur lui annonce les découvertes les plus utiles ; un autre lui communique ses observations astronomiques, et de temps en temps, un troisième chante sur le mètre des anciens scaldes le bonheur et les (i) Je citerai, entre autres, la Sturlunga saga, 4 vol. in-4® ; les Annales d*Islande, 3 vol. in-40 ; les poésies de Grœndal, Olefssen, etc. vertus de l’Islande moderne. Le paysan est enchanté de voir tant de science et de sagesse réunies dans une si petite feuille, et chaque mois il l’attend avec impatience; aussi le Courrier du Midi compte-t-il, sur une population de cinquante mille habitans, onze cents abonnés (i). Une société de jeunes gens instruits et zélés a fondé, sous le titre de Fiolnir (a), un journal qui s’écarte dédaigneusement des routes paisibles frayées par le Courrier du Midi. U y a là, en littérature, un souffle romantique venu des côtes de France; en politique, un vague retentissement de nos éternelles discussions et de nos passions orageuses, qui étonnent fort, et quelquefois effraient sérieusement l’esprit pacifique des Islandais. Le premier numéro de Fiolnir renfermait un fragment des Paroles d'un Croyant. L’humble prêtre qui avait traduit ce livre dans la langue des scaldes m’en parlait comme d’une étrange fiction. (i) On pourrait citer beaucoup d'autres exemples de cet amour des Islandais pour la lecture. Les sagas rimées de Yidœ sont toujours imprimées en très grand nombre, et la douzième édition du recueil de sermons de Yidalin s’est vendue, il n’y a pas long-temps, à trois mille exemplaires. (a) L’un des noms habituels d’Odin. Le journal de la jeune école islandaise paraît chaque année. Il est écrit avec chaleur, si ce n’est avec habileté, et imprimé avec luxe. Il y avait autrefois, comme je l’ai déjà dit ( i), deux écoles latines en Islande. Toutes deux firent d’abord réunies à Reykiavik, et en 1806 l’école de Reykiavik fut transportée à Besesstad. Ce qu’ou nomme Besesstad n’est autre chose qu’une église et une ferme. Il y a là quarante élèves. Il ne peut y en avoir plus, faute de place. Encore couchent-ils deux à deux, ou plutôt quatre à quatre, dans une espèce d’armoire à double compartiment qui chaque soir se ferme hermétiquement sur eux, et dont l’aspect seul fait frémir. Si l’on a pris à tâche de leur donner de bons maîtres et de leur enseigner beaucoup de choses en peu de temps, on s’est très peu occupé de leur bien-être matériel. Leur existence est livrée à un économe qui, pour un prix déterminé (a), se charge de les nourrir et de leur donner des souliers pendant huit mois de l’année (3). Celui qui exerce maintenant cette (1) Voir page 6t. (2) 40 species (environ 240 francs) pour chacun. Le gouvernement danois paie pour vingt élèves. (3) Il faut remarquer que le soulier islandais n’est autre chose qu’un espèce de monopole est, il est vrai, uta homme dont la probité présente de grandes garanties ; mais il a depuis long-temps le désir d’abdiquer SeS fonctiohs, et quand il sera remplacé, à quelle triste spéculation les élèves ne seront-ils pas exposés ! L’école s’ouvre au tei’ octobre et se ferme au Ie* juin. Les élèves ont huit heures de leçon par joür. Us étudient-l'hébreu, le grec, le latin, le danois, l’histoire, la géographie, l’arithmétique , et, dès leur entrée à l’école, la théologie, car BeSësstad est, avànt tout, une école ecclésiastique, fine espèce de séminaire; et de cette contraction forcée dé divers genres d’étude résulte un grand inconvénient. Ceux qui deviennent prêtres, ett sortant de là, sont loin d’avoir acquis les connaissances qui leur seraient nécessaires. Ceux qui suivent une autre carrière Ont paâsé de longues heures à recueillir des notions ‘dè théologie qui leur sont complètement inutiles. Tous les hommes éclairés d’Islande dé* sireraifeüi qu’il y eût au moins deux écoles distinctes. L’argent manque pour les établir. carré de peau de phoque ou de peau de mouton reployé en deux, et tPHtenn *ur b pied avec des courroies. Une jolie paire de souliers coûte 5a centimes. Il y a à Besesstad quatre professeurs Le prer «lier, qui enseigne la théologie et qui représente l’école dans toutes les occasions importantes, reçoit par an fao species ( a4oo franos). Les autres n’ont que 1800 francs. Tous quatre sont des hommes Vraiment remarquables, et tels qu’on serait heureux d’en rencontrer datas beau* coup d’institutions plus renommées que l’humble école de Besesstad. L’un d’eux est très versé dans la connaissance de la langue hébraïque et de l’histoire ecclésiastique. Un autre s’est distingué par ses travaux de géographie. M. Egils- son a pris part à toutes les grandes publications d’ouvrages islandais qui se sont faites dans les dernières années à Gopenbague, et prépare en ce moment une nouvelle édition de l’Edda de * Snorri Sturleson, avec use traduction latine. Le vénérable docteur Schieving, le professeur de littérature latine, est un de ces hommes sa- vans et modestes que l’on n’apprend pas à connaître sans émotion, et que l’on ne peut oublier une fois qu’on les a connus. Il y a vingt ans que M. Schieving travaille à un dictionnaire islandais-latin (1). Il a tour à tour compulsé les an- (1) Le meilleur dictionnaire islandais que nous ayons est celui de ciens livres de droit et les anciens livres d’histoire, les chants des scaldes et les sagas. Quand les livres imprimés lui ont manqué, il est entré en correspondance avec les étudians de Copenhague, afin de faire compulser les manuscrits islandais qui se trouvent à la Bibliothèque. Il a * classé chaque mot dans ses différentes acceptions; chaque acception est justifiée par une citation, et chaque citation accompagnée d’une note indiquant le livre, la page où elle a été prise, le sens qu’elle doit avoir. J’ai vu dans la demeure de M. Schieving à Besesstad l'immense quantité de matériaux qu’il a amassés pour faire son dictionnaire, et je lui ai demandé s’il ne pensait pas à le publier bientôt. « Hélas ! non, m’a-t-il dit; plus j’avance, plus je vois ce qui me manque pour arriver au but que je voulais atteindre. Quand j’ai entrepris cette longue tâche, je croyais avoir fini au bout de dix ans. Maintenant, je ne m’impose plus aucune limite. Je travaillerai tant que je vivrai.» Et, sans cesse, il revient sur ce qu’il a déjà fait, et, sans cesse, il recommence ses recherches, heureux Biorn, publié par Rask, a vol in-4°, Copenhague, 1814. Il est encore très fautif et très incomplet. d’accroître sa nomenclature, heureux de trouver un nouveau mot et une nouvelle acception, heureux des devoirs qu’il remplit, et des instans de loisir qui lui permettent de reprendre ses études favorites. La science n’a pas eu souvent un disciple aussi dévoué, soumis à un travail aussi exempt d’ambition. , Le temps des études à Besesstad dure de cinq à six ans. Les élèves ne sortent de là qu’après i avoir subi un examen. Les uns peuvent devenir immédiatement prêtres, mais ceux qui se destinent à la médecine ou à la jurisprudence sont obligés d’aller étudier à l’université de Copenhague (i). Il y a, en Islande, un médecin général nommé par le gouvernement', et cinq autres médecins placés dans les différens districts. Le médecin général est M. Thorsteinsson, qui a fait long-temps pour M. Arago des observations météorologiques. C’est un homme aussi distingué par la noblesse de son caractère que par la va- (i) Il y avait autrefois en Islande un usage assez curieux. Les élèves, en se présentant à l’université de Copenhague, devaient avoir un certificat du recteur de l’école latine de Hoolum ou de Skalholt, attestant leur capacité. Si, par suite de leur premier examen, ils n’étaient pas reçus, on mettait le recteur à l’amende. riété de ses connaissances. Il reçoit i ,600 francs par an, à charge de traiter gratuitement les malades pauvres. Les autres médecins reçoivent 900 francs, et doivent égalemeht prêter leur secours à tous ceux qui le réclament. Les jeunes Islandais qui entrent à l’université de Copenhague jouisséht de plusieurs privilèges. Us habitent une maison fondée par Christian VI; et s’ils subissent d’une manière satisfaisante leur premier examen, on leur donne tous les mois une gratification dé 3o à 4ofir. (1). Aussi le nombre des élèves augmente continuellement. Chaque année, l'université renvoie dans leur patrie quelques-uns de ses disciples; et, chaque année, ühe nouvelle colonie retourne à Y aima tnater, et s’instruit à ses leçons. C’est à ceux qui ont étudié à Copenhague que l’on réserve lés fonctions de magistrat, les places de sysselmand, et les meilleurs presbytères. Tous reviennent comme ceux qu’on appelait autrefois les clercs de Paris, avec le parfum de la science (1) En 1759, Frédéric V ordonna que chaque apnée deux élèves de Hoolum et de Skalholt viendraient, aux frais de l’état, finir leur éducation datai» une université dè Danemark. Cette ordonnance n’est plus en vigueur. et les fleurs du voyage. Tous répandent dans leur pays de nouvelles idées. Ils ont échangé la - casaque de vadmal contre l’habit européen, et les coutumes encore grossières du bœr contre les habitudes plus élégantes des grandes villes. Peu à peu leur exemple gagne ceux qui les entourent , et la civilisation s’insinue au cœur de la vieille Islande par le côté littéraire ,„par le côté poétique. Le christianisme a détruit les pratiques sauvages des farouches e^ans d’Odin, et la civilisation achève d’éclairer leurs descendans et d’adoucir l’âpreté de leurs mœurs. Les Scandinaves étaient, comme on sait, d’intrépides navigateurs. Us n’avaient ni le sextant, ni l’astrolabe, ni la.boussole; ils n’avaient pas appris à mesurer la hauteur du soleil pour connaître leur latitude, ni à pointer une carte pour déterminer leur distance. Mais ils se jetaient dans leur bateau, la rame à la main, et s’en allaient, comme des oiseaux de mer, chercher la côte lointaine. Souvent la vague orageuse leur servit de guide, et la tempête les conduisit au lieu où ils voulaient aborder. Cependant, au vme siècle, Beda (i) avait signalé de nouveau cette île de Thulé, dont le nom se trouve dans l’histoire de Pline, dans les vers de Virgile (2). Cent ans plus tard, le moine Dicuil la dépeignait non plus d’après de vagues conjectures, mais d’après des notions positives. Des Islandais y avaient abordé, de? moines y avaient séjourné depuis le mois de février jusqu’au mois d’août, et l’on retrouva leurs vestiges. Llslande était connue d’un autre peuple de marins; et les Norvégiens, qui avaient déjà exploré tant de rivages, nela connaissaient pas encore. Le hasard, qui les avait conduits sur des côtes étrangères, fut encore cette fois leur pilote. L’orage les jeta sur cette terre de volcans et d’orage. Un pirate, nommé Nadodd s’en allait de Nor- (1) Beda mourut vers Tannée 735 ou 738. Son livre: De natura rerum et rptione lemporum, fut imprimé à Cologne en 1737. , (^)II n’est guère vraisemblable que cette ultima Thubey mentionnée par les auteurs anciens, soit l’Islande; mais comme les écrivains du nord ont souvent invoqué ce témoignage, nous ne pouvions guère le passer sous silence. vége aux Iles Ferœ (i). Un coup de vent le fit dévier de sa route et l’emporta au nord. Il se croyait perdu au milieu de l’Qcéan; il aperçut la côte. Lui et ses compagnons amarrent le navire , prennent leurs armes, descendent <à terre, et les voilà de marcher à travers les champs de lave ; ils promènent leurs regards autour d’eux, et n’aperçoivent aucune trace humaine. Us prêtent l’oreille et n’entendent aucun bruit. Ils montent sur une colline élevée, et ne voient ni fumée ni habitation. L’Islande attendait sa colonie d’émigrés, et die était déserte. Nadodd y resta jusqu’en automne. Alors le ciel se couvrit de nuages, la neige tomba sur les montagnes, et, en partant, il nomma la terre qu’il venait de découvrir : Terre de Neige ( Snœland ) (a). Ceci se passait en 86 i. Trois ans après, un Suédois, appelé Gardas, entreprit un voyage aùx Hébrides pour y recueillir un héritage : il fut (i) Je me sers ici d’une expression consacrée par l’usage, tout en protestant contre un de ces abus de langage qui se représentent fréquemment parmi nous. Le mot œ à la fin de Fer, signifie ILE. Ainsi, en disant les îles Ferœ, nous faisons le plus complet pléonasme qu’il » soit possible d’imaginer. Il en est de même de Jersey et de Guernesey : la particule ey est islandaise et signifie aussi île. (a) Landnama bok. surpris comme Nadoijd par une tempête, et jeté sur les rives d’Islande. Il demeura, pendant l’hiver, à Husavik, et, à son retour, loua beau* coup le pays qu’il avait vu (i ). Il n’en fallait pas tant pour séduire l’esprit aventurier des hommes du nord. Il suffisait de dire qu’on avait découvert une nouvelle contrée.. Qu’elle fut riche ou pauvre, n’importe, ils voulaient la voir. En 864 > dans une maison norvégienne, le sang du sacrifice coulait sur l’autel des dieux Scandinaves, un pirate, enthousiasmé par tout ce que l’on racontait de l’Islande, se préparait à aller visiter cette terre lointaine. C’était Flocki. Il avait voulu se rendre les divinités propices par des prières publiques ; et il consacrait à Odin trois corbeaux, qui devaient, à défaut de boussole, le guider dans son excursion. Peut-être avait-il entendu conter l’histoire de Noé dans son arche ; peut-être était-ce alors un moyen employé par plusieurs navigateurs. Quand il eut doublé les îles Ferœ, Flocki lâcha le premier de ses corbeaux, qui, ne se souciant pas sans doute d’entreprendre un voyage de (x) Landnama bok. LETTRES SCR L’ISLANDE. 07 \ découverte, s’en retourna tranquillement au lieu d’où il était parti. Peu après, il lâcha le second, qui s’élança dans les airs, tournoya au- dessus du navire, et revint lâchement se poser sur sa cage, effrayé de cette immensité d’eau. Enfin Flocki lâcha le troisième; et celui-ci, comme pour venger l’honneur de sa race, s’en alla hardiment vers le nord ; le vaisseau le suivit et ahorda à Reykianes. Nadodd avait vu en automne les montagnes couvertes de neige, Flocki les trouva au printemps couvertes de glace, et donna au pays le nom qui lui est resté Terre de glace (ïsland) (i). Il revint, l’été suivant en Norvège, et dépeignit, comme il les avait vus, ces champs arides, ces volcans enflammés , ces montagnes sauvages de l’Islande. Mais un de ses compagnons raconta au peuple crédule que c’était un pays charmant, où le sol était sans cesse couvert de fruits, où le beurre découlait des rochers. Dans ce temps-là, Harald aux beaux cheveux régnait en Norvège : il avait succédé à son père à l’âge de dix ans (a). Son royaume n’était d’a- (x) Landnanaa bok. (a) Saga d'Olaf Tryggvason t tom. I. 7 bord qu'une de ces étroites principautés, comme il y en avait eu un grand nombre en Suède et en Danemark. Mais il avait l’ame ambitieuse, et il était, dit la saga, grand, fort, courageux et habile (i). Dans son audace et sa jeunesse, quand il eut mesuré son domaine de prince, il se Sentit à l’étroit et rêva guerre et conquêtes : une femme acheva de lili donner l’impulsion. Cette femme était Gyda, fille du roi Eirik. Harald l’avait envoyé demander en mariage ; mais la fière Gyda répondit qu’elle ne se sentait aucunement tentée d’épouser un si petit roi (a), et que s’il voulait être aimé d’elle, il fallait qu’il lui donnât à partager, non pas sa pauvre couronne de prince, mais la couronne de Norvège. Quand les ambassadeurs de Harald vinrent lui rendre compte de leur mission, il applaudit aux paroles de la jeune fille, et jura de ne pas couper sa chevelure, de ne pas la peigner avant que d’avoir soumis toute la contrée à son pou-' voir. Ainsi entraîné par ses désirs ambitieux et (i) Saga d'Olaf Triggvasony tom. I. (a) Le texte islandais est plus expressif. « Hun svarar at bun vil! eigi spilla meydomi sinum til thess at eiga thann konung eigi kelir meira ennnokkurfilki til Forrada. » (Saga ctOlaf Tryggvason, tom.I.) ses rêves d’amour, il déclara la guerre à ses voisins, les subjugua l’un après l’autrè, et envahit leur principauté. Bientôt son armée devint si nombreuse, soojiom si redoutable, que pas un de ses anciens rivaux n’osa lui résister. Il éttendifc son brasde fer sur toute laNorvége; et celle qui, peu d’années auparavant, semblait prendre en pitié sa destinée obscure, vint lui tendre la main sur le champ de bataille, et le salua roi. Mais il avait conquis ses peuples par la force, et sur sà route il n’avait semé que la haine et le mécontentement. Des hommes, qui avaient été ses égaux, gémissaient de le nommer leur souverain ; des familles puissantes s’indignaient de se courber devant lui : elles cédaient à sa volonté, mais en cherchant autour d’elles le moyen de recouvrer leur indépendance. Alors Flocki explorait l’Islande, et nie lointaine, l’ile déserte, leur apparut comme un dernier refuge. Le pays était pauvre, disait-on, mais il n’avait point de maître ; et l’aristocratie norvégienne, froissée dans ses intérêts, humiliée dans son orgueil, s’en alla chercher les landes arides dont on lui avait parlé, heureuse de reprendre sa liberté, heureuse de mettre entre elle et son despote l’immettse espace des mers. Les deux premiers coions d’Islande,. Ingolfr et Leifr, surnommé plus tard Hiorleifr, avaient encore un autre motif de s’expatrier. Ils s’étaient attiré, par un double meurtre, la haine d’une famille nombreuse, et ils fuyaient autant pour éviter sa vengeance que pour échapper à la domination de Harald. Leur première émigration date de 870 (1). Mais ce n’était, en quelque sorte, qu’un voyage d’essai, une reconnaissance de pays. Ils abordent en Islande et y passent l’hiver. Au printemps, Hiorleifr s’en va guerroyer en Islande, Ingolfr retourne en Norvège. Un an après ils se rejoignent, et cette fois se disposent à partir pour long-temps. Ingolfr offre un sacrifice aux dieux, et consulte les oracles Scandinaves qui lui indiquent la route dislande. Hiorleifr, qui peut-être avait reçu, dans son demièr voyage, quelques notions du christianisme, refusa de sacrifier, et accepta pour oracle la parole de son ami. Ils s’embarquent emportant avec eux tout ce qu’ils possédaient, et parmi ses richesses de corsaire, Ingolfr avait placé ses dieux pénates.' A quelque distance de la côte, (1) Landnama bok. LETTRES SUR L’ISLANDE. 101 / ils se séparent. Hiorleifr s’en va à l’est. Ingolfr, avec son esprit superstitieux, jette à la mer ses idoles, promettant d’aborder là où elles aborderont. Mais le vent l’entraîna d’un autre côté, et il débarqua à l’ouest de la côte, dans un endroit qui a conservé son nom et qui s’appelle encore aujourd’hui: Ingolfs hœfdi (promontoire d’Ingolfr). En arrivant, Hiorleifr s’était bâti une demeure, et avait essayé de labouTer la terre; mais il fut assassiné par des esclaves irlandais qu’il avait amenés avec-lui. En apprenant cette nouvelle, son compagnon d’armes s’écria avec sa foi de païen : « C’est un grand malhetir pour un homme comme celui-là de môurir de la main d’un esclave; mais tel est le sort de ceux qui ne veulent pas sacrifier aux dieux (1). » Après cette oraison funèbre, il poursuivit les meurtriers, les atteignit aux îles Westmann, et les massacra. De là vient le nom des îles Westmann. Cependant'il s’était mis à la recherche de ses dieux pénates, et, après de longues perquisitions, il les découvrit auprès de Reykiavik. Il éleva sa demeure sur le rivage (i) Landnama bok. où la mer les avait jetés, et, de pirate qu’il était, il devint laboureur et pêcheur. Peu à peu d’autres familles norvégiennes le suivirent, et s’en allèrent habiter diverses parties de l’île. Au bout de soixante ans, l’Islande était presque entièrement occupée, et le nombre des émigrés devint sj grand, que le roi Ilarald, craignant de voir son pays se dépeupler, imposa une amende de cinq onces d’argent sur tous ceux qui voulaient partir. Ces émigrés étaient, pour la plupart, des hommes de famille noble, qui exerçaient dans leur pays un certain droit de souveraineté. Ils emmenaient avec eux tous ceux qu’ils avaient eus autrefois sous leur domination, ils fuyaient le despotisme de leur roi, et redevenaient libres en posant le pied sur le navire; mais leurs esclaves restaient esclaves. Lorsqu’ils débarquaient sur la côte d’Islande, le chef de la tribu prenait un tison enflammé et parcourait le pays. Toute la terre qu’il enlaçait dans ce cercle de feu lui appartenait, et il la distribuait comme une terre de conquête à ses vassaux. Puis une fois le partage fait, il se retranchait avec ses serfs dans son domaine, et vivait comme un seigneur suzerain. S’il voulait tenter une excursion maritime, ses vassaux étaient obligés de répondre à son appel; s’il avait une guerre, ses .vassaux devaient le soutenir. C’était la féodalité norvégienne, moins Je roi qui la gênait; c’était l’aristocratie des hauts barons de France appliquée à une race de pirates, à un peuple de pêcheurs. Quelques-uns d’entre eux bâtissaient un temple, et prenaient le titre de godi. Ils étaient tout à la fois magistrats et pontifes. On les appelait comme juges dans les causes difficiles. On prêtait serment sur l’anneau qu’ils portaient à leur doigt, et chaque famille leur payait un tribut religieux. Tous ces chefs de tribu vivaient à l’écart, maîtres dans leur domaine, jaloux de leur pouvoir, et indépendans l’un de l’autre. Mais souvent ils se regardaient d’un œil d’enviè. Dans ' leur humeur belliqueuse, la moindre contestation provoquait une guerre, la plus légère étincelle amenait un incendie. Ils avaient rapporté > de leur terre natale l’àmour des combats. Ils s’asseyaient à table appuyés sur leur hache d’armes, et dormaient sur leur glaive. Au premier cri d’alarme, on les voyait monter à cheval , et ils s’en allaient piller et brûler la demeure de leurs voisins. Quand la discorde s’était ainsi jetée entre eux, c’étaient, de part et d’autre, des provocations continuelles et des représailles sans fin. Il n’y avait point de loi pour les punir, point de pouvoir pour les maîtriser, et l’Islande dévastée leur demandait en vain merci. Ces guerres désastreuses firent sentir la nécessité d’une organisation générale qui donnât une sorte d’unité à tant d’élémens disparates, et mît un frein à l’ambition de tant de familles rivales l’une de l’autre. Un Islandais, Uffliot, partit pour la Norvège , avec la mission d’étudier les lois en usage et de les rapporter dans son pays. 11 suivit pendant trois ans les leçons de Thorleif, surnommé le Sage, et s’en revint avec un code qui, en 928, fut adopté k l’Althing, non sans quelque contestation. C’est le code connu sous le nom de Gràgas (1). L’Islande fut divisée en quatre parties, d’après les quatre points cardinaux, et subdivisée en douze districts. Chaque district avait son tribunal, ses réunions particulières; (1) On en a publié à Copenhague une belle édition en a vol. in-4°, avec la traduction latine, et il existe sur ce recueil un très bon commentaire de Scklegel. mais la nation tenait toutes les années une diète solennelle à Thingvalla. L’assemblée était présidée par les douze représentans des districts, et au-dessus.d’eux s’élevait le chefjudiciaireélu par le peuple et proclamé homme de la loi. C’était bien l’homme de la loi, car, à une époque où elle n'était pas encore écrite, il devait la savoir littéralement par cœur, et la répéter chaque année aux diverses tribus. Pendant deux cents ans, ce code primitif se perpétua ainsi par le souvenir et par la parole. Mais les Islandais, qui le gardaient si fidèlement dans leurs traditions, ne se faisaient pas scrupule de le transgresser chaque fois qu’il condamnait leurs projets de vengeance. Souvent la voix conciliatrice des juges fut méconnue, et la sentence du logmadrétouffée par des cris dè guerre et des vociférations haineuses. Les chefs de cohorte s’en allaient à leur diète le glaive à la main, comme les Hongrois; quand la discussion légale ne leur donnait pas gain de cause, ils avaient recours à la force, et le roc sacré, le logberg, du haut duquel le législateur rendait ses oracles, devenait le théâtre sanglant de leurs combats. Telle fut l’Islande pendant près de quatre siècles, et le christianisme lui-même, avec ses pieux symboles et ses paroles miséricordieuses, ne put adoucir qu’après de longues résistances les passions violentes de cette race de corsaires. Déjà le Danemark, la Suède, la Norvège, avaient abjuré le culte de leurs anciens dieux, et l’Islande le conservait encore. Plus d’une fois l’Evangile lui avait été annoncé, et elle ne l’avait pas entendu : les holocaustes de sang plaisaient trqp à l’imagination de ces hommes de guerre pour qu’ils consentissent si vite à y renoncer, et Ig dieu Thor, avec son marteau, emblème de la force, était bien le dieu qu’ils devaient adorer. Le premier qui essaya de les arracher à leur idolâtrie était un Irlandais envoyé par saint Patrice. Il fit quelques prédications, et bâtit une église dédiée à saint Colomban. Après lui vint une femme de la même nation, qui introduisit la vie chrétienne au milieu du paganisme Scandinave, ét fit poser des croix au dessus de plusieurs montagnes. Les Islandais respectèrent ces croix, quelques-uns'firent de saint Colomban un héros, et lui donnèrent une place honorable dans le Yalhalla, mais voilà tout ce que produisit le aèledes missionnaires irlandais. Bientôt pourtant nne voix plus hardie et plus opiniâtre’se fit entendre: c’était celle d’un Islandais, celle de Thorvaldr le voyageur (i). Il avait été baptisé par l’évêque Frédéric de Saxe, et il amena l’évêque avec lui pour prêcher le christianisme dans son pays. Mais il avait temps guerroyé sur les côtes étrangères, et il se souvenait trop de son cvncien métier de soldat. La parole était pour lui un moyen d'action trop faible et trop lent ; il eût voulu convertir lis- lande par le fer et par le sang. Ses sermons ressemblaient à des cris de colère, et si on lui faisait une injure, il sentait bouillonner tout son sang de pirate. Un jour, deux poètes islandais avaient improvisé contre lui une épigramme, il désespéra de leur salut, et les tua comme deux mécréans. Une autre fois, il apprit qu’un de ses ennemis se trouvait non loin de lui: c’était aussi un païen intraitable qui n’avait pas voulu prêter l’oreille à ses prédications. Il le tua pour en avoir plus tôt fini. Le digne évêque n’eut pas le courage de suivre plus long-temps un tel com-' pagnon; if retourna dans son église de Saxe et (x) le mot vidfaBria signifie plus que voyageur. U serait mieux rendu par le mot latin pertgrinator. mourut saintement. Quant à Thorvaldr, après avoir porté son rude prosélytisme à travers toute l’Islande, il sentit renaître en lui le goût des voyages lointains. Il s’en alla en Grèce, en Syrie, à Constantinople et à Jérusalem. Puis, il Arrêta en Russie, et fonda un couvent, où il mourut. Après lui vint Thangbrandr, envoyé par le roi Olaf Tryggvason. C’était un homme de la même trempe que Thorvaldr. D’une main il tenait la croix évangélique, mais de l’autre il tenait le glaive. Il ne reculait ni devant un meurtre ni devant une bataille, et il savait également discuter avec les pontifes païens et lutter avec les berserkirs. Malgré tant de zèle et tant de courage, il ne put vaincre l’obstination des Islandais, et s’en retourna en Norvège. Mais le roi Olaf renvoya deux autres missionnaires. Ceux-ci tâchèrent d’agir sur l’esprit du peuple par les cérémonies religieuses, et ils réussirent. Les prêtres catholiques parurent à l’assemblée du Thing avec leurs blancs surplis et leurs longues chasubles ; l’encensoir balancé par une main d’enfant exhala ses parfums, et la cloche répandit dans les airs ses sons plaintifs et har monieux. C’est une belle page à ajouter à ces admirables pages que M. de Chateaubriand a écrites sur la cloche dans son Génie du christianisme. La foule s’émut à l’aspect de cette solennité religieuse, et plusieurs hommes qui étaient restés inébranlables à la colère de Thorvaldr et aux sermons de Thangbrandr s’inclinèrent, pat1 un mouvement involontaire, devant le prêtre qui s’avançait ainsi précédé de la croix. Puis, les leçons évangéliques, répétées tant de fois, s’étaient pourtant insinuées dans quelques esprits; puis, le roi Olaf, qui était puissant, menaçait l’Islande de toute sa colère, si elle refusait d’entendre la parole des nouveaux missionnaires, et enfin une voix s’éleva pour proposer l’adoption du christianisme. Mais, à ces mots, les vieux Scandinaves sentirent se ranimer toute leur fer- veuç païenne, et l’assemblée se divisa en deux parties, l’un tout disposé à accueillir la nouvelle loi, l’autre bien résolu à défendre l’ancien culte. Dans cet état de crise, on allait, comme de coutume, résoudre la question par un combat, on allait s’entretuer pour savoir qui l’on devait adorer, du Christ ou d’Odin. Un Islandais, plus sage que les autres, demanda si l’on ne pourrait pas suspendre encore les hostilités, et faire trancher la difficulté pàr des arbitres. Sa proposition fut écoutée, et chaque parti nomma ses juges. Mais les missionnaires catholiques gagnèrent, pour trois marcs d’argent, Thorgeir, le plus influent et le plus intraitable païen. Le lendemain, Thorgeir s’avança au milieu de la foule, et après avoir cherché à démontrer cofnbien ces divisions de parti portaient de préjudice à la république, il s’écria : « Vous tous qui m’écoutez, accepterèz-vous la religion que je vais vous proposer ?»Les païens, qui le regardaient comme le plus intrépide défenseur de leur croyance, répondirent qu’ils l’accepteraient ; et les chrétiens, qui étaient dans le secret de la transaction faite avec lui, répondirent de même. Alors Thorgeir proclama la religion chrétienne, et, malgré les cris d’étonnemAft et les plaintes de ses ahciens partisans, elle fut adoptée. De cette époque date pour l’Islande une nouvelle ère de science et de .poésie. Elle eut des écoles, des prêtres instruits, des voyageurs célèbres, mais elle n’eut pas le repos. Ni la loi politique ûi la loi religieuse ne pouvaient domp* ter l’ambition de ses principales familles. Âu commencement du ix® siècle, une nouvelle guerre s’allume entre elles, plus longue, plus terrible, plus acharnée que jamais.On vit alors des chefs de parti s’en aller au Thing avec une troupe de treize cents hommes. Ils traversaient le pays comme un fléau, tantôt longeant les côtes avec leurs navires, tantôt s’avançant au milieu des habitations à main armée, et se frayant leur route par le meurtre et l’incendie. Quand ils se rencontraient, ce n’était plus comme autrefois des escarmouches d’un moment ; c’étaient des batailles sanglantes qui duraient tout un jour, et souvent recommençaient le lendemain. Quelquefois ils se trompaient l’un l’autre par une paix simulée, et à peine avaient- ils quitté l’Àlthing qu’on entendait déjà retentir le cri de guerre. S’ils venaient à succomber, les hostilités recommençaient sous une nouvelle bannière, avec un nouveau chef. Dans leur testament de mort, ils léguaient pour héritage à leurs fils une bataiileinachevée, une vengeance incomplète, et leurs fils n’étaient que trop fidèles à remplir ce mandat. Tous les principaux habitans du pays périrent dans ces batailles. Toute la puissante famille des Sturles s’entre- détruisit elle-même. Snorri Sturleson, le plus grand écrivain de llslande, fut massacré à Reykholt par la haine de ses ennemis, et par l’ordre du roi Hakon. Quand ses grands hommes furent morts, la république islandaise mourut elle-même. Elle perdit en un jour son nom de république et son indépendance dont elle était si fière. Depuis long-temps les rois de Norvège avaient essayé de la soumettre à leur pouvoir. Il leur sejnblait que cette terre, peuplée par la Norvège, devait leur appartenir; mais l’Islande avait maintenu avec orgueil sa liberté. Les longues guerres oligarchiques anéantirent toute sa résolution. Elle était faible et épuisée, et elle courba la tête sous le joug qui l’attendait. En 1262, les trois grands districts du nord, du sud et de l’ouest se soumirent à la Norvège ; en 1264 le district de l’est suivit leur exemple. Dès ce moment, l’histoire politique d’Islande a cessé d’être. L’Islande n’est plus qu’une province norvégienne qui accepte les ordonnances qu’on lui impose, qui, en I387, se réunit au Danemark, et qui attend chaque année du roi qui la gouverne son tarif de commerce et-son toire de l’Islande à faire, c’est celle de tous les fléaux qui l’ont traversée sans relâche, de tous les volcans qui ont déchiré ses entrailles, de toutes les maladies qui ont décimé sa population. Celle-là est triste et on la lit avec douleur dans ses montagnes inhabitées, au milieu de ses champs de lave. Voici ses éphémérides de quelques siècles. Où en trouverait-on de semblables? 13oo. Éruption de volcan. i3o6. Les glaces du Groenland entourent l’île , et tout périt par le froid. 13o8. Tremblement de terre. I3II. Éruption de volcan. 1339. Tremblement de terre. — Éruption de volcan. I34I. Éruption de volcan. I346. Éruption de volcan. i35o. Éruption de volcan. 1357. Éruption de volcan. i36o. Éruption de volcan. 136a. Éruption de volcan. 13go. Éruption de volcan. i4oa. La peste noire enlève les deux tiers des habitans. s / 1419. Invasion des corsaires anglais qui pillent et ravagent le pays. i/t?3. Nouvelle invasion non moins cruelle que la première. 1490. Épidémie. 158a. Éruption de volcan. 1583. Éruption de volcan. 1616. Invasion des corsaires algériens. 1695. Glaces flottantes. 1707. Épidémie qui enlève lè quart de la population. 1716. Éruption de volcan. 1717. Éruption de volcan. 17^0. Éruption de volcan. 1753. Famine. 1 1755. Éruption de volcan. 1766. Éruption de volcan. 1783. Éruption de volcan. —« Épidémie. • Famine. Ajoutez à cela l’indifférence du gouvernement qui entendit d’une oreille distraite les plaintes de l’Islande, et n’y répondit pas. Ajoutez le monopole du commerce, le monopole infâme qui, pendant deux siècles, enleva à ce malheu- reux pays tout ce que les volcans, les pirates, les rigueurs du climat et les tremblemens de terre ne lui avaient pas enlevé. Ajoutez les querelles des gouverneurs avec les évêques, les divisions intestines, et vous aurez une idée de tout ce que cette terre d’Islande a eu à souffrir, et vous aimerez peut-être ce peuple ferme et patient qui a supporté tant de désastres et n’a point déserté .son pays. Depuis la fin du siècle dernier les volcans dorment dans le flanc des montagnes, le monopole du commerce a été aboli, et le gouvernement danois-a compris qu’il y allait de son intérêt de protéger et de soutenir l’Islande; mais rien ne permet d’espérer que le pays redevienne jamais aussi puissant qu’il l’a été. Il y a eu autrefois des familles riches en Islande, et maintenant il n’y en a plus. Il y a eu 100,000 habitans, et maintenant la' population ne s’élève pas à plus de 5o,ooo. L’île est pourtan. plus grande que le Danemark et le Holstein, et presque aussi grande que la Prusse. En Russie, on compte 80,000 habitans par mille carré, en Norvège io5, en Suède 219, en Islande 34* Google Les scaldes sont les bardes du nord. Comme les poètes celtiques et les rhapsodes grecs, ils ont célébré les dieux et les héros. Comme les auteurs des romances espagnols, ils ont chanté la gloire et les combats. Comme Virgile, ils ont eu leurs Mecène; comme Pétrarque, ils sont souvent entrés dans le conseil des rois. Comme les Minne- singer, ils s’enorgueillissaient de leur naissance et marchaient de pair avec les jarl et les princes. Comme Taillefer, le trouvère normand, et Yeit- Weber, le soldat suisse, ils assistaient eux-mêmes aux batailles qu’ils devaient chanter, et combattaient ,au premier rang. La poésie des Scandinave^ remonte comme leur histoire jusqu’à la migration des peuples d’Asie, et se perd dans des récits obscurs et des traditions fabuleuses. Ces peuples, que l’on a si long-temps appelés barbares, sont pourtant venus dans le nord avec des chants, et comme les Indiens et les Grecs, ils ont tant de vénération pour la poésie, qu’ils l’attribuent à un dieu, et peuvent dire comme,Ovide : Est deus in nobis, et sunt commercia cœli; Sedibus ætheriis spiritus ille venit. La fahle qu’ils racontant pour expliquer cette origine est grossière, mais caractéristique, et mérite d’être rapportée. Il y avait autrefois un homme nommé Kvaser, qui, par son intelligence et sa sagesse, s’était élevé au rang des dieux. Deux nains, jaloux de ses tÿlens, le tuèrent, recueillirent son sang d£ns pn grand vase et le mêlèrent avec du miel; Ç$. $aPg dh sage ainsi mêlé avec le suc des flejirSf avec l’œuvrç industrieuse des fibrilles, devin): la source poétique, l’hippocrène des Scandinaves. Quicompie pouvait y puiser se sentait à l’iqstqnt inspiré et pouvait faire résonner harmonieusement les corder de 1 Irarpe. Le géant Suttung parvint â s’eipparer (le la çoupç de miœdy et il y attachait nn grand pris, qppi- qu’il n’en usât guère? il 1$ donpa à garder à sa pile Gunlqpda, eï l'enferma dans une montagne. Cependant, Odin qui était dieu et quj avait de nombreuses attributions éprouvait une grande envie d’y joindre encore la faculté poétique; mais il fallait pour cela séduire Suttung, et Suttung était un terrible homme; pi paroles flatteuses pi promesses pe pouvaient l’pttep- drir; il gardait son trésor ep vrai barbare, ne voulant pas en jouir 1 pi-même et pe voulant pas l’abandonner aux autres. Odip quitta sa der meure céleste, et vint, comme Apollon chez Admète, passer tout un été chez Suttupg, prenant soin des bestiaux, récoltant le foin, et ne demandant popr toute récompense, après ses longues journées de-labeur,que quelques gou)teç de miel. Suttung les lui refusa impitoyablement. Après cette dernière tentative, Odin dés espérant dé vaincre l’obstination du géant a • recours à la ruse; il se change en serpent, pénètre dans la montagne où est enfermée l'a coupe poétique, s’approche de Gunlœda, la flatte par ses éloges, la fascine par son regard. La pauvre Gunlœda fit comme Ève, elle crut aux paroles du serpent, et oublia la défense de son père. Odin obtint la permission de boire trois fois à la coupe de miœd, et à la troisième fois le cruel avait tout bu. Alors il oublia les doux sermens qu’il avait murmurés le soir à l’oreille de Gunlœda, il laissa la pauvre fille en larmes et s’enfuit sous la forme d’un aigle. Mais Suttung était un habile magicien : il devina aussitôt le vol qui venait de lui être fait et poursuivit le ravisseur. Déjà il était près de l’atteindre, déjà Odin tremblait d’expier chèrement sa supercherie, quand tout à coup lesases vinrent au-devant de lui pour le soutenir et lui présentèrent une grande coupe, où il rendit le miœd qu’il avait bu. Mais, dans le mouvement de frayeur que lui avait causé Suttung, il en laissa aussi tomber une partie par terre (1). Celle-là appartient aux mauvais poètes , qui (i) Par respect pour les poètes, j'adoucis ici l'expression textuelle. n’ont besoin que de se baisser pour la voir. Mais la coupe des dieux est conservée dans le ciel, et les hommes de génie, les hommes vrai* ment inspirés peuvent seuls y poser leurs lèvres. C’est Odin qui la distribue à ses favoris ; c’est lui qui est le dieu de la poésie : « Maintenant, dit l'Edda, le chant d'Odin est chanté, dans la salle d’Odin, près de la salle d’Odin. Heureux celui qui le chanta ! Heureux celui qui peut le redire! Heureux celui qui l’apprit! Heureux celui qui l’entendit ! » En remontant aux premiers temps des trois monarchies Scandinaves, nous n’avons sur les scaldes que des notions incomplètes, des frag- mens de biographie et des fragmens de vers. Au vi* et au viie siècle, ils occupent déjà de temps à autre une place notable dans l’histoire, mais à partir du ix® jusqu’au xme siècle, ils se suivent sans interruption, et l’on connaît très bien leur nom, leur vie, leurs œuvres. Le règne de Harald aux heaux cheveux fut l’âge d’or des scaldes. Cet homme ambitieux crut que, pour donner plus de solennité à ses batailles, plus d’éclat à ses conquêtes, il fallait qu’il s’entourât de poésie. Il réunit à sa cour les scaldes les plus vantés ; il $e les attacha par des présens » et tous chantprept se gloire et sa d°roipation. Ses successeurs manifestèrent constamment Je même goût. Quelques-uns d’entre eu*» comme Ma- gpus-le-Bpn , Harald Sigurdssoq faisaient de? vers pu*-mèmes et chérissaient Ja poésie. Les scaldes résistèrent Jpng-temps è l’interdjctiop lancée contre eux par les missionnaires chrétien». piafde-Saint condamnait leurs souvenir? mythologiques, et cependant il pepsa qu’il convenait à sa majesté de roi d’en ayoir plusieurs à sa cour- Ce fut Jui qu, les conduisant un jour sur le champ de bataille, leur dit : a Placea-vou? au premier rang, afin de chanter ce que vous aurez vu et non ce que vous aurez entendu raconter- * Mais peu à peu le cbris tiar nisme s’insinua plus avant dans les esprits- Les mœurs, les lois changèrent, et la poésie des scaldes, fille d’Odin, s’éteignit avec le culte d’Odin. A la prendre dans se? monumens les plus anciens, cette poésie est claire, simple, énergique. Elle a tout le caractère des temps primitifs et du vrai chant épique ; mais plus tard, les scaldes l’altérèrent; elle devint l’œuvre du tra- yail factice et des beaux-esprits. Au temps de Rolf-Krage, elle est encore jepnç et forte; elle résonne haute meut au milieu de la fpule et défend avec orgueil sa nationalité Scandinave. Quatre siècles plus tard, c’est une poésie vieille, viciée, prétentieuse, qui recherche avec affectation les formes inusitées, et s’enveloppe dans un néologisme bizarre, dans des métaphores étranges. Alors on vit des poètes qui redoutaient d’être populaires, et qui, pour échapper à une telle infortune, entremêlèrent leurs vers de tant de mots finnois, écossais, anglo-saxons, et de tant défigurés hyperboliques, que le peuple renonça à les comprendre, et qu’ils devinrent un objet d’étude pour les gens les plus lettrés (i). Çette poésie est restée si obscure qu’à moins de l’avpir long-temps analysée, les Islandais eux- mêmes ne la conçoivent pas, et quand on est (i) La poésie anglo-saxonne présente la même obscurité, les mêmes affectations de style, le même goût pour les métaphores Dans sa description du déluge , Cedmou emploie plus de trente synonymes différentes pour désigner l’arche de Noë. « Les poètes anglo- saxons, dit M. Turner, voulaient avoir le monopole du chant et des avantages qui eu résultaient. Pour cela ils rendirent leur style de plus en plus difficile à comprendre, afin de le mettre hors de la portée du vulgaire, et leur langue poétique fut tout-à-fait différente de la prose.» Hitfory of the Angb-Saxens by Sharon Turner. T. ?. p. 274, parvenu à en pénétrer le sens, on est étonné de tous les raffinemens d’art auxquels les scaldes avaient recours pour voiler leur pensée. Ili auraient eu honte de se servir d’une langue qui ressemblât à la langue du peuple, à la langue / vulgaire, et ils ont si bien élaboré leurs vers, aiguisé leurs périodes et gonflé leurs métaphores , qu’ils ont laissé loin d’eux les concetti italiens, les phrases ampoulées de Dubartas et le mélange hétérogène de la poésie de cour allemande. Je ne sache pas, dans aucun pays, un poète qtii redoute comme eux l’expression nette, précise, et s’inquiète autant d’employer toujours la périphrase. S’ils parlent du ciel, c’est la couverture des montagnes, la maison du soleil, le chemin des étoiles; de laterre : c’est la tille de la nuit, la chair d’Ymer, le vaisseau flottant sur les âges ; du feu : c’est le frère du vent et l’ennemi des forêts; de l’or : c’est la lumière de l’eau , la larme de Freya, la dent de Dieu, le soleil et la lune. La mer est le sang d’Ymer et l’anneau du globe ; la tête est la demeure du cerveau, le champ des cheveux; le sang est le lac des blessures et le vin des oiseaux de proie. Ajoutez à cela des expressions équi- voques dont ils se servent avec une sorte de prédilection. Le même mot signifie : mer et cheval; vaisseau et bouclier; feu et épée; aigle et t loup. Lorsqu’ils emploient ces locutions douteuses ils joignent à l’une des deux acceptions quelles renferment toutes les épithètes qui ne s’appliqueraient qu’à l’autre. Ainsi ils disent également : l’épée brûlante, et le feu aigu; le vaisseau d’acier et le bouclier rapide ; le loup aux larges ailes et l’aigle au poil roux. Du reste, ils avaient un grand nombre de licences poétiques, ils pouvaient supprimer, ajouter, contracter plusieurs lettres dans un mot. Ils employoient les tropes: l’épenthèse, la syncope, la métonymie, l’ellipse, comme s’ils eussent été à l’école de Dumarsais, et ils avaient tout à la fois le vers métrique des anciens , le vers sciolto des Italiens, le vers rimé comme nous; et le vers allitéré comme l’ont eu les Allemands , les Anglo-Saxons, comme Chaucer, Waller et Plowman l’ont- employé. Nous comprenons difficilement l’harmonie des vers allitérés, mais il est certain qu’elle était assez sensible pour frapper les anciens hommes du nord. Un de nos poètes, celui de tous qui a péut-être le plus étudié la forme, ihé faisait remarquer dernièrement que l’allitéfation ne serait pas employée dans nos vers èans produire un certain effet musical. On cite plusieurs vers de 'Virgilfe, dè Lucrèce, dé Plaute, OÙ les mêmes lettres sont évidemment répétées avec ihtentioù, et l’on sait que les Espagnols trouvent dans leurs âssonnances une sorte de mélodie que les étrangers parviennent difficilement à sàisir. Les scaldes avaient quatre formes dè vers : le Fornyrda-lag, le Drott-kvcedit, le Togmœllt, le Rùtihendt. Le premier est le plus ancien. On l’appelait aüssi chant des elfes, parcè qu’on croyait que les elfes s’en sërvoient poUr parler aux hommes. Le second est celui que f on connaît le mieut. il fut employé fréquemment aux ix*, Ie et xie siècle. Dans lé troisième les vers riment entre eux. Lës uns ont la rime complète, d’autres n’ont qu’une dèmi-rime, fort peu apparente pouf nous. Lé quatrième est le plus récent. Il est encore souvent employé en Islande. Les deux chants les plus célèbres étaient le drapa ét le flockr. Le drapa était l’ode des grabdes fêtes et des grandes batailles, le dithy rambe qüe lès Lois aimaient à éritendre résonner autour d’eux. Le flockr avait aussi un Certain caractère dte solennité, ihais il était plus court. Le scalde Loftunga chanta un jbilr un flockr devant le roi Canut. Le roi se fâcha et lui dit qüe jusque là bh avait toujours fait pour lui des drapa. C’étaient là les formes arrêtées, les grandes formes. Mais leS scaldës variaient à l’infini leur mètre, leurs rimes, leur allitération , et quand bn étudie les 'divers fràgtüëhs qu’ils nous ont laissés, bn voit qu’ils cherchaient èux-tnêmes à se créer des difficultés mëtHqués, dans l’espoir de donner par là plus dë Vàleur à leürs tfeuvres. Nous pouvons rirfe de cettë erreur poétique, mais je ne pense pas qu’aucun peuple y ait échappé. Simmias de Rhodes écrivit une pièce de vers à laquelle il donna la Forme d’un œuf, et une autre qui avait celle d’une hache. On connaît le poème latin dont tous les mots commencent par un P, et nous-mêmes n’avons-nous pas la bouteille de Panard; l’acrostiche traversé quatre fois par le même nom; le quatrain ba~ télé, où la rime se trouve répétée à la fin du premier vers et au commencement de l’autre (i); le quatrain à rime redoublée, dont Marot lui- même nous a laissé des exemples(a); le quatrain fraternisé, où la dernière syllabe du premier vers doit être reproduite au commencement du second (3), et un grand nombre d’autres vers non moins irréguliers? Il y a dans la poésie des scaldes un autre mérite que celui de la versification; c’est son caractère traditionnel, sa parole authentique. Là se trouvent des documens que rien ne remplace; là sont les noms les plus anciens, et quelques- uns des faits les plus essentiels de l’histoire primitive du nord. Nous devons aux scaldes tous ces fragment précieux sur lesquels s’appuient (i) Quand Neptune, puissant Dieu de la mer, Cessa à'armer casaques et galées, Les gallicans bien le durent aimer, Et rédamer ses grandes eaux salées. (a) La blanche ctAombelle, belle, Souvent je voyspriant 9 criant, etc. 4 les chroniques de.Snorri Sturleson et l’histoire de Saxo le grammairien. Nous leur dcvqns ces pelles strophes intercalées dans les sagas, et tpute l’Edda, «’est-à-dire, toute la théogonie et la cosmogonie Scandinaves. La parure d’emprunt que ces poètes joignaient à leurs vers n’existait qu’à la surfaee.Au fond tout leur était inspiré par le temps où ils vivaient, par lesévènemens auxquels ils prenaient part, par le pays qu’ils aimaient. Personne' mieux qu’eux ne pouvait se faire l’historien de leur époque. Ils touchaient tout à la fois, aux deux extrémités de l’échelle sociale. Ils appartenaient au peuple par leur naissance, aux grands.pm* leur éducation. Ils entraient dans l’intimité des princes, et pas une bataille ne se livrait sans qu’ils y marchassent à côté de lui, pas une fête n’avait lieu sans qu’ils fussent appelés à en faire l’ornemçnt. Ils étaient là témoins'et acteurs. Ils observaient ét ils chantaient, et quelques-uns d’efttr’eux avaient une tellefaculté d’improvisation qu’il?pouvaient à l’instant même raconter en vers le fait qui les avait frappes. Rognvald, comte des Orcades, se vanait de composer, sans préparation, un poème entier sur chaque idée qu’on lui indique- 9 rait, et l’on dit que le scalde Sivard balbutiait toujours quand il parlait en prose, mai9 s’exprimait avec la plus grande facilité dès qu’il avait recours à la langue poétiquê. Une partie des chants que nous connaissons ont été composés en Danemark ; d’autres en Suède, d’autres en Norvège, et ün assez grand nombre en Islande. Mais ils ont été répandus à travers toute la Scandinavie. Les scaldes ne restaient pas toujours au même lieu. Ils quittaient leur pays avec l’ardente impatience du jeune âge, et ils y revenaient avec les souvenirs de la vieillesse. Ils passaient de longues années à coürir les aventuresà* s’en aller chanter de ville en ville, n’emportant avec eux que leur luth et leur épée ; pauvres poètes qui devaient à tout instant remplacer la mélodie des vers par le cliquetis du glaive; pauvres oiseaux voya-, geurs à qui la nature n’avait: point donné d’abri sous la feuÿlée, et qui ne savaien t bâtir leur nid que sur les bords des mers orageuses ou sur les champs de bataille. Quand un scalde àrrrotft à la cour d’un prince, il se faisait annoncer comme poètes et le prince le recevait aussitôt. Q y avait dans \ chaque salle de festin un siège réservé pour lui. C’était là qu’il allait prendre place et qu’il enseignait ses chants à la foule assemblée pour l’entendre. « C’est une vieille coutume, » ditOdin dans le Havamal, « de s’asseoir sur le siège des chanteurs et de redire de mémoire d’anciens chants. Pendant que l’on racontait ainsi les histoires du peuple, je m’assis et je me tus, je regardai et je réfléchis. » Le scalde répétait plusieurs fois les mêmes strophes, et les courtisans les apprenaient par cœur afin qu’elles ne tombassent pas dans l’oubli. Les rois eux-mêmes aimaient à les voir se perpétuer autour d’eux. On raconte que le roi Edouard d’Angleterre, avant de récompenser le poète Halle, le pria de rester assez long-temps à sa cour pour que plusieurs de ses amis eussent le temps de recueillir les chants qu’ils lui avaient entendu chanter. . Dans ces temps d’ignorance, le scalde n’était pas seulement un historien fidèle, un versificateur habile ; c’était un homme qui avait beaucoup voyagé, beaucoup vu, et chez lequel l’instinct poétique avait éclairé le jugement, et développé l’intelligence; c’était un homme politique, et un philosophe. Les princes avaient confiance en lui, et lui demandaient souvent conseil. Le scalde alors marchait de pair avec les grands; son titre seul équivalait à un titre de noblesse, et il avait comme les nobles ses armoiries de poète: fine rose sur un bouclier. Mais quand Un roi avait su rendre dignemènt hommage au talent et au caractère d’un de ces poètes énergiques, il pouvait compter sur sa bravoure et sa fidélité. Un jour forage jette sur les côtes de Danemark le vaisseau d’un jeune aventurier. C’était Un spalde encore peu connu, nommé Starkoddr; mais il était grand, fort et plein d’ardeur. Le roi Frodd l’accueillit à sa cour, et fut tellement frappé de' son air martial, qu’il lui équipa .un autre vaisseau; et Starkoddr partit, et s’en alla en Suède, en Angleterre, en Irlande, puis sur les côtes de la mer Baltique; et pénétra dansla Russie et la Pologne. Le long de sa route il s’attaquait à tous les vaisseau? de pirates, il amassait les dépouilles de ses ennemis, puis il. revenaitles partager avec le roi et lui raconter ses voyages. S’il entendait parler d’un guerrier célèbre, il courait aussitôt se mesurer avec lui. Si un malheureux lui adressait une plainte, il allait à 1ETTR.ES SUR l/ISLANÇE. 133 . son secours. Si un pays gémissait sotis la tyrannie d’un roi, il était comme Thésée,^toujours prêt à purger les royaumes de leurs despotes et la terre de ses monstres. Cependant Frodd, son ami,son bienfaiteur, est assassiné; mais il a un fils, et Starkoddr ne ^ ’ r •veut pas enlever au jeune prince l’honneur de venger la mort de son gère ; il se retire en Suède, .'et pendant qu’il raconte ses dernières batailles et se prépare à en livrer de nouvelles, il apprend que Helga, la, fille de Frodd, a été séduite par un orfèvre. Il part à l’instant ; arrive en Dane- ,mark, etitre-chez l’orfèvre, la tête couverte d’un grand chapeau qui luimasque le visage, et s’asseoit à l’écart, immobile et silencieux; là il A ’f reconnaît que tout ce qu’on lui a dit n’est que trop vrai; il observe én serrant la poignée de son glaive les caresser que Helga prodigue à son séducteur. Tout à coup la jeune fille l’aperçoit, jette Un cri de terreur et rçpousse son , amant. Starkoddr sè lève, et le malheureux orfèvre regarde, pâle et effaré, cette main de fer qui le menace, et cette épée qui va s’appesantir sur lui. Aucun moyen de se défendre, aucun moyen de s’enfuir, et il est là qui tremble et se courbe sous 'le regard enflammé du scalde, comme l’oiseau sans force sous le regard sanglant du vautour. Mais Starkoddr, après l’avoir fait passer par toutes les angoisses de ,1a mort, le repoussçdédaigneusement : « A Dieu ne plaise, dit-il , que je ternisse ma réputation de guerrier en tuant un lâche tel que toi. Je t’imposerai un châtiment plus cruel en te laissant vivre. » Car Starkoddr, dit Saxo le grammairien, était de ces'hommes qui croient qu’une vie passée dans le crime et la honte est mille fois plus redou-, table que la. mort. Après avoir ainsi vu pâlir les deux coupables devant lui, Starkoddr chanta son voyage, et ses derniers vers s’adressaient à Helga : «Ojeune fille, s’écria-t-il, qufelle magie t’a donc aveuglée? Quel plaisir pouvais-tu attendre dans cette demeure sale et enfumée, toi dont l’enfance a été bercée dans le palais des rois ? « Gomraçnt ces lèvres pâles, ces lèvres couvertes de cendre de ton amant se sont-elles approchées de ta'bouche de rose? Commeût às- tu permis 4 cèsbrasde manoeuvre d’enlacer tou, beau corps, et à ces mains grossières de toucher ta peau de satin? » Quelque temps après, Helga se marie avec le fils d’un roi, et le scalde retourne en Suède. Mais un jour on vient lui dire que Ingel, le nouveau roi de Danemark, loin de chercher à «venger la mort de son pçre, est devenu l’ami de. ceux qui l’ont tué et a épousé-leur sœur. À cette nouvelle, Starkoddr se remet en route; il accourt dans le palais d’ingel, et, sans se faire ^nopacer, entre dans la grande salle du festin, et va s’asseoir sur le siège d’honneur qui, du temps de Frodd, lui était , toujours réservé. La reine, apercevant cet homme couvert d’habits poudreux qui s’en allait prendre la meilleure place, lui ordonna de se retirer. Le scalde ne chercha pas à se justifier, il ne répondit rien. Il descendit, mais dans la rage qui le dominait, il dopna un tel coup de poing contre les colonnes de la salle que toute la maison en fut ébranlée. Quand le roi revient de la chasse, il reconnaît, l’ami de son père, et quoique le noble vieillard le gêne, il ordonne à chacun de lui faire bon accueil ; alors les courtisans s’empressent autour de lui, et la reine lui demande pardon de son erreur. Mais ^Starkoddr écoute tous les éloges et toutes les protestations d’un air distrait et ir différent. On prépare pour lui une grande fête, et il s’asseoit au banquet royal comme à un banquet de deuil. Toute la table est couverte de mets recherchés, de .liqueurs rares, et il se souvient qu’autrefois on n’y voyait que la coupe d’hydromel et le quartier de bœuf rôti. Quand le roi l’invite à boire et lui présente les plats choisis qu’il gardait ordinairement pour lui- même., le vieux guerrier le repousse àvea mépris : « Je suis venu ici, dit-il , pour voir le fils de Froddr, non pas pour voir un lâche voluptueux qui ne songe qu’à mafiger. » Autour de lui il entend parler allemand, et sa fierté Scandinave se révolte à cet accent étranger. Tout à coup les meurtriers de son roi paraissent et viennent prendre place à table ; à leur aspect, -le regard de Starkoddr s’enflamma de colore, et la reine en fut si effrayée, qu’elle arracha le diadème d’or qui brillait sur sa tête et le lu» présenta; mais le scalde le rejette avec dédain, et s'écrie : « Loin de moi ces folles parures ; loin de moi tes présens! Penses-tu qu’un vieux soldat se laisse séduire comme une femme à la vue de l’or? « Je le dis à haute voix. Celui-là n’a pas un noble cœur qui peut poser sur sa tête de tels ornemeus. 1À vraie parure du guerrier, c’est la cicatrice et l’épée. » À ces mots il s’élance sur les assassins de Froddr, les renverse à ses pieds et retourne en Suède finir sa vie de héros. Si, par sa vocation-de scalde, le poète occupait une des premières places dans la maison du prince, par ses rêve» de jeunesse, par ses affections de famille, il aimait à redescendre au sein du peuple. Jusqu’au milieu des salles brûlantes où l’hydromel coulait dans dés cornes dorées, il se souvenait de l’humble toit qui l’avait abrité, et le soir, assis à son foyer, il redisait , pour plaire à quelqiles-uns de ses anciens compagnons, les mêmes récits qu’il redisait aux jarl pour gagner le bracelet d’or. Le peuple aussi l’aimait et le prenait pour interprète de ses vœux. Le cri de l’opprimé, la plainte du pauvre s’adoucissaient en passant par les cordes de la harpe. Le roi l’écoutait' d’une oreille plus attentive, et la poésie établissait ainsi un lien mystérieux entre l’esdave et le maître, entre la chaudière et le trône. A en juger par un récit de Saxo le grammai- LETTRES SCR L’ISLA.$D£. rien, le peuple Scandinave devait avoir une grande prédilection pour la poésie» Quand Froddr III mourut, il ne laissait aucun héritier légitime. Le seul hopame qui pouvait être appelé à lui succéder était en Russie, et on le croyait perdu depuis long-temps» Le peuple danois promit de donner la couronne à celui qui composerait sur la mort du roi le meilleur chant. Saxo ne dit pas comment le.concours fut établi, mais un pauvre scalde, nommé Biajcn, fort peu. connu .jusqu’alors, l’emporta sur ses rivaux, - et prit possession des États dp Danemark. Aux jeux "olympiques, Sophôcle n’obtint jamais d’autre royauté qüe la royauté de la poésie, et quand, par un beau jour du mois d’avril» on conduisit en grande pompe Pétrarque au Capitole, les cardinaux ne placèrent sur sa tété qu’une couronne de laurier. Un grand nombre de scaldes appartenaient auxplus nobles familles delà Scandinavie. On Vit ici comme en Allemagne et en France, au temps des minnesinger et des trouvères*, des jarl, des princes, des ducs, composer des flockr, des drapa, et porter avec orgueil le titre de ppète- - Mpis soit qu’jk fussent issus d’une famille de t rois , ou d’une famille de paysans , ifs étaient avant tout hommes de guerre. Le glaive effaçait entre eux toutes les distances. La guerre était leur véritable joie, leur, poésie, et chacun d’eux pouvait dire comme Antar, le héros des Arabes : a Ma parenté est dans ma force, ma noblesse A §t ? est dans mon côurage, et quand on me demande ma généalogie, je montçematitece et faon épée. » * * Aussi në cherchez pas dans leurs vers les" douces idées, les vagues rêveries, qui nous ont *** * été Ai •gracieusement dépeintes par d’autres ’poèfçs; Içur harpe ne sait point soupirer comme lq guitare, gémir comme la mandoline. La main - faihle^t timide de la jeune fille ne pourrait en lfîng_ft?Joindre accord, et les larmes tomberaient sur ces cordes d’aciër sans les faire vibrer. Mais quand le doigt nerveux' du scalde vient à les toucher, toutes ces cordes résonnent comme le clairon et retentissent comme f airain. Le scalde chante l’ivresse du combat, la gloire du héros; il chante le bouclier .magique, le heaume, formé dé trois lames de fer, et l’épée merveilleuse qui traverse les armures , brise les chaînes, partage les rochers en deux; il chante les valkyries qui viennent recueillir les morts sur les champs de bataille , et les joies sans fin qu’elles leur préparent dans le Valhalla. Tandis qu’il s’abandonne ainsi à son enthousiasme , tous les guerriers palpitent en l’écoutant, tous les glaives tressaillent dans le fourreau, et quand revient l’heure du combat, lui-même jette là sa harpe, et s’élance, les armes en main, au milieu de la mêlée ; s’il succombe, il sourit à la 'mort qui s’approche, et s’il lui vient alors une pensée d’amour, il l’exprimé avec énergie. Le scalde Gisle, poursuivi par ses enfteinis, s’élance au-dessus d’un rocher, et se défend long-temps contre eux; puis il tombe, accablé par le nombre, et chante, et ce*qui le réjouît» c’est de penser que sa femme saura avec quelle valeur il a combattu. «Ma jeune'femme, s’é- crie-t-il, sera fière d’entendre mes ennemis vanter ma bravoure ; j’ai encore de la force, quoique le glaive acéré me déchire : c’est mon père qui m’a légué cette force, pour héritage. » Hiàlmar tombe sur le champ de bataille et chante : « Mon armure est brisée; j’ai sur le corps seize blessures. Tout est noir devant moi ; je vacille, si j’essaie de marcher. L’épée d’Àn- gantyr a pénétré a» cœur, et quand j’aurais, maintenant cinq demeures sur terre, je n’en habiterais pas une. La blanche fille de Hilmir m’a dit que je ne reviendrais pas ; sa prédiction va s’accomplir. Tiens, tire cetanneaud’or de mon doigt, porte-le à mon Ingeborg; en le voyant, elle saura que nous ne devons jamais nous revoir. Voici venir les corbeaux, et après les corbeaux, je vois accourir les aigles, je leur servirai de pâture jusqu’à ce que le sang de mon cœur soit épuisé.» Le scalde Hagbard était un jour auprès de la fille d’un roi de Danemark, et il lui disait : « Si ton père savait que je suis ici, moi qui ai tué ses fils, moi qui ai séduit sa fille, avec quel bonheur il me jetterait dans les fers, et toi, que dèviendrais-tu s’il me faisait mourir ? » — « Je mourrais, » dit la jeune fille* Peu de jours après il est surpris avec elle, et condamné à mort. Au moment où on le mène à l’échafaud, il veut voir > si son amante sera fidèle .à la promesse qu’elle lui a faite de ne pas lui survivre. Il prie le bourreau de pendre d’abord ses vêtemens ; à cette vue, la jeune fille le croit mort, elle met le feu à la maison et périt dans les flammes. Hagbard chante ; « Hâtez-vous, hâtez-vous de me faire 44a LETTRES SCR L’ISLANDE. 9 mourir, Il sera doux, ô mat belle fiancée, de te rejoindre dans les airs. Entendez-vous les pétil- lemens du feu ! Voyez-vous-les poutres étincelantes? Ces flammes rouges sont pour moi la bannière de la fidélité. L’amour de ma bien- aimée éclate à travers l’incendie. Oh ! que ta me rends heureux, jeune fille ! tu as rempli ta promesse, et chacun nous proclame hautement fidèles dans la mort comme dans la vie. Ce que tu avais juré comme femme, tu l’as exécuté comme un héros. Hâtez-vous, hâtez-vous; j’en suis sûr maintenant; dans l’empire de la mort le véritable amour ne meurt pas. Ma bien- aimée, je vais te retrouver avefc bonheur. Au midi comme au nord, on entendra retentir notre chant de mort; on entendra sui* la terre et dans le ciel répéter ces mots : Également fidèles, également tendres, ils sont heureux ensemble. Le scalde le pins célèbre de la Scandinavie, c’est Ragnar Lodbrqk, roi de Danemark. L’histoire nous a gardé les principaux traits de sa vie; mais la tradition populaire les a développés et embellis, et sa saga est l’une des plus anciennes qui existent (i). , (i) Le nota de Lodbrok « été rapidement répandu en Suède, 11 y avait autrefois en Gothland, dit cette saga (i), un roi puissant qui avait une fille charmante appelée Thora, à laquelle il avait donné le surnom de Biche, parce qu’elle surpassait toutes en Allemagne, en Angleterre, et en France. Les poètes Scandinaves ont chanté ses aventures, et les nôtres ont mêlé son nom à leurs chroniques. On trouve dans un poème manuscrit de Denis Py- rame, cité par Sharon Turner le passage suivant : Cil Lothebroc e ses trois fiz Furent de tute gent haiz ; x Kar uthlajes furent en mer ; Unques ne finirent de rober. Tuz jurs vesquirent de rapine ; Tere ne cuntrée veisine N’est près d’els ou il a laruu N’eussent feit envasiun. De ceo furent si enrichiz Amuntez et amanantiz Qu’ils aveient grant armée De gent e mult grant assemblée Qu’ils aveient en lur companye Kant erruent oth lur navye. Destrut en aveient meint pais Meint pueple destrut et occis : Nule contrée lez la mer Ne seput d'els ja garder. (x) Saga Regnars Konungs Lodbrokar publiée par Rafn dans ses Fornaldar Sœgur. T. i. p, aÎ7« les autres femmes par sa grâce et son élégance, comme la biche surpasse leq autres animaux. Le roi l’aimait beaucoup. Son plus grand souci 4tait de chercher sans cesse,' pour elle, quelque nouvelle distraction et de lui préparer de nouvelles fêtes. Il lui avait fait bâtir un magnifique* château, et un matin il lui apporta le plus joli serpent qu’il fut possible de voir. C’était en Scandinavie un animal d’une rare espèce. Il avait l’œil, vif, la tête fine, la peau brillante ; il était souple et caressant. Thora le reçut avec joie, le posa sur un lingot d’or, et l’enferma dans une cage; mais bientôt le serpent grandit et grandit à chaque instant d’une manière effrayante. On pouvait le tenir d’abord dans le creux de la main, et il n’occupait qu’uge très petite place dans le coin de sa cage. Il brisa sa porte et sortit,.et toucha aux deux extrémités de la salle, puis aux deux extrémités de la maison, et il en vint à enlacer dans sa puissante étreinte toutes les murailles du château. Avec lui le lingot^randissait aussi, et le serpent était là accroupi sur sop or, l’œil enflammé, la bouche écumante, effrayant par son regard et par ses sifflemens tops ceux quj tentaient de l’àp- prochêr. Le roi en eut peur et fit proclamer dans tout le pays, qu’il .donnerait sa fille en mariage à celui qui tuerait le monstre. Bagnar, fils de Sigurd, roi de Danemark, entendit raconter cette étrange histoire, et résolut de délivrer Thora. U se fit faire un vêtement de cuir trempé dans le bitumé et s’avança la lance à la main près du château habité par la jeune fille. Le serpent vomit contre lui des' flots de venin, mais Ragnar était protégé par ses vétemens, et il enfonça dans les flancs du monstre sa large lame d’aciërl Peu de temps après, il épousa la belle Thora, qui lui donna deux fils également distingués par leur force et leur courage. Mais elle mourut, et Ragnar, pour se consoler, s’en alla guerroyer de côté et d’autre, s’attaquant à tout ce qu’il rencontrait, et remportant toujours la victoire. Un jour il arrive en Norvège. Ses compagnons descendent à terre et découvrent dans une misérable chaumière une jeune fille nommée Kraka et remarquable par sa rare beauté. Us en parlent avec enthousiasme à Ragnar, et Ragnar lenr pose une de ces énigmes dont on retrouve de frcquens exemples dans les poésies AO du Nord au moyen-âge. Si cette jeune fille, dit-il, est aussi belle que vous vouleï me le faire croire, amenez-la moi, mats il faut qu’elle vienne ici, sans être habillée, et cependant sansêbre nue, qu’elle n’ait rien mangé, et qu’elle ne soit pas à jeun, qu’elle n’arrive pas seule, et qu’elle ne soit accompagnée de personne. Quand on rapporte cette éptgmeà Rraka, elle la comprend aussitôt, et pour la résoudre, elle laisse tomber ses longs ehôvâvyc blonds autpur de- son cotps, et s’enveloppe dansun filet de pêçhe. Elle goûte un peu depoireau (i) et pas un homme ne l’accompagne, mais elle est suivie d’un chien. Leroi, en la voyant, devint amoureux d’elle et l’épousa. Quelque temps se passe, et Ragoar, fatigué de vivre dans le repos, équipe un navire et s’en retourne, comme autrefois, explorer les mers lointaines et les contrées étrangères. Il visite le roi de Suède, qui l’accueille avec de grandes marques de déférence et le fait asseoir dans la sajle du banquet à la place d’honneur. Ce roi a une fille fort belle appelée Ingeborg. Ragnar ( i ) En ek mun bergia à einum Lauk. Le mot Lauk signifie aussi graisse de viande. oublie en la voyant les liens qui l’attachent à Kraka. Il la demande*en mariage et se fiance aVecelLe. Quand il- revient en Danemark, sa femme le questionne et veut savoir ce qui lui e6t arrivé pendant son voyage — Bien, dit-il. Trois fois elle lui adresse la même question ^ et trois fois il lui donnçla même reponse.*Eh bien! s’écrie-t-elle, moi, je sais ce qui est arrivé. Tu as demandé Ingeborg en mariage et tu dois l’épouser bientôt. Ce ne sont pas tes compagnon* de Voyage qui m’ont révélé ton secret, je l’ai appris par trois oiseaux que tu as dû voir voltiger auprès de toi. Mais ne me fais pas l’affront que tu as projeté, car je ne suis point, comme tu l’as cru jusqu’à présent, la fille d’un pauvre paysan : je suis Âslauga, la fille de Sigurd qui a tué Fafnir; et pour preuve de ce que je 'te dis , il me naîtra bientôt un fils dans les yeux duquel sera peinte .l’image d’un dragon. Les paroles d’Aslauga se confirment, etIUgnar refuse d’épouser Ingeborg. A cette nouvelle, le roi de Suède envoie à toutes les tribus le signal de la guerre, la flèche qui appelle les hommes au eombat, et rassemble ses troupes pour venger l’injure faite à sa fille. Mais les fils de Ragnar sont comme leur père d'intrépides aventuriers.’ Déjà ils ont affronté maint danger, et fait couler le sang dans mainte bataille. Tandis que leurs frères naviguent au loin, les deux aînés, Agnar etÇirik, demandent à conduire eux-mêmes, l’armée danoise .en ? Suède. Lès deux partis s’avancent l’un contre l’autre. Le combat s’engage, les cnfans de Ragnar le soutiennent avec ardeur ; mais tout à coup voici venir contre eux une vachp furieuse qui, par ses bonds étranges et ses longs beugle^ mens,effraie leurs compàgnonset répand le désordre dans leur armée. En vain ils cherchent à la rallier, en vain ils redoublent d’efforts et d’audace; les Suédois les pressent, les enveloppent. Ragnar tombe couvert de blessures. Eirik est fait prisonnier et condamné à mort. A cette nouvelle, Aslauga pleura, et ses larmes, dit la chronique , étaient rouges comme le sang et dures comme la grêle. Au même instant, on vint lui annoncer qu’un autre de ses fils avait péri glorieusement les armes' à la main, et elle écouta ce récit avec l’orgueil d’une femme Spartiate, et elle ne pleura pas. « Celui-là, s’écria-t-elle, a noblement teint de sang son bouclier. Il est mort comme un héros doit mourir,, et il ira re* joindre Odin. » * Pendant ce temps Ragnar était allé dans d’autres, contrées. Aslanga engage ses fils à ven- * ger leurs frères. Elle-même souffle dans leur cœur le feu de la colère ; elle-même veut se mettre' à la tête des troupes et les accompagner en.-Suède. Dès que les deux armées sont en présence l’une de Fautre, dès que les scaldes ont entonné le-chant du combat, le roi Eirik lâche contre les ennemis la vache furieuse. Mais Ivar s’est fait faire un arc avec un grand rameau d’arbres, et de lourdes flèches fortement trempées. 11 se fait porter par des soldats au devant de l’animal monstrueux et le tùe.Alors la frayeur s’empare des 6uédois, ils ne résistent plus, ils fuient. Les fils de Ragnar les poursuivent et jonchent la terre de morts et de blessés. ‘ . De làils continuent leur marche aventureuse, et s’en vont de pays en pays, prenant d’assaut les forteresses, pillant les villes, ravageant les habitations, partout redoutés comme un fléau, et partout victorieux. La saga dit qu'ils vinrent jusqu’en Sujsse, et ils auraient bien voulu aller à Rome. Oi* sait que Rome est là ville înerveil* leuse du moyen-âge^ Son nom se trouve dans toutes les chroniques, et tous les poètes l’ont chanté. Malheureusement lès fils de Ragnar, qui ont traversé tant de fleuves et tant de rivières, ne savent de quel côté se diriger pour arriver à Rome. Pendant qu’ils en sont à se consulter et à mettre en comfnun toute leur science géographique, ils avisent lion‘loin d’eux un homme qui chemine portant le grand chapeau et le bâton fèrré des voyageurs. Ils l’appellent et lui demandent : Qui es-tu? —- Je suis un pèlerin. — Connais-tu ce pays? —Je connais tous les pays qu’un homrçe peut parcourir, car j’ai passé ma vie à voyager.—Sommes-nous encore loin de Rome? — Loin de Rome! s’écria le pèlerin; regardez cette paire de souliers de fer que je porte à .mes pieds, et cette autre que je porte sur mon dos; maintenant ils sont usés : je viens de Rome en dr*oite ligne, et quand je suis parti ils étaient neufs. ' Après une telle indication, les fils de Ragnar pensent que ce serait un trop long voyage, et retournent vers le nord. Cependant le vieux Lodbrok est revenu en Danemark et-a souvent entendu vaater leurs exploits. La gloire qu’ils se sont acquise ranime sonamtntton dé guerrier. Il veut de nouveau traverser les mers, affronter les combats et faire comme autrefois retentirson nom dans les trois rçyaiumès de la Scandinavie. Bientôt tout est en mouvement, dans les États de Danemark; les forgerons fabriquent la lourde armure et la, lance aiguë. Les chefs de tribus préparent leurs troupes, et Ragnar fiait équiper deux grands vaisseaux. Les rois voisins, en apprenant ces préparatifs, tremblent qu’il ne vienne les surprendre , et placent des sentinelles sur toutes leurs frontières. Mais Lodbrok déclare qu’il 'Veptaller envahir l’Angleterre, et il s’embarque; et la noble Aslauga, que de. sombres pressenti- mens affligent, lui apporte, àu moment du départ, une cotte d’armes consacrée à Odin, également impénétrable au fer et au feu. Elli, roi d’Angleterre, a été instruit des projets de Ragnar, et il s’avance contre lui avec une armée nombreuse. Un combat acharné s’engage. Les Danois font des prodiges de valeur. Ragnar voit ses compagnons tomber l’un après l’autre autour de lui, et U reste debout plein de force endore et protégé par SOR armure. Mais les soldats anglais le cernent, le pressent, puis s’élancent sur lui et 1’enchaîaent. Le* roi le lait jeter dans une grande fosse remplie defserpens, et Ragnar y reste un jour entier. Les serpens dressent la tête et sifflent- contre lui, mais n’osent l’approcher, car il porte encore sa cotte d’armes magique. JEjli ta lui fait enlever. A l’instant les vipères s’enlacent'autour de leur victime, et le vieux guerrier, çentant leurs dards aigus s’enfoncer dans sa poitrine, entofine son chant de mort (i): ' ' « Nous avons frappé avec le glaive. Naguère nous allions en Gothland écraser le reptile. Alors nous prîmes Thora pour, fiancée. Mon épéê (i) Le roi Ragnar vivait à la fin du vme ou au commencement du ixe siècle. Les écrivains du nord ont beaucoup disserté sur le chàot qu’on lui attribue. Presque tous pensent que ce chant a été composé par un scalde islandais, les uns disent deux à trois siècles, les autres cinq siècles après la mort de Ragnar. Mais le savaut M. Rafn a cherché à défendre l’ancienneté et l’authenticité de ce poème. Le chant, de mort de Ragnar renferme vingt-huit strophes. Il est écrit dans L* forme du Drotikvœdi, c’est-à-dire mélangé de trochées et de dactyles et en certains endroits allitéré. M. Rafn eu a' publié Une fort tifelle édition avec des notes nombreuses ; le texte du poème islandais, la traduction danoise, latine, française. Cette dernière irfa paru assez défectueuse pour me permettre d’en essayer une seconde. Krakas Maal ûdgivet af Rafn. i vol. in*8° Copenhague, 1826.^ traversa le corps du serpent. Le monstre connut 4a force de mon bras, et l’on me donna le nom de Lodbrok. «Nous avons frappé avec le glaive. J’étais encore jeune lorsqu’à l’orient nous donnâmes aux loups un repas sanglant, et afk oiseaux une pâturé, qu.and notre rude épée sonnait sur le beaume. Alors on vit la mer d’enfler, et le corbeau marcha dans le sang. . «Nous avons frappé avec le.glaive. Je ne comptais encore que vingt années quand nous agitâmes notre lance dans les airs, quand le combat nous- entraînait dans, son tourbillon. Vers l’orient, à l’embouchure de la Dyna, nous tuâmes huit jarl. Les loups trouvèrent à se rassasier aprè^ cette bataille. La sueur.(i) tombait dans la mer, et bien des guerriers moururent. « Nous avons frappé avec lç glaive. La femme de Hedin n.e nous quitta pas quand nous envoyâmes les Helsinger dans la salle d’Odin. Nous remontâmes l’Ifa. Là. morsure de la flèche se faisait sentir. Le fleuve était rouge du sang des (x) Le sang. C’fest encore un de ces mots* à double acception dont les scaldes aimaient à se servir. * chaudes blessures. L’épée gémissait sur l’armure et la hache brisait les boucliers. « Nous avons frappé avec le glaive. 11 me semble que dans ce moment j’accomplis mon sort. On n’échappe pas aux décrets des Nornes. Je ne pensais guère qu’É^i disposerait de ma vie quand je donnais à manger au faucon sanglant, quand je m’élancais avec mes vaisseaux sur la mer, quand je livrais dans les baies d’Ecosse une pâture aux aigles. « Nous avons frappé avec le glaive. Je me réjouis quand je songe aux larges bancs où vont s’asseoir les convives de Balder. Bientôt nous boirons la bière dans des cornes. Le guerrier ne se plaint pas de la mort dans la splendide demeure de Fiolnir (i). Je ne prononcerai pas une parole d’effroi en entrant dans fa salle de Vidar (a). « Nous avons frappé avec le glaive. Les fils d’Aslauga éveilleraient bientôt avec leurs armés acérées le dieu des combats, s’ils savaient les tourmens que j’endure,«s’ils savaient comme les 5 6 gerpens venimeux m’enlacent. J’ai donné à mes «dans une aSae qui a mis an monde des héros. « Mous- avons frappé avec le glaive. La mort déjà s’approche. Les. serpens me pressent avec force. La vipère s’est logée dans mon cœur. J’espère que la verge de Vidàr s’appesantira sur Ëlli. La fureur s’emparera de mes fils quand ils apprendront la mort de leur père, et l’ardente jeunesse ne leur laissera plus de repos. « Noufiavoos frappé aveele glaive. Cinquante «t,une fois j’ai mené mes enfans aircômbat. Je ne croyais pas trouver un homme plus fort que moi. Jeune, j’appris à rougir le fer aigu ; maintenant les ases m’appellent; je ne regrette pas de mourir.* « Il me tarde d’en finir. Les déesses envoyées par Qdin viennent me Chercher. Joyeux, j’irai prendre place sur les sièges élevés et boire 1i bière avec les Ases. Les heures de ma vie touchent à leur terme. Je meurs en riante Lps heures de ma vie touchent à leur terrpe. Je meurs en riant. » ? ' *. Qûasnd le roi d’Angleterre apprit la mort du ' héros , il eut peur que Ses fils ne le vengeassen t crue'ement, et il envoya en'Danemark des ambassadeurs pour connaître leurs dispositions. Les ambassadeurs trouvent les quatre fils de Ragnar réunis dans une salle ; ils racontent ce qui s’est passé, et quand ils disent comment le vieux guerrier est mort, Biorn serre si fortement un bois de lance qu’il y laisse l’empreinte de ses doigts ; Huitserk presse avec une telle colère un échiquier qu’il se fait jaillir le sang des ongles, et Sigurd, qui tenait un couteau à la main , se coupe jusqu’à l’os sans y faire attention. Bientôt après, tous quatre prennent leurs armes et s’embarquent pour l’Angleterre ; mais ils sont battus et s’en reviennent chercher de nouvelles troupes. Ivar, qui est le plus adroit de tous, les quitte et va trouver le roi*Elli. a.Je te promets, lui dit-il, de ne jamais porter les armes contre toi, si tu veux me donner dans ton royaume autant de terre que peut en contenir une peau de bœuf. » Le roi Elli, qui ne connaît pas l’histoire de Didon, sourit d’une prière si humble, et lui accorde ce qu’il demande. Ivar coupe la peau de bœuf par fines lanières, enveloppe une vaste étendue de terrain et y bâtit la forteresse de Londres. Là, il attire à lui par des promesses, par des présens, les principaux habitans du royaume, et quand il croit pouvoir compter sur leur appui, il envoie dire à ses frères de venir avec leur armée. Ils arrivent suivis d’une troupe nombreuse ; 'mais Elli, trompé par Ivar, trahi par ses anciens compagnons d’armes, essaie en vain de se défendre. Les fils de Ragnar s’emparent de lui et le font expirer dans les tortures. Puis, ils retournent en Danemark, heureux d’avoir vengé la mort de leur père. Mais Ivar régna encore de longues années eü Angleterre, et lorsqu’il se sentit près de mourir, il ordonna à ses amis de l’enterrer àl’endroit delà côtele plus exposé aax invasions, car il protégerait encore, disait-il, le royaume après sa mort. Sa volonté fut exécutée, et l’on raconte qu’en l’an 1066, lorsque le roi Harold entra en Angleterre, il aborda près de la tombe d’Ivar et périt dans le combat. Mais quand vint Guillaume - le- Conquérant, on ouvrit cette tombe, et l’on y trouva le corps d’Ivar encore intact ; Guillaume le fit brûler, et rien ne s’opposa plus à sa conquête’. Ainsi finit la saga de Ragnar, et le nom du- héros est resté populaire dans la vieille Scandinavie. Dans la chaumière islandaise les "paysans parlent des aaeiens jours, etcfrantent encore son chant de mort. A MYTHOLOGIE. Les sagas et les vieux historiens l’ont dit: Odin, chef des Ases, s’empara des trois royaumes de la Scandinavie. H venait de l’Orient II apporta, avec lui la langue, les mœurs, et sans dpute aussi les mythes de l’Orient. La langue, (elle qu’on la parle encore aujourd’hui en Islande, a conservé des indices certains de son origine. Les mœurs des anciens Scandinaves ont eu dansleS contrés méridionales leflm analogies, et le paganisme de ces hommes du Nord présente plus d’un point de rapprochement avec les traditions religieuses de l’Orient. Mais il ne faudrait y chercher ni tes riohe» et fécondes créations de'l’Inde, ni les mystérieux-symboles de l’Égypte, ni les charmantes fables dé la Grèce. La théogonie orientale s’est amoindrie; en passant dans lies régions hype’rboréenne*. Le vent du nord a effrayétoutes ces myriades de nymphes, de sylphes', d’anges ailés qui* voltigent à travérs les forêts de l’Himalaya et les vertes vallées de Kachemire. Quand cette arihée de'dieux s’en venait avec les bataillons d’Odin,' la plupart n’ont pas eu le Courage de continuer une si longue route, et sont retournés vivre dans leur paradis de fleurs.* Les* autres-ont pérdù le long du chemin leur 'manteau de pourpre, et les déesses ont laissé tomber leur écharpe d’or et leur ceinture magique. Le ciel Scandinave est pauvre; on n’y mange que du sanglier,-on n’y boit» que dü lait et de la bière, et les dieux qui l’habitant sont les plus malheureux dieux que je connaisse. Les géans leur résistent,le loup Fënris les effraie. Pour échapper aux pièges qu’on leur tend, ils ont recours à leur ennemi mortel, Loki. Pour pouvoir boire à la coupe poétique, Odin est obligé de se changer en serpent. Pour puiser à la source de la sagesse, il faut qu’il se prive d’un œil, et dans les jours de grandes crises, il descend de son trône, lui le maître de la nature, lui le dieu suprême, et consulte la tête de Mimer. Tous ces dieux vieillisent et meurent. S’ils n’avaient les pommes d'Iduna qui leur servent d’eau de Jouvence, on verrait leur front se couvrir de rides, et leurs têtes devenir chauves. Mais un jour ni les pommes d’Iduna, ni leurs flèches, ni leurs massues, ne pourront les sauver. Le monde s’abîmera sous eux, et ils périront avec le génie du mal, contre lequel ils luttent sans cesse. La religion des Indiens est une religion sacerdotale toute pleine de combinaisons philosophiques, de systèmes ingénieux; celle des Scandinaves , au contraire, a été faite pour un peuple de soldats; elle est austère et sans art, énergique et farouche. Son dogme ressemble à un code martial. Ses hymnes sont des cris de guerre. Ses jours de fêtes sont des batailles. Dans ses temples ruisselle le sang des victimes, II et le bonheur qu’elle promet à ses héros, c’est l’éternel combatdu Yalhalla. Les mythes indiens se sont développés comme des rameaux de fleurs sous un ciel d’azur, sur une terre riante. Les mythes Scandinaves sont restés sombres comme les nuages qui flottent au-dessus de la mer Baltique, tristes comme le vent qui gémit dans les montagnes de Norvège ou dans les plaines désertes de l’Islande. Cependant, à travers ce tissu grossier des traditions primitives, on découvre parfois des emblèmes ingénieux, et il est assez intéressant de rechercher les rapports qui existent entre cette doctrine religieuse du Nord, et celle des régions plus heureuses d’où on la fait provenir. La cosmogonie Scandinave débute comme la cosmogonie de tous les anciens peuples. Au commencement il n’y avait rien, rien que la nuit et lechaos; mais l’être souverain, le créateur, PAll- fader, existait. Celui-là a été de tout temps, et subsistera dans l’éternité. Il était seul darts $op vide immense. U produisit la terre de Ginonga^- pap toute couverte de glace et la terre ardente de Muspelheim, gardée pnrSurtur, qui viendra un jour, avec une épée flamboyante, combattre les dieux et embraser le monde. La chaleur -vitale de Muspelheim pénètre et amollit les glaces du Nord. De ce mélange d’humidité et de chaleur, de ce principe de fécondité que l’Inde et l’Égypte adoraient, naquit le géant Ymer. Les mêmes élémens produisirent la vache Audumbla. De ses flancs découlaient quatre torrens de lait qui servirent à nourrir Ymer. Une nuit le géant enfanta par son bras gauche un homme et une femme, par ses pieds un fils. De là vient la race puissante des géans, et c’est ainsi que Brahma enfanta par sa bouche la race des Brahmes, par son bras celle des guerriers, par sa cuisse celle des laboureurs, par son pied celle des parias. Cependant la vache Audumbla se nourrissait en léchant les pierres couvertes de givre. Le premier jour le mouvement de sa langue fit pousser sur la pierre des cheveux ; le second il en sortit une tête; le troisième jour, un homme se leva; c’était Bor. U épousa la fille d’un géant et mit au monde trois fils : Odin, Vili et Ye. Tous trois se réunirent et tuèrent Ymer, le Titan Scandinave. Son sang, qui coula jt à flots, noya les autres géans, à l’exception de l’un d’eux qui s’enfuit avec sa femme dans un bateau et s’en alla ailleurs propager sa race. Avec le sang d’Ymer, les fils de Bor firent la terre, avec son sangla mer et les lacs, avec ses ôsles montagnes, avec ses dents les pierres ; avec son crâne ils for» mèrent la voûte du ciel, qui est portée par quatre nains,' avec sa cervelle les nuages ; avec, ses sourcils ils élevèrent une palissade pour les protéger contre les géans;avec les étincelles de feu qui tombaient du Muspelheim ils formèrent les astres et les étoiles. Cependant il y avait encore dans le pays des géans un homme appelé Nor. Sa fille fut la nuit, et elle enfanta le jour. La nuit parcourt le ciel sur un cheval qui secoue à chaque pas son frein écumant. C’est de là que vient la rosée. Le jour est conduit par un coursier impétueux, qui, de sa crinière brillante, éclaire la terre. Le soleil et la lune sont deux beaux enfans qu’Odin enleva à leur père. Us sont poursuivis par deux loups, qui menacent à chaque instant de les engloutir. Voilà pourquoi ils courent si vite. La même croyance se retrouve chez plusieurs peuples. Une tradition mongole rapporte que les dieux voulurent un jour punir Aracho d’un crime qu’il avait commis; mais il se déroba à leur pour* suite. Us le cherchèrent de toutes parts sans pouvoir le découvrir; puis ils demandèrent au soleil où il était, et le soleil ne leur donna qu’une, réponse peu satisfaisante. Ils s’adressèrent à la lune, qui découvrit sa retraite. Depuis ce temps Àracho poursuit sans cesse le soleil et la lune; et quand il arrive, une éclipse, les habitaus du Mongol pensent que l’ennemi des dieux vient de se jeter sur un des astres qu’il cherche à engloutir, et, se rassemblant en toute hâte, ils poussent de grands cris, afin de l'effrayer. Le monde Scandinave était créé; Odin avait peuplé le ciel; et les géans habitaient la contrée lointaine que la théogonie islandaise ne désigne pas. La terre était encore déserte. I]n jour, en passant sur le rivage de la mer, les dieux aperçurent deux rameaux d’arbres flottans. Ils les ramassèrent et en firent l’homme et la femme L’homme s’appela Âsk, la femme Ambla. Le premier leur donna l’ame et la vie, le second le mouvement, le troisième la parole, l’ouïe et la vue. Le dernier acte de la création est un nouvel emblème du sentiment religieux que les anciens peuples manifestaient pour certains arbres. Les Grecs plaçaient des nymphes célestes au sein d’un hêtre, et demandaient des oracles aux chênes de Dodone. Les druides cueillaient le gui avec une serpe d’or ; les vieux Germains avaient des forêts sacrées ; c’est là qu’ils adoraient leurs idoles; c’est là qü’un jour le Christ passant environné des rayons de sa gloire, tous les arbres s’inclinèrent devant lui pour rendre hommage à sa divinité. Le peuplier seul, dans son superbe orgueil, resta debout la tête haute, et le Christ lui dit : « Puisque tu n’as pas voulu te courber devant moi, tu te courberas à tout jamais au vent du matin, à la brise du soir, x Depuis ce temps, le peuplier frémit sans cesse, et tremble au moindre souffle. Les Norvégiens croyaient qu’une armée avait été changée en arbres , et que la nuit leurs soldats, enlacés par une rude écorce, reprenaienfla forme humaine, et se promenaient le casque en tête au clair de la lune. Que de merveilles se sont passées au moyen-âge dans l’enceinte mystérieuse des bois ! Combien de fois les fées n’ont-elles pas attendu, au pied des verts taillis, les chevaliers qu’elles voulaient conduire dans leur palais ! combien de fois la poésie, interprète de cette idée populaire, n’a t-elle pas célébré la magie secrète des forêts ! Il TOUS souvient de la romance du Saule, qui fai- sait pleurer Desdemona, et du Roi des Aulnes, chanté par Goethe. Les dieux avaient commencé leur œuvre par établir, avec' les sourcils d’Ymer, une palissade contre les géans. Ils se bâtirent au centre du monde un château, une forteresse. Ces dieux de la Scandinavie, comme ceux de là Grèce, représentent, sur une échelle plus élevée, tous les actes, toutes les vicissitudes, toutes les passions de la vie humaine. Les hommes se battent entre eux, les dieux se battent contre les géans; les hommes se font des armures de fer, et les dieux établissent dans leur demeure de vastes ateliers , et se forgent des casques d'or et des boucliers éblouissans; les hommeqtiennent des assemblées judiciaires, et les dieux se réunissent aussi, à certains jours, pour juger les évène- mens de la terre et la grande cause des peuples. Le grand conseil des dieux se rassemblait sous le frêne Ygdrasil, image du temps. Ce frêne est le plus beau, le plus grand arbre qui existe. Ses pieds descendent dans les entrailles de la terre; ses rameaux, couvrent le monde entier ; sa tète s’élève jusqu’au ciel. Trois racines immenses le soutiennent : la première touche aux enfers, la seconde au pays des géans, la troisième à la demeure des dieux. Dans le pays des géans est la source de la sagesse, qui appartient à Mimer. Un jour Odin voulut aller y boire, et n’obtint la permission qu’il demandait qu’en sacrifiant un de ses yeux. N’est-ce pas une image touchante des souffrances qu’il faut subir pour acquérir la science ? Près de la demeure des dieux est la source du temps passé. C’est là que le conseil céleste se réunit; c’est là qu’il prononce ses sentences. Là sont aussi les trois nornes, les trois parques de la Scandinavie, Urd, Verdandi, Skuld (le passé, le présent et l’avenir ). Elles tiennent entre leurs mains le fil de la vie humaine; elles le tordent sous leurs doigts endurcis; elles le roulent sur leur lourde quenouille; elles le coupent avec leurs ciseaux de fer. Sur léfc rameaux du frêne merveilleux, on voit un aigle qui sait, dit l’Edda, une prodigieuse quantité de choses ; au-dessous de lui est un serpent qui ronge les racines de l’arbre. Un écureuil court sans cesse de l’aigle au serpent, et . cherche à semer entre eux la défiance et la haine. Il y a encore auprès de l’Ygdrasil deux beaux cygnes, qui chanteront un jour son chant de . mort, et quatre cerfs qui se partagent ses feuilles,. comme, les saisons se partagent les dépouilles du temps. Les dieux habitent deS maisons splendides, aux murailles d’or, au toit d’argent. Odin a pour lui seul une grande ville éblouissante comme le soleil. Autour de lui sont les alfes lumineux, esprits ailé$, génies charmans, sylphes et trilby, qui ont aussi peuplé le monde mythologique de l’Inde(i) et de la Perse, et qui venaient, au moyen-âge, dormir au bord des fleuves, danser dans les prairies, ou s’abriter au foyer du laboureur, et se suspendre en jouant au fuseau de la jeune fille. Pour communiquer avec le monde, les dieux ont bâti, en forme de pont, l’arc-en-ciel. Au milieu est un sillon dé feu , pour empêcher les géans d’y passer. Chaque jour, la troupe divine monte et descend à cheval par celte route aérienne. Thor, lui seul, est obligé de la suivre à (i) Je rappelle à tous ceux qui veulent étudier la mythologie de l’onde et les autres mythologies anciennes l'excellent travail que M. Gui- gniaut a publié en refaisant la symbolique de Greuzer. pied) car il est si gros et si lourd, qu’aucun cheval ne pourrait le porter. Il y a douze grands dieux (t). Le premier est Odinfa). C’est le maître de l’univers et l’esprit des combats; c’est le Siva des Indiens, tout à la fois créateur et destructeur; dieu bienfaisant, dieu redoùtable, tantôt invoqué dans de pieuses prières, tantôt adoré avec des holocaustes de sang. C’est lui qui préside le conseil céleste, et il s’asseoit dans son palais sur un siège élevé d’où il découvre tout ce qui se passe dans le inonde (3). Il avait douze noms, et il usurpa celui d’AUfader ( père de toutes choses ) ; ce qui établit dans cette mythologie une étrange contradiction, car Odin mourra un jour, et il est ditquel’Allfader ne doit pas mourir. Les Scandinaves qui, dans Içur humeur guerrière, se souciaient peu d’une divinité pacifique et mi- (i) Toujours ce mystérieux nombre douze qui se retrouve dans les traditioos populaires : les douze signes du zodiaque, les douze tribus d'Israël, les douze pairs de France, les douze chevaliers de la Table- Ronde, etc. (a) Les anciens Allemands l’appelaient Wuotan, les Anglo-Saxons Yoden. Selon Grimm, ce nom provient du vieux mot germanique «wtfonet correspond au mot latin vadere. (5) Los poèmes du moyfcniga parlent souvent du Dieu * qui haut siet et de loin mire. » séricordieuse, adoraient Odin comme le chef suprême des armées, comme le génie des batailles sanglantes. Alors il ne s’appelle plus créa*- teur : il s’appelle le dieu terrible, t incendiaire, le dévastateur, le père du carnage. Il traverse les airs sur un cheval qui a huit pieds (i); il plane sur les champs de bataille et anime les combattans. Les guerriers lui dévouent les âmes de ceuxqu’ils égorgent ; le bruit du glaive le réjouit; le sang qui coule plaît à ses regards; il passe, sans qu’on le voie, au milieu des cohortes; mais, à l’ardeur qui les anime, les héros reconnaissent son approche, et croient entendre le hennissement de son cheval. Il s’écarte de ceux qui seront vaincus, mais il prête sa lance à ceux qui doivent remporter la victoire; et quand la lutte sanguinaire est finie, les walkyries lui amènent les âmes des guerriers qui sont morts après avoir noblement combattu. Thor est te dieu de la force, le maître du (x) Autrefois, dans certaines parties de l'Allemagne, quand les laboureurs faisaient leur moisson, ils avaient coutume de laisser sur le sol quelques épis pour le cheval d'Odin. ( Deutsche mythologie von J. Grimm, pag. 104.) tonnerre, l’implacable adversaire des monstres et des géans-, qu’il poursuit comme Hercule ou comme Thésée à travers les forêts et les montagnes; il a des gantelets de fer que lui seul peut porter; il a une ceinture qui double ses forces, et une massue merveilleuse qu’il lance à la tête de ses ennemis, et qui lui revient dans la main; son char est attelé de deux boucs; quand il le fait courir sur les nuages , on entend résonner ses roues d'airain, et c’est là le bruit que nous prenons pour le tonnerre. Aujourd’hui encore, quand il tonne, les paysans suédois ont coutume de dire : « Voilà le vieux ïhor qui se promène. » Thor a été adoré dans toute la Scandinavie. Il a donné son nom à un grand nombre de villes, de fleuves, de montagnes, et à l’un desjours de la semaine (i). Les poètes ont souvent célébré ses courses aventureuses , ses combats contre les géans. Nous trouverons plus tard, dans l’Edda, l’histoire d’un de ses voyages. Le troisième dieu était Freyr, il gouvernait (i) Islandais, thorsdagr; danois et suédois, torsdag; allemand, donncrstag; anglais, thursday. la pluie et les vents, et réglait le cours du soleil. Les Scandinaves avaient confiance en lui, et l’invoquaient pour obtenir une heureuse moisson. Au commencement de l’été, ils plaçaient sa statue sur un char, et la conduisaient autour de leurs champs, persuadés qu’elle devait faire germer le grain de blé dans la terre, et mûrir le fruit sur l’arbre. Freyr était aussi un dieu puissant et courageux. Il avait une épée d’une trempe si forte, qu’elle coupait, comme un brin d’herbe, les cuirasses de fer et les rochers. Un jour, par un fatal mouvement de curiosité, il monta sur le siège élevé d’Odin. De là ses regards embrassaient, dans l’horizon immense, le monde entier(i). Aucune barrière, aucun voile n’arrêtait sa vue. Toutes les villes lui montraient leurs trésors ; toutes les forteresses, leurs armures ; toutes les demeures des hommes leurs vices et leurs passions. Mais il ne fut séduit ni par l’or entassé dans le palais des rois, ni par les boucliers brillans suspendus aux mu- (i) Une légende d'Allemagne rapporte qu'un jour saint Pierre monta aussi sur le trône de Dieu, d’où I'OQ découvre tout ce qui se passe sur la terre. Il aperçut une femme qui volait, et en fut si irrité qu'il lui lança l'escabeau du Seigneur à la tête. ( Kinder und Haut Mœhr- c/te/i, gesammelt durch Grimm, pag. 35.) railles des châteaux, ni par les joyeuses réunions où coule l’hydromel. Il venait de voir au pied des montagnes une jeune fille d’une ravissante beauté, et il se retire avec douleur ; son cœur est agité, son repos est perdu. Ses amis, le voyant tout à coup devenir si peqsif, le questionnèrent à diverses reprises, et il finit par leur avouer ses rêves d’amour. L’un d’eux promet d’aller chercher la jeune fille, mais il exige que Freyr lui donne pour récompense sa redoutable épée. Le dieu y consent, et, quelque temps après, épouse sa bien-aimée. Mais quand viendra le dernier jour du monde, il se présentera sans armes au combat, et sera vaincu par les géans. Ces trois dieux formaient le triangle symbolique, la trinité Scandinave, la trimourti indienne. Après eux vient Niord, le Neptune des contrées septentrionales, qui gouverne les flots, et distribue à ses favoris les trésors engloutis par les vagues de la mer; Tyr, le soutien des guerriers, le protecteur des athlètes; Braga, le dieu du chant et de la poésie. Les runes sont écrites sur sa langue, et il a épousé Iduua, poésie vivante, qui, avec ses pommes d’or, em pêche les dieux de vieillir et le ciel de se dé* peupler. Heimdall est le gardien du pont céleste; il a été enfanté par neuf femmes. Nuit et jour il veille à l’entrée de la forteresse des dieux pour prévenir l’attaque des géans. L’EcIda dit qu’il dort moins qu’un oiseau. Son regard perçant distingue les plus petits objets à cent lieues de distance, et il a l’ouïe si fine, qu’il entend croître l’herbe des champs et la laine des brebis. Balder est le dieu bon et aimable, le principe du bien, l’idée du beau. Une nuit, il rêve qu’il doit bientôt mourir. Il raconte ee rêve à Qdin, qui fait seller son cheval, descend aux enfers, et va consulter la prophétesse. Elle lui dévoile la destinée de Balder, et Frigga s’adresse à tous les êtres animés de la nature, et leur fait prêter serment de ne pas nuire à son fils. Par malheur, elle oublie un jeune arbre nouvellement planté auprès du Valhalla, et si faible encore, qu’elle ne pouvait pas le croire dangereux. Mais>Loki,le génie du mal, a su ce qui s’était passé. Il arrache lui-même la branche d’arbre oubliée par Frigga; et, un jour que tous les dieux étaient réunis et s’amusaient à poursuivre avec leur lance et leur 1?6 LETTRES SUR L(TSLATÎDË. épée le bon, Balder, Loki remet la baguette fatale entre les mains de l'aveugle Hauder, qui se jette en riant sur Balder et le tue. A cette nouvelle, un cri de douleur retentit dans le ciel, et l’univers est consterné. On prépare les funérailles de Balder, on brûle son corps, celui de sa femme bien-aimée, et celui de son cheval de bataille. Toute la nature se revêt de deuil. La Mort elle- même s’attendrit. Hauder va la prier de laisser renaître Balder, et elle répond qu’elle y consentira si tous les êtres morts et vivans le pleurent. Odin convoque alors tout ce qui peuple la nature; la race humaine gémit sur le dieu qui n’est plus; les pierres s’émeuvent, les rameaux de chêne s’inclinent tristement à son nom, et la fleur des prairies et l’herbe des montagnes laissent tomber comme autant de larmes les gouttes étincelantes de rosée. Mais une vieille femme s’avance, le front joyeux, l’œil sec, et déclare qu’elle ne pleurera pas. C’était Loki qui avait pris cette forme pour tromper les dieux; et sa parole cruelle rejeta Balder dans l’empire de la mort. Nous verrons plus tard comment les dieux se vengèrent. Après ces grandes divinités, il faut compter encore Vidar qui tuera un jour le loup Fenris ; Vali, adroit archer; Uller, habile à patiner; et Forsate qui apaise les (Jisputes des hommes et juge les procès. De même qu’il y avait douze grands dieux, il y avait aussi douze déesses. La première est Frigga, épouse Id’Odin, qui partage avec lui les âmes de ceux qui meurent sur le champ de bataille; puis Freya, déesse de l’amour, qui a donné, comme Vénus chez les latins, son nom à l’un des jours de la semaine (i). Elle avait épousé Oddr, qui la quitta pour voyager. Elle le chercha, comme Isis, dans toutes les parties du monde, et le pleura avec des larmes d’or, les larmes de la fidélité. Eyra, la troisième déesse, est l’Esculape des demeures célestes. Géfione est la patrone des vierges. Loma réconcilie les amans. Vora sait tout ce qui se passe. Snorra protège les savans. On bâtissait à ces dieux des temples splendides; on leur offrait, à certaines époques de l’année, des sacrifices sanglans. Il y avait, (2) Oû disait dans notre vieux français Divenres : ( Dies Teneris ). « Pour ce qu’il ert divenres, en mon cuer m’assenti, elc. » (Roman de Berte au*gratis piés> pub. par M. P. Paris). ia f chaque année, trois grandes fêtes : l’une en automne, l’autre en été, la troisième au milieu de l’hiver ; le peuple y accourait de toutes parts. Dans ces réunions religieuses, les prêtres immolaient des prisonniers de guerre* des hommes condamnés à mort pour quelque crime, des sangliers et des chevaux, surtout des chevaux blancs, qui, de même qu’en Perse, étaient regardés comme des animaux Sacrés. Le sang des victimes était recueilli dans des bassins de pierre ou d’airain: Un des pontifes le prenait pour arroser les murailles du temple, et asperger la foule; puis oh partageait âti peuple la chair palpitante des chevaux ; les tonnes de bière s’ouvraient et les cérémonies pieuses se changeaient en orgie. Tous les neuf ans, les Scandinaves célébraient une fête plus solennelle. L’évêqüe Dithmar rapporte, dans sa Chronique de Mersebourg, que dans ces grandes réunions on égorgeait quatre-vingt-dix-neuf hommes, autant de chevaux, de chiens et de coqs. Ces sacrifices ne servaient pas seulement à rendre hommage aux dieux; les prêtres y cherchaient un moyen de former des pronostics, de prédire les évènemens. Ils avaient, comme les Romains, une sorte de science augurale à laquelle le peuple ajoutait foi. Les Scandinaves étaient crédules et superstitieux. On retrouve dans leurs croyances le fatalisme grec, le sabéisme des religions primitives, et le fétichisme des races ignorantes: iis disaient que nul homme ne pouvait échapper à son sort ; ils attribuaient une grande influence aux astres, à la "conjonction des étoiles, aux diverses phases de la lune; ils prêtaient serment sur des pierres; et s’ils avaient une injure à venger, ils prenaient la tête d’un cheval mort, la posaient sur un pieu, et la tournaient, comme un signe de malédiction, du côté de leur ennemi. Les mêmes croyances naïves, les mêmes idées superstitieuses reparaissent dans la peinture de leur paradis et de leur enfer. Le paradis des héros est le Yalhalla; ony arrive par cinq cents portes, et quatre cent trente-deux mille (i ) guerriers y sont réunis. Leur joie est de renouveler, dans (i) Il faut remarquer ce nombre, qui se trouve dans plusieurs autres mythologies. Les Chaidéens avaient fait des observations astronomiques pour 43a,ooo années. D'après Boroms et Syucellus, il s'était passé 43arooo ans entre la création du monde et le déluge. Chez les Indiens, le dernier Age du monde est de 432,000 ans. (Note A i’Edda par Ma- gnussen, tom. I, pag. 249 )• l’espace éthéré, les combats qu’ils ont soutenus dans ce monde. Ils se revêtent de leur armure, et s’élancent l’un contre l’autre avec ardeur. Mais ceux qui sont blessés dans ces joutes célestes ne souffrent pas, et ceux qui tombent morts sous le poids du glaive se relèvent aussitôt. Quand la bataille est finie, on dresse les tables du festin, et les élus s’asseoient, sur des sièges d’honneur, à côté des dieux. Onleurverse dans de grandes coupes le lait de la chèvre Hei- drun et la bière la plus pure : on leur sert chaque jour les membres fumans d’un sanglier qui, chaque soir, se retrouve intact. Odih est au milieu d’eux, mais il ne fait que boire et ne mange pas : il donne les mets qu’on lui présente à deux loups qui le suivent fidèlement, et porte sur l’épaule deux corbeaux qui lui disent à l’oreille les nouvelles du monde. Tous les matins, ces corbeaux prennent leur vol, parcourent la terre, et à midi ils s’en viennent raconter à leur maître ce qu’ils ont appris. La table du héros est servie par les valkyries ( i ). Ce sont de grandes (x) Ce mot vient de nmlr (camp) et kera (choisir). Le mot allemand kurfüst (électeur) a la même étymologie. On appelait aussi les valkyries ivalmeyar, skialldmeyar, vierges du camp, vierges du bouclier. Quelquefois elles se changeaient en cygnes et traversaient les fleuves en jouant. , et belles femmes qui portent aussi la cuirasse, et manient avec adresse la lance aiguë: elles assistent à toutes les batailles, et planent sur tous les champs de mort. Quand lè jour du combat est venu, quand le cri de guerre résonne a leur oreille, elles quittent à la bâte leur demeure céleste, et chevauchent dans les airs; leurs grands yeux bleus étincèlent de joie; leurs cheveux blonds flottent au gré du vent. Sur leur tête brille le casque d’or; sur leur poitrine, le soleil éclaire une armure sans tache, et leur cheval ardent bondit, secoue son frein d’acier, et baigne la terre d’écume. Les valkyries se mêlent aux bataillons de soldats, raniment leur ardeur, prolongent leur défense, et recueillent, le soir, les âmes des braves pour les emporter au ciel. L’enfer des Scandinaves s’appelle Niflheim; c’est un lieu ténébreux, relégué au fond du Nord, traversé par neuf fleuves qui ne roulent qu’une ' eau.noire et bourbeuse. Une nuit éternelle l’environnent on y arrive par des chemins obscurs. Quand Honnodr y descendit pour chercher son frère Balder, il traversa, pendant neuf nuits, des vallées sombres et silencieuses. Tous les ladies descendaient dans cette triste demeure, mais l’Edda ne parie point des tourmens qu’on leur faisait endurer. Les autres peuples du Nord . se représentaient l’enfer de la même manière. Les Lapons, en enterrant leurs morts, avaient coutume de mettre à côté d’eux une pierre à fusil, afin qu’ils pussent s’éclairer dans le ténébreux sentier qui conduit à l’autre monde. Une tradition finoise rapporte qu’une femme gémissait un jour sur la perte d’un de ses enfans ; son mari meurt, et elle s’écrie avec un sentiment de consolation: « Il est fort, lui, et il pourra conduire mon pauvre enfant dans le pays des âmes!» J’ai indiqué la hiérarchie des dieux comme ellese trouve dans l’Edda. Cesdieuxreprésentent l’ordre moral, la sagesse suprême, la justice éternelle. Mais en face d’eux s’élève Loki, le génie du mal. Là s’arrête l’unité religieuse, et le dualisme commence. Loki est le Typhon, l’Ahriman de cette mythologie. Par sa naissance, il appartient à la race perverse des géans ; par son intelligence et sa beauté, il est semblable aux dieux; par ses vices, il est le premier des esprits infernaux.: il aimé le mal pour le mal; le crime lui sourit, la veu- geance est pour lui unevolupté. Démon spirituel, Protée habile, souple dans ses actions, insinuant dans ses paroles, il revêt toutes les formes, et module, sur tous les tons, le mensonge et lp flatterie. Les dieux se servent parfois de lui, car il est adroit et rusé. Mais il se joue des dieux en les servant, et la haine qu’il leur porte est in- placable. Sa femme, Signie, lui donna deux fils» et il enfanta, avec la fille d’un géant, trois êtres monstrueux : le serpent Midgard, qui, dans ses longs anneauxj entoure la terre, comme, dans l’Inde, le serpent Sécha entoure le mont Mérou; Hela, la mort qui règne dans le ténébreux empire; et le loup Fenris. Les djeux pressentirent qu’un jour ce loup les attaquerait, et ils résolurent de l’enchaîner. Deux fois ils lui jetèrent autour du cou un cercle de fer, et deux fois le loup le rompit. Alors ils firent fabriquer parles nains un lien magique, souple et léger, et, en apparence, facile à briser. Us engagèrent Fenris à l’essayer; mais le loup leur dit : « Je me défie fle vos supercheries, et je n’essaierai pas ce lien, si, pour garantie de votre bonne foi, l’un de vous ne me met la main dans la gueule. » Tyr se dévoua; il y perdit la main, mais le loup fut enchaîné. Les dieux attachèrent le bout de la corde à un large bloc de pierre; et pour empêcher Fenris de le déchirer sous ses dents, ils le bâillonnèrent avec une épée dont la pointe lui perçe le palais. Depuis ce jour, le monstre pousse sans cesse d’effroyables hurlèmens, et les flots d’écume qu’il lance dans sa fureur forment un torrent. Quand les dieux eurent ainsi dompté un de leurs ennemis les plus redoutables, ils résolurent de punir les crimes de Loki. Mais il s’était déjà dérobé à leur colère. Ils le poursuivirent long-temps sans pouvoir l’atteindre, car il s’était bâti une maison ouverte de tous côtés, d’où il pouvait voir venir ses adversaires, et il leur échappait toujours par une nouvelle métamorphose. Un jour il se transforma en saumon et se jeta dans une rivière. Les dieux le pêchèrent avec un filet, et Thor le saisit par la queue au moment où il allait encore s’enfuir. Ils l’enchaînèrent avec les boyaux d’un de ses fils entre trois rocs aigus qui l’empêchent de se mouvoir; sur sa tête ils posèrent un serpent qui lui jette sans cesse son venin au visage. Mais Si- gnie, son épouse fidèle, le suivit dans son infortune. Elle est assise auprès de lui, et reçoit dans un grand vase tout le poison vomi par la vipère. Quand le vase est plein, quand il faut le vider, le venin tombe sur le corps de Loki et lui cause de telles douleurs, qu’il s’agite avec une sorte de frénésie et ébranle le sol dans ses convulsions. C’est de là que viennent les tremble- mens de terre. Mais le règne des dieux est limité, et les génies du mal doivent un jour rompre leurs chaînes et bouleverser le monde. Ce jour s’annonce par des signes effrayans : trois longs hivers se succèdent sans interruption; pas une lueur consolante n’apparaît au ciel, pas une fleur de printemps n’éclot dans la vallée, pas un brin d’herbe ne reverdit sur la colline. La famine et la peste ravagent le monde; la haine divise les familles; les frères s’entretuent; il n’y a plus de liens, d’affection, plus de foyer domestique, plus de vertus, plus d’amour. Le crime gagne tous les cœurs comme un ulcère, et ceux qui sont restés justes se réjouissent de s’endormir dans leurvombeau. Tout à coup la terre tremble sur sa base ; les arbres sont renversés avec leurs ràcines; les montagnes s’écroulent ; les étoiles tombent du ciel (i) deux loups engloutissent le soleil et la lune, et le monde est plongé dans les ténèbres. -• L’Océan, que la main du Créateur n’arrète plus dans son Ut de sable, inonde le globe. Sur ses vagues orageuses on voit flotte/ le Naglefar (a). Lies géatas eux-mêmes le remplissent et s’en vont chercher les dieux. Le serpent Midgard fouette les eaux de sa large queue, et lance son venin dans J es airs. Le loup Fenris s’avance l’œil enflammé; une de ses mâchoires touche à la terre, l’autre an ciel. Loki marche, comme l’Antéchrist, à la tête de tous les monstres, et Surtur le suit avec une épée flamboyante à la main. A l’entrée de la forteresse céleste, Heimdal jette le cri d'alarme, et sonne la trompette qui retentit dans le monde entier. Odin va consulter la source de Mimer, et tous les dieux se préparent au combat. Surtur renverse à ses pieds 1’*- moureu£ Freyr, qui n’a plus d’épée. Thpr écrase (i) Un vieux poète espagnol, Gonzdo de Berceo, emploie la même jma$e : Teras e las etfrpllas cper de su Iqggir Como caen las foias quant caen del fiçar. (a) ^aiamau Æqwtwit iwcJes ongles .temorts. le serpent, et puis tombe lui-même sous le poids du venin que le monstre lui a jeté. Le loup dévore Odin; mais le puissant. Vidar s’élance contre lui, pose un pied sur sa mâchoire, et, d’une main de fer, lui déchire la mâchoire supérieure. Loki et Heimdal se tuent l’un l'autre, et Surtur, le génie du feu, embrase le monde. Le monde s’est écroulé comme dans l’Apocalypse, comme dans le Zendavesta, comme daûs les Védas. Les hommes ont péri dans le fèu, les dieux ont disparu. Mais du milieu des flots purifiés, une autre terre surgit plus fraîche et plus riante que la première. Balder ressuscite ; Vidar et Vali ont survécu à la race des dieux. Un enfant du soleil éclaire de ses rayons limpides ce nouveau monde. Un homme et une femme ont échappé à l’embrasement universel, et répandent sur le globe une famille nombreuse. Au Valhalla succède un autre paradis plus heureux et plus beau, et le Niflheim est remplacé parun autre enfer. Le sol, béni par les dieux, n’attend plus que le laboureur le sillonne à la sueur de son front. Il se couvre de fleurs et de fruits. Un ciel d’azur s’élève sur cette terre féconde ; un printemps éternel sourit à tous les regards. Les hommes vivient d’une vie paisible dans une atmosphère de joie et de lumière. Les dieux retrouvent sur le gazon les tables d’or des Ases, et s’asseoient l’un auprès de l’autre, et s’entretiennent du passé. Ainsi finit le dogme de la mythologie Scandinave; ainsi finit celui de tous les peuples, par des rêves qui s’en vont au-delà des siècles, par l’amère douleur qui détruit la terre où chacun souffre, et la foi qui recrée aussitôt une terre idéale, un monde éternel. VIL LBS DEUX EDDA. I. Dans un des districts les moins désolés de l’Islande, sur la route de Breidabolstad àŒrebak, après avoir chevauché à travers une plaine marécageuse , le voyageur aperçoit, au haut d’une colline doucement inclinée, un groupe de maisons entourées de verdure. Une muraille de gazon les protège; une grande porte en bois s’ouvre au milieu de ce rempart agreste. D’un côté apparaît la chapelle avec ses saints de bois sur le portail ; de l’autre, l’habitation du paysan, celle du pasteur, et à voir de loin ces demeures paisibles, isolées de tout bruit, et ces murs de gazon qui les entourent, on dirait d’un ermitage rustique, ou d’une forteresse de bergers. J’y arrivais au mois d’août par une belle matinée. L’herbe des champs avait reverdi ; les clochettes jaunes se balançaient au milieu de l’enclos, et lés marguerites décoraient de leurs corolles blanches toutes les tombes du cimetière. Sous leur toit de mousse, les fenêtres étroites du presbytère s’éclairaient à un rayon de soleil. Un homme tressait des filets de pêche devant la porte, et deux enfans jouaient avec des moutons dans la praitie. Je retins la bride de mon cheval, je regardai avec émotion ce tableau si simple et si riant : il me semblait voit* devant moi une page des poèmes champêtres, une idylle vivante. Aux aboiemens du chien', qui annonçait l’arrivée d’un étranger, le paysan leva la tête efc quittant aussitôt son travail, s’en vint avec son bonnet de laine à la main, m’aider à mettre pied à terre et me souhaiter la bienvenue. J’entrai dans l'église, où l’on me montra avec orgueil quelques omemens d’autel qui dataient d’un temps ancien ; j’entrai dans la demeure du prêtre; c’était un homme instruit et modeste comme j’en ai rencontré plusieurs dans cette pauvre terre d’Islande. Tandis qu’il me faisait voir, avec une vraie joie de savant, sa ctoUection de livres qu’il avait amassés l’un après l’autre, en s’imposant toujours de nouveaux sacrifices, sa jeune femme, douce et blonde comme lés jeunes femmes des bords de l’Elbe, mettait une nappe blanche sur la table, et préparait la jatte de lait et les tasses de porcelaine, le m’assis entre eux, et les voyait tous deux si jeunes et si heureux, l’idée me venait dteleùr demander, sans crainte de l’anachronisme, si le vieux Voss n’avait pas songé à eux en écrivant sa Louise, ou s’ils n’étaient pas de la famille de Éerrïnann et Dorothée. D’un côté s’élevaient devant nous les montagnes blanches qui environnent l’Hécla; de l’autre, la mer formait comme autant de lacs entre les baies où elle vient eé jeter, et tout était calme et silencieux. Tas un bruit dans l’air, pas une voix importune, pas un souvenir du monde lointain, et quand je regardais cette solitude si belle dans sa pauvreté, si douce dans son repos, je me disais qu’on pourrait bien renoncer à toute ambition, quitter toute folle vanité et venir vivre là comme le poète espagnol, sans «eu envier et sans être envié: JVienvidiado, nienvidioso (i). Cette retraite où je passais une matinée de poésie avait été habitée par deux des plus grands hommes de l’Islande; c’était Odda. C’est de là que nous sont venues les deux Edda. C’est là que vivait, au xi®siècle, Sœmünd le savant;au xn®, Snorri Sturleson, le poète et l’historien. Sœmund naquit en io56 et mourut en 1133. Il descendait d’une des familles les plus nobles de l’Islande, et son père était pasteur. Animé du désir de s’instruire, il quitta de bonne heure la demeure paternelle et pafsa une grande partie de sa jeunesse à voyager. Il visita l’Allemagne, la France, l'Italie, étudiant partout, à cette époque de connaissances encore confuses; les chroniques populaires, les mœurs, la poésie; il observa avec enthousiasme les monumens antiques de Borne, et fréquenta pendant plusieurs années les écoles de Paris (a). Tout ce qu’il avait recherché et aimé dans les contrées étrangères ne put cependant pas lui faire oublier sa terre d’Islande. Il revint en 1082 à Odda, plein de souvenirs , riche de science, et, pour se rendre utile (x) Poesias del maestro Luis de Leon. (a) Finnsen. Historia ecdesiastica, tom. I, pag. 198. à ses compatriotes, il établit dans sa demeure une école d’où il est sorti plusieurs hommes distingués ; puis il se fit prêtre, et toute sa vie se passa entre les soins qu’il donnait à ses élèves, entre les devoirs religieux que lui imposaient son sacerdoce et les études de prédilection qu’il s’était choisies. Il n’y avait pas long-temps que l’Islande s’était convertie au christianisme. Le culte d'Odin était aboli, mais les traditions païennes vivaient encore dans la mémoire des vieillards, et les noms de Thor et de Frigga, l’histoire des nains et des géans devaient se mêler souvent aux causeries de la veillée. Le peuple ne renonce pas si vite aux croyances avec lesquelles il a été bercé. On peut briser d’un coup de hache une idole, mais ou ne brise pas du même coup le lien qui le rattache à l'histoire du passé; on peut lui enseigner une nouvelle foi, lui imposer un nouveau serment, mais sans le vouloir, au fond du cœur, il se souvient de la religion qu’il apprit au foyer de famille, et des prières que murmuraient ses lèvres d’enfant. Les hommes qui le gouvernent , voyant leur loi promulguée, la regardent comme établie; ils posent un jalon entre eux et le passé; ils com- i3 posent une nouvelle ère ; mais la tradition, cette fée du vieux temps, dément leur chronologie. A côté de l’histoire écrite par le savant, burinée par l’artiste, la tradition invisible, insaisissable, s’en va de contrée en contrée et se perpétue parmi la foule. Elle n’a ni stylet, ni burin, elle n’impose point d’arrêt, elle n’élève point la voix; mais elle murmure secrètement de magiques paroles aux oreilles charmées qui l’écoutent. Les hommes qui ne la connaissent pas la déclarent morte et oubliée, et elle repose encore au milieu des ruines, etelle soupire au bord des chemins; le voyageur l’emmène avec lui dans ses courses lointaines, la voix de l’aveugle ambulant l’annonce à toute une génération, la harpe du ménestrel la répand dans les airs. Ainsi, tandis que les prêtres prêchaient l’évangile dans les églises, l’histoire des anciens dieux occupait encore l’imagination du peuple, et Sœmund l’étudia. Il se fit redire les mystères et le culte d’un autre temps; il recueillit les vers des scaldes, les épopées païennes conservées par la parole; il écrivit d’après les récits des vieillards, d’après la tradition, et voilà comment nous est venue l’Edda. Les voyages et les études de Sœmund lui avaient fait donner le surnom de savant ; son goût pour les dotions du paganisme lui fit donner celui déborder. Il acheva patiemment son oeuvre, mais son caractère de prêtre lui défendait de la publier. Elle resta comme en dépôt dans sa retraite d’Odda, en attendant qu’une main plus hardie la mît au grand jour. En même temps qu’il travaillait à compléter cette épopée populaire, Sœmund rassemblait pour l’histoire de son pays d'autres documens. Il écrivit une chronique des rois de Norvège qui malheureusement est perdue. Peut-être l’Edda n’était-elle que l’appendice religieux de cette chronique. Quelques savants lui attribuent aussi les annales d’Odda qui embrassent l’histoire universelle depuis la création du monde. Le recueil de Sœmund resta près de cinq siècles ignoré en Islande. En 1639, Brynhiolf Svendsen, évêque de Skalholt, découvrit un manuscrit qui contenait les principaux chants de l’Eddaet l’envoya à Frédéric III, roi de Danemark. Un autre manuscrit appartenant à la collection d’Arne Magnussen, renferme le Veg- tamsqvida. Ce manuscrit faisait partie d’un ouvrage plus considérable dont on ne possède malheureusement que des débris. En i665, Resenius publia, avec une traduction latine et danoise, les deux principaux chants de l’Edda. En 1787 parut le premier volume de la grande édition de Magnussen ( i ). Le mot Edda, appliqué aux chants recueillis par Sœmund, signifie Aïeule. Peut-être aussi, vient-il d'Odda, cette retraite paisible, où le poète rapporta le fruit de ses voyages, et passa une vie d’étude et de recueillement. Les poèmes de l’Edda se divisent en deux parties: poèmes mythologiques, poèmes historiques. Les premiers renferment toute la cosmogonie et tout le dogme théogonique des Scandinaves; les seconds se rattachent au cycle populaire répété dans le Kœmpc-viser et chanté dans les Niebe- lungen. Là est la vie des dieux, ici celle des héros; là sont les Vuttes perpétuelles du bon et du mauvais principe, ici les guerres haineuses, les vengeances cruelles; là est le drame du Valballa, ici le drame du monde. L’Edda dans sa puissante étreinte a tout embrassé, depuis le trône des géans jusqu’à la grotte des nains, depuis l’a- (1) Edda Sœmundar luiras Feoda. In-40, Irad. latine. bîrae ténébreux habité par Hella jusqu’aux salles resplendissantes où se rassemblent les valkyries. Il serait presque impossible d’assigner une date précise à ces poèmes. Ils ont été composés en différens lieux, et à différentes époques. Leur forme de versification, leurs métaphores, et quelques mots recueillis çà et là dans les sagas peuvent servir d’indication et guider les savans dans leurs hypothèses. Mais il y a loin de ces conjectures de l'érudit au document exact basé sur des faits, appuyé sur des dates. Tout ce qu’on peut affirmer, c’est que ces poèmes furent composés par les scaldes, chantés dans les cours, dans les assemblées populaires, dans les grandes fêtes (i). Quelques-uns d’entre eux remontent au moins, pour la forme sous laq uelle nous les connaissons, jusqu’au vme siècle , et pour l’idée qu’ils représentent, jusqu’à l’époque de l’émigration des peuples d’Asie dans le nord. Le premier de tous est la Yoluspa (2). C’est une œuvre d’un caractère étrange, solennel et mystérieux, triste et éloquent, grave et obscur. (x) Den ældre Edda oversat af Magnussen. (2) Vala (sybille) Spà (prophétie). La sorcière des chants serviens s'appelle Wila. C’est le récit, souvent énigmatique, souvent brisé, d’un oracle; c’est le cri de la sibylle. A l’entrée de la forêt de sapins, balancés par le vent du nord, au milieu des corbeaux qui croassent sur sa tête, et des loups qui hurlent autour d’elle, la prophétesse Scandinave monte sur le trépied, et devant la chair palpitante des victimes, elle prononce ses conjurations et le dieu apparaît : Deus ecce Deus! Au souffle puissant qui l’inspire, son cœur tressaille, ses cheveux se hérissent sur son front, ses yeux enflammés regardent passer i^'ec une sorte de stupeur et d’effroi les images qu’elle évoque, et elle chante le chaos, la naissance du géant, les combats des dieux. Une voix impérieuse lui crie : Ne vois-tu rien encore ? Et elle sc ranime et chante l’enfantement de la mort, la demeure souterraine des damnés, la dernière lutte des mauvais esprits, la destruction du monde. « Au commencement des temps il n’y avait rien. Il n’y avait ni sable, ni mer, ni v^nt. On ne voyait point de terre et point de ciel, rien que l’abîme vide sans arbres et sans végétation. « Le soleil parut au sud. La lune ouvrit la porte de la nuit. Mais le soleil ne connaissait pas sa route, la lube ne savait pas où elle devait se poser, et les étoiles ignoraient leur place. « Alors les dieux montèrent sur leurs sièges élevés, et tinrent conseil ensemble. Ils donnèrent un nom à la nuit et au crépuscule. Ils réglèrent l’heure du matin, le milieu du jour, et partagèrent l’année. « La prophétesse sait où s’élève le frêne Yg- drasil, le grand arbre qui étend, au loin ses blancs rameaux. De là découle la rosée qui baigne la terre, et le frêne reste toujours vert. « Du milieu des eaux, -les trois filles de la sagesse s’avancent sous cet arbre. L’une s’appelle Urd; la seconde, Ferdandi ; la troisième, Skuld. Ce sont elles qui règlent le destin de l’homme et disposent de sa vie. « Elfe sait que la trompette de Heimdal est cachée sous les larges rameaux de l’arbre céleste. Elle voit les vagues écumantes du fleuve de sagesse tomber du front de l’Àlfader. « Un jour elle était assise à l’entrée de sa demeure. Elle voit venir à elle le dieu savant par excellence et le regarde entre les yeux. — Que me demandez-vous? Qu’attendez-vous de moi? Je sais tout Odin. Je sais que ton œil est plongé dans la limpide source de Mimer qui chaque matin l’arrose avec l’eau de la sagesse. « Le dieu Souverain lui donna des anneaux, des bâtons runiques et le don de prophétie. Sa vue s’étend. au long et au large sur chaque monde. « Elle a vu le sort cruel réservé à Balder, fils d’Odin. La branche d’arbre croissait ; elle était petite encore, mais fort belle Cette branche devint un glaive meurtrier. Hauder s’en servit (i). « Bientôt naquit le fils d’Odin qui devait venger Balder. En une nuit il devint vieux, et il ne se lava pas les mains, et il ne se peigna pas les cheveux avant que d’avoir porté sur le bûcher le meurtrier de Balder. Mais Frigga pleurait le malheur arrivé dans le Ynlhalla. » La voix lui crie : Voyez-vous encore quelque chose ? Et la prophétesse répond : « Les chiens aboient dans les cavernes de Gnipa. Les chaînes sont brisées ; les loups sont libres. La prophétesse sait encore beaucoup de choses; elle voit de loin le déclin de l’empire céleste, la chute des dieux. (i) Voyez la mort de Balder* pag. 175, « Les frères combattent l’un contre l’autre et se tuent. Les parens rompent leurs liens. On viole la foi du mariage. On brise les boucliers. C’est un temps de fer, un temps de loups et d’orages, et avant que le monde s’écroule, les hommes ne s’épargnent plus. « Les chiens aboient dans les cavernes de Gnipa. Les chaînes sont brisées;les loups sont libres. Du côté de l’est s’avanpe Hrym. La mer déborde ; les serpens s’enflent avec colère. L’abîme des eaux s’entr’ouvre. L’aigle pousse des cris de joie auprès des cadavres qu’il déchire, et le Naglfar flotte sur les vagues. « Il vient du midi. Les 61s de Miispell le montent, mais Loki le gouverne. Toute la race des monstres accourt avec les loups, et Loki marche à leur tête. « Qu’arrive-t-il ^aux Ases? Qu’arrive-t-il aux Elfes ? Le monde des géans est plein de bruit. Les Ases se rassemblent, et les nains qui habitent les montagnes gémissent à l’entrée des cavernes. « Surtur vient du sud et apporte l'incendie. Son épée flamboie. Les rochers se fendent. Les Trolles errent avec anxiété. Les hommes prennent le chemin de la mort. Le ciel se déchire. « L’inquiétude saisit le cœur de Hlyna (i) lorsque Odin s’avança contre le loup. Le vainqueur de Bêla combat contre Surtur. Mais l’époux chéri de Frigga succombe. « Alors le tils du maître de la victoire, le puissant Yidar s’avance pour lutter avec le loup monstrueux. D’une main il saisit cette progéniture de géant; de l’autre il lui enfonce son épée dans le cœur. ^croyant infidèle, la condamna à être foulée aux pieds .des chevaux; elle était si belle que les coursiers ardens qui s’élançaient contre elle s’arrêtèrent à son aspect, et n’osaient la toucher. On la couvrit d’un sac et alors ils l’écrasèrent. A cette nouvelle, Gudrun sentit renaître en elle toute la rage que lui avait causée la mort de [ses frères; elle appela ses fils aux armes, et mourut en proférant des cris de colère et dç vengeance. • A cette épopée païenne que nous ne connaissons que par fragmens, on a joint un chant religieux attribué à Sœmund. C’est une œuvre tout en dehors de celle que nous venons d’analyser, une œuvre de christianisme et de morale, à côté des aventures de Thor et du drame sanglant de Sigurd ; c’est une leçon paternelle encadrée dans un récit où les souvenirs du paganisme se glissent encore à travers le dogme catholique. Un vieillard revient de l’autre monde pour exhorter son fils à la vertu; il lui dit comment il est mort, comment son ame, devenue libre, a été transportée dans la terre des morts ; là, il est resté neuf jours, puis il a pris son vol, et il a parcouru sept mondes ; il a vu le soleil entouré d’étoiles rouges % le monde brillant des élus, et au-dessous de lui l’abîme où sont plongés les méchans; il décrit leurs tourmens, et c’est un nouveau chapitre sur l’enfer à ajouter aux chants de Virgile et de Dante ; il a vu passer autour de lui des âmes en formes d’oiseaux. Des ombres sanglantes et informes marchent sans cesse sur des chemins de feu. Les voleurs sont dévorés par des dragons; les envieux portent des runes brûlantes sur la poitrine. Ceux qui; pendant leur vie, avaient profané les jours de fête ont les maim attachées sur des pierres brûlantes. Ceux qui ont calomnié sont déchirés par les corbeaux. Puis, il voit les justes avec leur auréole, les vierges éblouissantes de beauté, 980 LETTRES SÜR L’ISLANPE. les indigens assis près du trône de Dieu. Puis , il encourage de nouveau son fils à faire le bien et s’en retourne. Ce chant est appelé Chant du soleil. II. n’est pas à beaucoup près aussi intéressant que ceux de l’Edda. Cependant il mérite d’être étudié, soit comme monument poétique,''So.it comme tradition religieuse. • II. La seconde Edda, autrement dite Edda prosaïque, date du i3* siècle. On l’attribue à finorri Sturleson, l’homme le plus célèbre de l’Islande. Il naquit à Hramm, en 1178; sa famille était riche, noble, puissante, et se vantait de descendre de Ragnar Lodbrok. John, le petit-fils de Soemund, était son tuteur. A l’âge de trois ans, Snorri fut envoyé chez lui, et y resta jusqu’en 1197,' étudiant, profitant de tous les Uvres amassés par le vénérable prêtre d’Odda, et de tousses manuscrits. A la mort de son tuteur, il quitta la demeure poétique de Soemund, se maria avçc une jeune fille riche et vint habiter sa maison de Reykholt, qu’il entoura de remparts comme une forteresse; sa fortune et ses taleiis lui donnaient une grande influence. On l’avait vq venir à l’Althing comme un roi, avec une suite de huit cents hommes. On l'avait vu monter sur le Logberg et entraîner la foule émue par son éloquence. Le peuple se passionna pour lui et le nomma, en 1213, grand-juge de l’Islande. C’était le consulat, c’était la dignité suprême de la république. Les grands-juges étaient élus à vie, et le temps de leur magistrature faisait époque comme le règne d’un souverain. Jandis que Snorri obtenait ainsi les suffrages du peuple, il aspirait à la faveur des princes. Il adressa des chants louangeurs au roi, au jarl de Norvège ? qui lui envoyèrent de riches présens. En 1218, il alla les visiter, et tous deux l’accuei))irent avec empressement. Il s’arrêta quelques nuits chez le roi Hakon, voyagea en Spède, et revint passer l’hiver chez le j arl Skule, qui lui fit préparer à grands frais un navire pour le ramener en Islande. Tous ces succès enflèrent son Orgueil et soulevèrent contre lui la haine de plusieurs familles puissantes ; il avait l’ame fière et hautaine. Loin de chercher à adoucir l’irritation de ceux qu’il avait offensés par sa vanité, il l’accrut encore par ses dédains. A cette époque, l’Islande était en proie à la guerre civile; ses chefs de tribus s’armaient l’un contre l’autre et traversaient le pays comme un fléau. Snorri devint une de leurs victimes. Une troupe de paysans, commandés par ses ennemis, s’avança àReyk- holt, incendia sa maison, ravagea ses champs, égorgea ses troupeaux. Snorri prit la fuite et se retira en Norvège ; il échappait à une guerre intestine, il tomba dans une conspiration. Son ami Skule, à qui il était venu demander un asile, avait pris le titre de duc et aspirait à porter la couronne de Norvège. On ne sait quelle part Snorri prit dans ce complot, mais il redoutait de voir le roi Hakon; peu de temps après son arrivée, il jugea à propos de quittér la Norvège. Au moment où il allait s’emlbarquer, un messager accourut avec un ordre royal qui lui défendait de partir. Snorri, dit la Sturlunga saga, lut la lettre de Hakon, et répondit : Je partirai. Mais avant que de se séparer, le duc et lui eurent une assez longue conférence ensemble. Peu de personnes y assistaient, et Arnfimr qui entendit tout l’entretien, rapporte que le‘duc donna à Snorri le titre de jarl (i). De retour en Islande, Snorri se retrouva jeté au milieu des discordes, des luttes sanglantes qu’il avait en vain essayé de fuir. Il ne sut ni diminuer le nombre de ses ennemis, ni calmer leur colère, et il avait laissé en Norvège un ennemi plus puissant et plus implacable encore que ceux dont il était entouré. Snorri n’avait pas songé à se mettre en garde contée lui et il succomba. Déjà son ami Skule avait expié ses projets ambitieux; Snorri devait avoir le même sort. » Au commencement de l’été, dit la Stur- lunga-saga (a), on vit arriver Eyvindr Barstr et Ami, avec des lettres de Hakon qui annonçaient la guerre survenue en Norvège et la mort de Skule. » « Les mêmes hommes' présentèrent à Gissur une lettre du roi qui lui ordonnait de s’emparer de Snorri, ou de le" tuer. Gissur résolut de le tuer. Il assembla ses compagnons, et tous partirent pour Beykholt la nuit après la Saint Maurice. Ils . (i) Tome H, pag. »3a, Ca) Tome n, peg. 24*. 234 LETTRES Spa L'ISLANDE. ; envahirent Ja chambre à coucher $imon , «dit Jirna de frapper Snorri. — Ne frappe pas, s’écria Snorri. Simon frappa çt l'étendit à ses pieds. » Ainsi moprut le magistrat suprême d’Islande, l’ami des princes. C’était un homme instruit, un, poète habile, et un véritable historien. Sa chronique des rois de Norvège, son Heii^kringla, est un ouvrage des plus recommandables. Il puisa les matériaux de cette cbrpnique dans les chants des scaldes, dans des traditions pràles et des sagas, vraisemblablement aussi dans les écrits d’Are et de Sçemund, qui ne sont pas venus jusqu’à nous. Mais il sut retrancher, des docu- mens auxquels il avait recours, tous les faits controversés, toutes les opinions fausses. Il ôta aux scaldes leur exagération, aux conteurs de sagas leur prolixité, et écrivit cette longue histoire que les savans eux-mêmes ont souvent louée.Naguère encore, j’ai entendu un homme dont l’opinion en pareil cas est une sentence, M. Aug. Thierry, vanter les belles qualités de Snorri comme historien, et le bon goût, et la sage critique qui ont présidé à la composition de YHeimskringla. Il paraît bien démontré aujourd’hui quç Snorri est l'auteur de la seconde Edda. Mais il ne l’a pas écrite tout entière. Un de ses neveux, Olaf Thordarsen, composa la Scalda, et cita les vers de son oncle commp modèle. Plus tard, elle semble avoir subi diverses interpolations. Cette Edda se divise en deux parties : i° les Dœmi-sœgur, fables mythologiques ; a* la Scalda ou la poétique. 11 faut y ajouter le chant de Rig, poème à part, qui se trouve joint comme appendice au manuscrit de Worms (1). Ce poème raconte l’origine de l’esclave, de l’homme libre, du noble, et la distinction établie entre eux par la naissance. C’est l’expression fidèle de ce senti- (x) Ueber die Aechtheit der Àsalehre von Muller. P. 45. Sandvig Fa placé dans sa traduction parmi les chants de l’Edda de Sœmund. ment d’aristocratie que le jarl exerçait à l’égard du paysan, et le paysan à l’égard du serf. M. J.-J. Ampère a donné une analyse détaillée et une appréciation exacte de ce poëme dans son livre sur la littérature du nord (i). Les Dœmi-Sœgur offrent un exposé clair et précis de la mythologie Scandinave. Un roi de Suède, nommé Gylfa, a entendu vanter la sagesse des Ases, et il veut voir par lui-même s’ils sont aussi savans qu’on le dit. U part et arrive à la porte d’un grand château, dont les murailles resplendissantes d’or s’élevaient au-dessus d’une montagne. A l’entrée, un jongleur jouait avec des épées nues, et en lançait en l’air sept à la fois, saus en laisser tomber une. Dans la grande salle du château, des femmes buvaient de la bière, et les trois grands dieux étaient assis sur leur trône. Gylfa s’avança près d’eux et les interrogea sur la création du monde, sur le ciel, sur les astres, sur les bons et les mauvais génies. Les dieux répondirent patiemment à ses demandes jusqu’à ce que Gylfa s’avouât vaincu. Alors, par un coup de baguette céleste, le châ- (i) Littérature et voyages, p. 4*3. teau d’or, le jongleur, et les dieux s’évanouirent, et le voyageur se trouva seul au milieu de la nuit, égaré dans les champs ; mais il avait conservé le souvenir de sa vision et il la raconta.. Cette histoire de Gylfa n’est rien autre chose qu’une compilation de l’ancienne Edda, habilement arrangée. Les chants primitifs se retrouvent là mêlés ensemble, mis en prose, développés et expliqués clairement. L’Èdda de Sœmund était comme le dythyrambe de la théogonie Scandinave. Celle-ci en est le catéchisme. Il est probable que Snorri trouva chez son tuteur, à Odda, le recueil de Sœmund, et que là, dans les loisirs de sa jeunesse, l’idée lui vint de composer, d’après ces poésies entrecoupées, emphatiques et peu intelligibles, un cours de mythologie facile à comprendre. Peut-être aussi, comme l’a dit Magnussen, Sœmund avait-il tracé lui-même l’esquisse de cet ouvrage, et Snorri ne fit que la continuer. La seconde partie de l’Edda, la Scalda, n’est comme la première qu’une œuvre d’analyse et de compilation. Nous avons vu dans un chapitre précédent à quel point de raffinement littéraire , les poètes Scandinaves en étaient venus. La Scalda est le code de ces poètes si jeunes encore et si tôt vieillis; c’est leur traité de versification, leur Gradus ad Parnassum. Dans une fable mythologique qiiè nous avons déjà citée et qui sert én quelque sorfé d’introduction à cette théorie, l’auteur de la Scalda raconte l’origine de la poésie, puis il fait un long vocabulaire de toutes les dénominations dont les poètes peuvent se servir pour désigner un même objet, de tous les mots figurés, de tous les tropes, de toutes les périphrases admises par l’art, consacrées par l’usage. Ainsi le livre de Sœmund et celui de Snorri représentent ce qui est arrivé dans toutes les littératures ; d’abord le chant et puis l’analyse ; d’abord le poème et puis la règle : Homère et: Aristoté; Virgile et Quintilien; Milton et Johnson. Ainsi les deux Edda se complètent l’une par l’autre; la première est l’œuvre, la seconde est le précepte; celle-là nous émeut, celle-ci nous instruit, et toutes deux présentent un tableau complet des mythes religieux, des traditions héroïques du nord, de la poésie des scaldes et de l’art des rhéteurs Scandinaves. Il existe trois manuscrits del’Edda de Snorri, l’un à la Bibliothèque royale, le second à la bibliothèque de l’université de Copenhague, le troisième à Upsal. Elle a été imprimée pour la première fois en i665, parResenius. (i) En 1818, Rask en a publié, à Stockholm, une édition beau* coup plus complète, et l’on en prépare maintenant une nouvelle en Islande. Les Dqemi- Sœgur ont été traduites en danois par Nyerup ; en allemand, par Ruhs et Mayer; en français, par Mallet. Comme cette mythologie prosaïque de Snorri est plus intelligible que celle de Sœ- mund, elle a toujours été plus populaire; (i) Son vrai nom est Res A. Il naquit k Copenhague en i6a5 , et mourut en 1688. £e texte islandais de l’Edda publiée par lui est accompagné d’une traduction latine et danoise. Digitized by Google Le mot saga vient de segia (dire) (i); il signifie récit, tradition, non pas la tradition écrite, mais verbale, ce qui se dit, ce qui se raconte; la causerie de la veillée, l’entretien d’un ami. Ainsi s’est faite d’abord la saga, ainsi s’est faite toute (x) Cemot se retrouve dans toutes les langues germaniques: aile» mand, sagen ; danois, tige ; suédois, saga ; hollandais, zeggert; an» glo-saxon, saggan et secgan; anglais, sajr. Les Allemands emploient le mot sage dans lç même sens que les Islandais, Les frères Grimai l’ont illustré parleurs Deutsche sagen. i6 tradition nationale, sans effort et sans prétention littéraire. Le soir, au coin du feu ,sousle chaume du laboureur, ou sous la tente du soldat, le vieillard répétait ce qu’il avait entendu dire à son père, et les jeunes gens recueillaient ses paroles avec attention pour les transmettre ensuite à leurs enfans; et le récit, simple et austère, passait de bouche en bouche aussi fidèlement que s’il eût été écrit par un moine patient sur un palimpseste, ou imprimé, comme un Uvre classique par un Elzevir. Puis chaque génération en faisait une nouvelle édition, sans en rien perdre ,et sans y rien changer. Et vraiment, quand j’y songe, je ne sais ce qui mérite le plus de respect, d’une de ces œuvres enthousiastes, écloses toutes bouillantes dans la pensée d’un rhpmjttâ de génie, ou d’une de ces œuvres candides, issues du sein du peuple, et grandies .avec le peuple, œuvres de famille? œuvres maintes, que la poésie couronne de ses fleurs les plus belles, et ér qui les siècles donnent l’autorité de l’histoire. Tous les peuples ont eu leur cycle particulier, 'leurs traditions nationales enfantées par une grande époque, et se groupant autour d’un grand nom. Ici est le romancera, là le kœrrtpe* viser, ailleurs la légende, la ballade, la chronique du religieux et l’épopée du trouvère, mais j’ose croire que, dans aucun pays, on ne troti* verait une série d’histoires populaires, èompâ^ râbles aux sagas islandaises. Nulle part le génie conteur de la foule ne s’est montré aussi fécond ; nulle part l’histoire, la poésie, n’ont été, comme ici, l’œuvre des masses > l’œuvré de tous, et nulle part elles n’ont eu un aussi grand caractère de fixité et une vogue aussi prolongée. Aujourd’hui, le bourgeois de Lisieux aurait de la peine à comprendre le roman de Rou ; l’étudiant anglais ne se trouve pas de prime-abord familiarisé avec le style et l’orthographe de Chau- cer; et, pour les rendre accessibles à la foule, les savans allêmands traduisent en langage moderne, l’épopée des Niebelungeri et le Parcival de -Wolfram d’Eschenbach. Aujourd’hui, le plus pauvre paysan islandais lit, sans le secours d’aucun interprète, les livres de ses pères, et les transmet à ses enfans, qui les relisent avec le même charme. Un jour, à Reykiavik, la fille d’ün pêcheur, qui avait coutume de venir, chaque semaine, nous apporter des oiseaux de mer èt du poisson, entra dans ma chambre et me trouva occupé à étudier la saga de Niai. « Ah ! je connais ce livre, me dit-elle, je l’ai lu plusieurs fois quand j’étais enfant. » Et, à l’instant, elle m’en indiqua les plus beaux passages. Je voudrais bien savoir où nous trouverions, en France, une fille de pêcheur connaissant la chronique de Saint-Denis. On ne comprendrait pas l’importance des sagas, si on les regardait comme des œuvres purement locales, restrein tes entre la côte orien • taie et la cote occidentale de I’île, et ne racontant que les traditions des vallées de Breidabol- stad ou de l’Hécla. Les sagas embrassent dans leur large cercle le Nord entier, langues et coutumes , histoire et religion. « Que saurions-nous, . ditRask, sur le développement intellectuel, l’organisation, l’état du Nord dans les temps anciens , sans le secours des sagas et des livres de lois ? Partout où ces livres ne nous prêtent pas leur lumière, nous marchons dans les ténèbres. Et c’est ainsi que l’histoire de la réunion des diverses principautés du Danemark sous le règne de Gorm, et beaucoup d’autres graves événement, sont entourés, pour nous, d’une éter nelle obscurité. Que saurions-nous sur la vie cTOdin, sur ses leçons et ses œuvres, si nous n’avions l’Edda et les chants des Scaldes (i)? » Ce fut une colonie de Norvégiens qui peupla l’Islande : elle émigra avec ses mœurs, ses lois, ses croyances, et les transplanta sur le sol qu’elle devait occuper. Ingolfr, avant de partir, emportait, comme un autre Énée, ses dieux pénateâ sur son navire; et lès guerriers qui le suivirent gardèrent leur lance de pirate, et leur bouclier revêtu d’images symboliques. Ces hommes, qui fuyaient le despotisme de Harald aux beaux cheveux, appartenaient aux plus nobles familles de la Norvège; ils joignaient l’orgueil aristocratique à leur orgueil de soldats. De peur qu’on ne l’oubliât, il se faisaient raconter et ils racontaient eux-mêmes leur généalogie, leurs aventures, et les aventures de leurs proches et de leurs amis. Ainsi l’esprit Scandinave revivait dans cet essaim fugitif, qui, pour garder son indépendance, n’avait pas craint de franchir une mer encore peu connue, et d’aborder sur une plage aride, dans une contrée sauvage. (i) Vcitedning til dtt iilandske Sprog, p. x. L’Islahde s’assimila complètement à la Suède et au Danemark. Ge furent les mêmes combats, les mêmes fêtes, les mêmes réunions de famille, le même caractère hardi et aventureux. Chaque année, les Islandais s’en allaient errer sur les eètes de la Norvège ou le long de la mer Baltique. Ils retournaient dans leur mère-patrie £our recueillir un héritage, visiter des parehs, ét quelquefois venger une injure faite à leurs pères. Us s’arrêtaient à Drontheim, à Copenhague, à Upsal, ravivaient leurs souvenirs, et s’en revenaient avec de nouveaux récits. C’étaient des chroniqueurs intrépides; qui, au lieu de fouiller dans les bibliothèques, interrogeaient la méinoire des hommes, et, du bout de leurs glaive, burinaient sur le roc des montagnes le nom qui les avait frappés, et le fait historique dont ils avaient été témoins. G’êtaient, comme les Arabes nomades du désert, des hommes d’ab- tion et des poètes combattant des jours entiers à toute outrance, et se délassant du combat par le récit'de leurs périls et de leurs exploits. Souvent aussi le marchand norvégien débarquait en Islande, apportant avec lui les productions de la terre étrangère, et prenant en échange Ift tainé ët te poifesori. Il arrivait Ordinairement eii automne , et ne partait qu’au printemps. Oit l’accueiltait dahs lé' btër islandais, et il devenait l’hôte, l’ami de ta famille. L’hiver, à la veillée il racontait ses aventures,, Ses Voyages, quels lifeux il avait parcourus, quelle tempête il avait es^ suyée, et la Vie des rois de Norvège, et les ba^ taillés les plus célébrés (t). Puis il y avait dés conteurs de sagas' islandais qui voyageaient dè contrée en contrée, s’arrêtant dans lés salles du jarl (a) j sous la tente des hommes de guerre, pour recueillir de nouvelles traditions , ët redire celles qu’ils savaient. Ils n’étaient pas, â beau* coup près, aussi honorés que les scaldëS, et ne jouissaient pas des mêmes privilèges. Cependant • ils étaient toujours reçus avec empressement. (i) On sait qu'il existe encore plusieurs analogies frappantes entre les anciennes coutumes du Nord èt certaines coutumes de la Nor- ftandlé; Dkn4 cfette jttoiinée, èbfaquise par R oi Ion, c’était auisi l’usage autrefois dfe payfef par ùtk chant bu un réfit rhJospitaJjté qu’on recevait. Üifigç^ est en Normandie > Que qui hébergié ést, qu’il die ÿàble oti ebansûn lie à sôù boite. (Le dits du soucrétain*) ? (à) Chef dé tribu , pfetit Anglo-saxon, eorl; anglais, \rl. La cour du jarl se rassemblait autour d’eux pour les entendre, et le jarl leur donnait l’anneau d’or ou le glaive ciselé. Plusieurs d’entre eux avaient aniassé, dans leurs voyages, une quantité prodigieuse de faits et de chroniques. Torfseus rapporte qu’un de ces historiens ambulans, nommé Thorstein, vint trouver le roi Harald de Norvège, et lui raconta une tradition qui dura trois jours. e avec lequel il a réveillé leurs souvenirs historiques , et propagé leurs poésies et leurs sagas. jCet homme est Magnussen, Islandais de naissance, aimant l’Islande pour elle-même, pour sa science et ses monumens. Après avoir occupé une chaire de professeur à Copenhague, il revint dans son pays, et passa dix ans à recueillir tous les manuscrits inédits disséminés chez les t , ? ..... prêtres et les paysans. A s^t mort, il fit don de sa bibliothèque à l’université, et lpi légua en même temps une somme considérable pour aider à la publication de ses manuscrits f et payer l’entretien de deux étudians islandais qui se'consacreraient à l’étude des antiquités dp Nord. En 177*1, une commission royale fut organisée pour procéder au dépouillement et à la publication des manuscrits de Magnussen, et c’est de là que nous viennent ces belles éditions de sagas avec la traduction latine. Depuis cette Vormius, Torfœus, etc. Il en est de même de Magnussen, que l'on poquoe presque toujours ^Lrn&s Jdagnçeus. époque, la société des antiquaires du Nord, composée en grande partie de savans danois, a rendu d'immenses services aux lettres par ses travaux sur Fançienne littérature. Nous citerons, entre autres, ceux de Nyerup, de Grundtvig, de Rafn, de Finn Magnussen, les travaux philologiques de Rask, et ceux de l’évêque Müller qui a publié sur les sagas un livre excellent (i), auquel il faudra avoir recours chaque fois qu’on voudra étudier cette longue série de traditions islandaises. (i) Saga bibüothek mtd Anmerkningtr og indledende a/handünger, 3 vol. in-8°. Copenhague. Digitized by Google LES SAGAS. I. ( SAGA DE NI AL* La saga de Niai date du xne siècle. C’est non* seulement l’une des traditions islandaises les plus larges et les plus complètes, c’est l’une des plus anciennes. Deux grandes figures dominent dans cette saga : Gunnar et Niai; l’homme fort et l’homme habile; le guerrier et le jurisconsulte. Un peu plus tard arrive le prêtre, et tout le moyen-âge se trouve compris entre ces trois individualités ; tout le moyen-âge primitif, bardé de fer, restreint par la loi, civilisé par le christianisme. Mais l’époque à laquelle vivait Niai 18 touche encore à l’âge héroïque. Le soldat est audessus de tout ; le prêtre et le jurisconsulte viennent après lui. Le bruit des batailles passe avec un retentissement sinistre à travers tout ce long récit ; le plaidoyer du légiste, le sermon du missionnaire, le compriment quelquefois, mais ne l’étouffent pas; bientôt il se relève et tonne de nouveau au sein des familles, au milieu des grandes réunions. Le peuple se réveille au cliquetis du glaive, et reprend son bouclier et marche joyeusement au combat. Car là est encore sa vie et son orgueil : il vénère ceux qui le prêchent au nom de Dieu, mais il se passionne pour ceux qui le guident sur le champ de bataille ; il encense ses prêtres à l'autel, mais il porte ses chefs sur le pavois ; il canonise ses marlyrs, mais il déifie ses héros. Aussi voyez comme les vieux chroniqueurs d’Islande se sont plu à peindre leur guerrie favori, leur Gunnar : il est grand et fort; il a le regard expressif, la tête couverte de longues touffes de cheveux et le visage beau ; il est riche et généreux, adroit et hardi. Avec son arc et ses flèches il ne manque jamais le but, avec son épée il ne craint aucun ennemi ; il est si agile à la course que personne ne peut le suivre, et il nage comme un phoque. Auprès de lui, nul ne peut rester indifférent : on le hait ou on l’aime, et on se fait tuer pour le défendre, ou pour le combattre. A côté de lui parait Niai, homme froid, mais habile, et renommé pour sa finesse d’esprit et sa science de jurisconsulte. Niai n’a point de barbe. Les historiens guerriers de ce temps-là ne pouvaient se figurer qu’un homme ayant de la barbe consacrât sa vie à étudier les lois. Gun- nar et lui forment ensemble un parfait contraste. L’un est bouillant et impétueux, l’autre calme et réfléchi ; celui-là ne rêve que voyages et batailles, celui-ci reste tranquillement dans la demeure que lui a léguée son père. Mais souvent l’impétuosité de Gunnar le trompe, et il a recours à Niai. Le guerrier tombe dans un danger où son courage est inutile, et la prudence du jurisconsulte le sauve. Les siècles barbares rendaient quelquefois hommage à l’intelligence. Ils reconnaissaient la fragilité du glaive et l’autorité de l’esprit. A côté de ces deux personnages importans se groupent d’autres figures non moins caractéris- tiques : Kolskeggr, le fidèle compagnon de son frère, et Kari, l’opiniâtre, et l’intrépide Flosi. Il faut remarquer encore Hallgerdr, femme de Gunnar, et Bergthora, son ennemie. La haine de ces deux femmes est un des plus puissans mobiles de cette longue tradition. Les hommes s’entretuent ici pour obéir à la passion de Hallgerdr, comme dans les Niebelungen, pour satisfaire à la vengeance de Chrimhilde. A peine Gunnar a-t-il appris à manier la hache pesante et à bander un arc, qu’il aspire à s’en aller comme ses compatriotes sillonner l’Océan, explorer les côtes étrangères ; il équipe un bateau et part avec Kolskeggr. Bientôt il rencontre un bâtiment comme le sien, il l’attaque et le pille. On lui dit qu’une troupe d’hommes intrépides vient d’aborder dans une baie; il y court, engage le combat, et remporte la victoire. Il n’a point de route déterminée, ü erre de côté et d’autre, comme le vautour qui cherche sa proie. Là où la voile du navire se déroule au vent, là où il y a du sang à répandre et des hommes à piller, là est son but, là est sa joie, et il vogue, l’intrépide pirate, et le bruit de ses exploits passe de bouche en bouche. De temps à autre, il aborde la terre, et les grands du pays l’appellent à leurs fêtes, et se plaisent à l’entendre raconter ses voyages. Le jarl Hakon lui donne un bracelet d’or et des provisions pour son navire. Le roi de Danemark lui fait les offres les plus brillantes pour le garder auprès de lui, mais il ne veut pas renoncer à son pays dislande. H aime à y rapporter les dépouilles de ses ennemis, et il est fier de voir son nom chanté par ses compatriotes. Quand il arrive dans sa demeure, sa vieille mère l’embrasse avec orgueil, et quand il se présente à l’Althing, chacun se presse autour de lui. Un jour, il rencontre au mibeu des champs une jeune femme dont la beauté le frappe ; elle portait une robe écarlate, un corset brodé en argent, et ses grands cheveux blonds comme l’or tombaient sur ses épaules ; c’est Hallgerdr, la fille d’un riche Islandais; elle a été mariée deux fois,’et deux fois son mari est mort de mort violente. Tout le monde dit que c’est une méchante femme; mais il n’y a pas dans toute la contrée un regard plus doux que le sien et une figure plus attrayante. Gunnar en devient amoureux, et l’épouse malgré les représentations de ses amis, / malgré les conseils de Niai. Lès noces se font au commencement de l’hiver, noces bruyantes, où les conviés arrivent avec leurs armes comme à un rendez-vous de bataille, où les tonnes de bière et d’hydromel se vident au milieu de la salle; espèce de lice bachique où le pirate aguerri s’applaudit de voir autour de lui ses adversaires tomber sous le poids de la boisson, comme il s’applaudit de les voir tomber en rase campagne sous le poids de sa lance. Une dispute éclate entre Hallgerdr et Berg- thora, la femme de Niai, et alors commencent les guerres de familles. L’année suivante, Hallgerdr fait assassiner un valet de sa rivale et annonce ce meurtre à son mari. Gunnar, qui sait comment un homme d’honneur doit se comporter en pareil cas,, va trouver Niai, et lui dit: Ma femme a fait tuer un de tes gens, combien te dois-je? — Niai demande douze onces d’argent. Quelque temps après, Bergthora prend sa revanche, et Niai rembourse à Gunnar les douze onces d’argent qu’il a reçues. Une autre année même meurtre, mêmes représailles, et le même compte courant s’établit et se solde de part et d’autre. C’était la loi de l’Althing : la mort de'l’homme était tarifée, seulement le tarif variait pour le serviteur et pour le maître, pour l’esclave et pour l’homme libre. Un Islandais pouvait tuer tant qu’il avait de l’argent ; mais i ne fallait pas qu’il fît banqueroute à l’assassinat, car alors la loi devenait implacable pour lui » et le peuple le regardait comme un homme sans délicatesse. La femme de Gunnar ne se contestait pas d’envoyer de temps à autre un de ses émissaires décimer les gens de Niai; elle étendait ses regards plus loin. Il était survenu en Islande une année de disette comme ce malheureux pays n’en a que trop souvent éprouvé. Pans ce temps de calamité, Guppar avait distribué tou( ce qu’il possédait, et il tomba lui-même dans le dénuement. Il souffrait sans se plaindre, mais Hallgerdr n’avait pas la même patience. Un jqpr, pendant que son mari était k l’A-ltlpug, elle envoie un de ses valets piller la maison d’un paysan, nommé Otkell, plus riche et plus avare que les autres. Le yalet entre la nuit dans la demeure qu’on lui a enseignée, charge deux chevaux dp provisions, et ppur qu’on ne s’aperçoive pas de son vol, met le fpu au magasin et s’en revient. Quelque temps après, Gunnar s’aperçoit de cette nouvelle opulence et demande à sa femme d’où elle provient. -—Que t’importe? dit Hallgerdr, il ne convient pas aux hommes de se mêler de pareilles choses..— Gunnar irrité lui donne un soufflet. — Je me souviendrai de cette offense, dit la fière Hallgerdr, et quelque jour je m’en vengerai. Nous verrons plus tard comme elle se vengea. Cependant Otkell a su par qui il avait été volé et veut user de représailles. Un jour on vient avertir Gunnar que l’on a vu passer non loin de sa demeure, huit hommes armés.— C’ést sans doute Otkell, s’écrie-t-il; et à l’instant il prend son épée et son casque, et s’élance après lui. Son frère Kolskeggr le suit en toute hâte. Le combat s’engage. Otkell est plein de courage, et ses compagnons le soutiennent avec énergie; mais rien ne résiste à l’impétueuse ardeur de Gunnar. Il pousse son cheval en avant, et de sa lourde lance de fer brise casque et cuirasse et renverse son ennemi à ses pieds. Après une lutte acharnée, Gunnar s’en revient en triomphe avec son frère, et les huit hommes ont cessé de vivre. L’été suivant, quand il se présenta à l’assemblée populaire, la foule se souleva contre lui. Les parens d’Otkell avaient juré de le faire proscrire. Mais il ne fléchit pas devant l’orage, et Niai vint à son secours. On gagna par des présens quelques-uns de ses ennemis', on adoucit les autres par des promesses, et Gunnar sortit de l’Althing plus puissant et plus redouté que jamais. A peine cette heure de crise était-elle passée, qu’il engagea une nouvelle bataille, et souleva de nouvelles animosités contre lui. Cette fois, Niai eut peur. Prends garde, lui dit-il, la loi t’a absous, mais tes ennemis ne t’ont pas pardonné. Ta popularité s’en va, et le nombre de ceux qui te haïssent augmente. A la première occasion tu les verras se lever en masse contre toi, et alors nous n’aurons plus assez de force pour leur résister. Tous ces sages conseils du jurisconsulte étaient perdus pour Gunnar. Il ne pouvait ni- vivre en repos dans sa demeure, ni éviter une querelle. Peu de temps après il attaque encore un de ses voisins et le tue. C’était un : homme noble, appartenant à une famille riche j^et puissante. Les ennemis de Gunnar accourent à l’assenohlée populaire et crient vengeance contre lui. L’un d’eux se lève et prononce la sentence d’exil : « Qu’il soit banni, dit-il, chassé, privé de tout secours; que l’on partage ses biens en deux parts, l’une pour naoi, l’autre pour les pauvres de son district. » Le peuple capricieux, le peuple qui autrefois saluait avec amour son valeureux Gunnar, le peuple applaudit à cette sentence. Gunnar lui-même se défend mal, et ses partisans n’osent plus élever la voix pour le soutenir. Mais Niai ne l’abaodoune pas, U parle, il plaide, il intercède; il se glisse au milieu des groupes agités, et calage peu à peu leur effervescence. Les plaintes portées contra Gunnar étaient trop fortes pour qu’il pût être complètement absous, mais la sentence de ses adversaires fut adoucie, et les juges de l’Althing le condamnèrent, lui et son frère, à une amenda et à trois années de bannissement « Ya, dit Niai, soumets-toi à cet arrêt, et tu reviendras \ avec honneur dans ton pays. Mais si tu brave encore la haine de tes ennemis, je tremble qu’un grand malheur n’arrive. » Gunnar s’éloigne avec tristesse et se résout à partir. U prépare te bateau qui doit l’emmener, dit adieu à Niai, à sa femme, à ses gens, monte à cheval avec son frère, et se dirige vers la côte; mais, arrivé à une certaine distance, il tourne la tête, regarde les montagnes d’Islande, et cet homme, dont rien jusque là n’avait pu ébranler la fermeté, s’émeut et s’attendrit à la vue du pays qu’il doit abandonner. Oh! s’écrie- t-il, jamais ces champs ne m’ont paru si beaux, jamais ce ciel ne s’est montré si pur. Non, je ne partirai pas. J*accepte tout ce qui peut m’arriver. Je retourne dans ma demeure, et j’y resterai. En vain Kolskeggr lui représente-t-il la colère qui va éclater contre lui, les dangers qu’il va courir. L’homme de guerre, le pirate n’a plus qu’une pensée, l’amour de son paÿs, le désir de revoir sa demeure. Il sourit aux collines arides qui s’élèvent devant lui, aux plaines de lave qui se déroulent à ses pieds, et écoute d’une oreille distraite les remontrances de son frère. Kols- keggr part et s’en va en Danemark. Gunnar reste. A cette nouvelle, la fureur s’empare de ses ennemis. Maintenant ils savent que la loi est impuissante à le dompter, ils se réunissent et jurent de s’emparer de lui, ou par force, ou par sur- prise. Une nuit ils. se glissent autour de sa demeure, tuent le chien qui lui servait de garde, et tentent d’escalader la chambre où il couche. Gunnar se réveille, saisit son arc, et l’homme qui s’était cramponné à la muraille retombe par terre. — Gunnar est-il là haut? lui demandent ses compagnons. — Vous le voyez, répond-il en montrant la flèche qui lui a traversé le cœur, et il expire. Un autre lui succède, et retombe comme lui. Au milieu même de l’obscurité, l’adresse de Gunnar ne le trompe pas ; il dirige avec un coup d’œil sûr son arc contre ses adversaires. Chaque flèche atteint un homme, et chaque homme atteint est hors de combat. Déjà l’ardeur des assiégeans se ralentit; ils voient burs rangs se dégarnir, et regardent a rec effroi cette fenêtre étroite d’où partent tant de flèches meurtrières. L’un deux propose d’incendier la maison, mais les autres repoussent avec indignation ce moyen lâche et honteux. Le combat se ranime, et Gunnar est infatigable; du haut de sa demeure, il semble se jouer de la colère de ses ennemis et de leurs efforts impuissans. Deux hommes sont morts devant lui et huit autres sont torturés par leurs blessures. Une voix s’élève encore pour demander qu’on le brûle dans cette maison, mais cette voix n’est pas écoutée. Enfin un dçs assiégeans parvient à monter auprès de la fenêtre où se tient Gunnar et coupe la corde de son arc. Gunnar saisit aussitôt sa hache et lui fend la tête en deux. Un second veut le remplacer, et Gunnar lui abat les deux mains. Cependant il ne peut plus éloigner ses ennemis comme il le faisait avec ses flèches. Le malheureux-les voit qui se pressent autour de sa demeure et cherchent à l’escalader l’un après l’autre; il appelle sa femme, et lui crie: Coupe-moi une tresse de tes cheveux, et donne- là à ma mère pour la tordre et en faire une corde. — Ce que tu demandes, dit Hallgerdr, est-il pour toi d’un grand prix ? — Il y va de ma vie, car mes ennemis ne s’empareront pas de moi si mon arc est en bon état. — Eh bien, lui dit sa femme, souviens-toi du soufflet que tu m’as donné. J’avais promis de m’en venger. Voilà le jour que j’attendais. Gunnar jette sur \elle un regard de mépris. — Je ne te demanderai plus rien, dit-il, et il se défend avec S£t hache et son bouclier. Long-temps encore, il soutient ce rude combat, mais il est seul, le nombre de ses ennemis l’accable, son sang coule de toutes parts, son bras s’affaiblit, et il tombe couvert de blessures. On l’ensevelit avec des larmes; ceux qui l'avaient le plus haï vantaient son courage, et quelque temps après le peuple entourait sa tombe de prodiges et racontait avec enthousiasme ses combats et sa gloire. Gunnar mort, la saga n’est pas finie. Les fils de Niai ont comme lui une vie de guerre et d’aventures; comme lui, ils s’embarquent sur un bateau, et, confians dans leur force, s’abandonnent au vent qui les pousse, à la vague qui les entraîne. Tout leur bonheur aussi est de se battre, tout leur orgueil est d’étonner les gais du peuple par leurs récits, les hommes de guerre par leurs trophées. De retour en Islande, ils ont de violentes disputes, et le vieux Niai, à qui la mort de Gunnar semblait devoir rendre le repos, est obligé de se rendre encore chaque année à l’Althing, et de payer chaque année de nouvelles rançons. Mais le nombre de leurs ennemis s’augmente sans cesse, et bientôt la haine qu’on leur porte retombe sur leur père. Un jour, ils attaquent à l’improviste un jeune homme fort aimé dans le pays, et le tuent. Lfi femme de ce jeune homme s’en va elle-même sur le champ de bataille relever le corps de son mari, ette le dépouille de ses vêtemens ensanglantés et les enferme dans un coffre; puis, elle convoque tous ses parens. Parmi eux il s’en trouvait un, nommé Flosi, dont elle connaissait / le caractère ferme et audacieux. Quand le banquet de famifie est achevé, eHe ouvre le coffre, et tirant ce vêtement de mort, oette robe de César, elle prononce le cri de vengeance. Tous le répètent après elle, tous jurent de la venger. Dans le défilé étroit de l’Allmannagià, au milieu de cette sombre enceinte de rochers, Flosi rassemble ceux qui ont promis de le suivre, et arrête son plan de bataille contre Niai. Un d’eux les trahit, et va prévenir le vieillard du danger qui le menace ; mais Niai ne veut pas fuir; il se fie à sa prudence et ses fils à leur audace. Les conjurés arrivent à l’entrée de la nuit, au nombre de cent. Les enfans de Niai veulent marcher au-devant d’eux, mais leur père les retient. Nous sommes trente ici, dit-il, il nous est plus facile de nous défendre. Cette fois son esprit de prévision l’abandonnait. Les jeunes gens cèdent à ses ordres, mais à regret. Cependant ils disposent leurs armes , lancent des flèches et tuent plusieurs hommes. Les conjurés, effrayés de cette attaque, entourent la maison et y mettent le feu. La flamme gagne rapidement les solives du toit, les lambris qui couvrent les murailles, les femmes souffrent et se plaignent, et Niai leur dit : « Rassurez-vous, ne cherchez pas l’une et l’autre à vous décourager. Ce n’est qu’une tempête passagère ; Dieu est miséricordieux et ne nous laissera pas brûler ainsi dans ce monde ni dans l’autre. » Le vieillard cherchait ainsi à les consoler ; mais les flammes s’étendent et enveloppent la maison. Niai s’avance sur la porte et demande si Flosi est assez près pour l’entendre. Oui, répond Flosi, je peux t’entendre. — Eh bien, veux-tu faire la paix avec mes fils, ou veux-tu permettre à quelques-uns des miens de sortir? — Il n’y aura point de paix entre tes fils et moi, dit Flosi, et je ne m’éloignerai pas d’ici avant qu’ils soient tous morts ; mais je laisserai sortir les femmes, les enfans, les valets. Niai rentra et dit : « Sortez vous tous, qui en avez la permission : sors aussi Thorhalla, épouse d’Asgrim, et emmène avec toi ceux qui sont libres. » ThorhaUa dit : « Je ne croyais pas me séparer ainsi de Helga, mais j’engagerai mon père et. mes frères à tirer vengeance d’un tel attentat. » — « Va, s’écria Niai, tu seras heureuse, car tu es une digne femme. » Elle sortit et avec elle plusieurs personnes. Astridr dit à Helga , fils de Niai : « Viens avec moi, je te couvrirai d’une robe, et je cacherai ta tête sous une coiffe de femme. » Helga ne voulait d’abord pas y consentir, mais enfin il céda à ses instances. Astridr lui mit une coiffe; Thorhilldrle revêtit d’une robe; toutes deux l’emmenèrent avec elles et avec Tborgedr, et d’autres encore. Mais Flosi s’écria en le voyant passer: «Voilà une femme qui est bien grande et qui a les épaules bien larges; arrètez-la et ne la laissez pas échapper. » A ces mots, Helga se dég^gç de son vêtement, tir e son épée qu’il tenait cachée sous le bras et en frappe l’homme qui se trouvait auprès de lui ; mais au même instant Flosi accourt,:et lifi abat la tête; puis il s’approche de la maison enflammée et appelle Niai et sa femme. Niai se présente : « Je ne veux pas te laisser brûler ici sans défense, dit Flosi, tu es libre de sortir. » — « Non, répond Niai, je suis *9 vieux ettrop faible pour venger mes ôb, mieux vaut mourir que de vivre dans l’ignominie. » — « Mais toi, dit Flosi à Bergthora, il faut que tu sortes, tu ne dois pas périr ainsi. » Bergthora' répond': « J’ai été unie jeune à Niai, j’ai promis de partager son sort. » Et tous deux rentrent dans leur demeure. — Que ferons*nous main* tenant? demande Bërgthora; — Nous irons-nous mettre dans notre lit, répond Niai , la chaleur me fatigue. » Bergthora dit à Thor, son petite fils.—Je voudrais te voir sortir et échapper aux flammes. —Ma'bonné mère, s’éeria-tdl, tuin’as promis de ne pas me quitter tant que je voudrais étre; auprès de ttoi. J’aime mieux mourir avec Vous que de vous survivre. » Bergthora prit Penfantetle porta dans le lit. — « Maintenant, dît Niai à un1 vatet, tu observeras l’endroit où nous nous plfrçons et dfe quelle manière nous sommes couchés, ear jë né sortirai plus d’ici, soit que le feu me consume ou que la fumée m’étouffe , et tu sauras où il faut chercher nos gestes. » Le valet répondît qu’il remplirait oe devoir. Beu de temps auparavant onraYMttué un bœuf et là peau était dansla chambre; Niai le pria d’étendre cette peau' sur lc lît. Le valet obéit Le vieillard et sa femme seoouchèrettt et mirent L’enfant au milieu d’eux pMisiis' firent le signe de la* croix, recommandèrent leur amd à Dieu, et un instant après la maison s’éerouliu Leur fils Skarphedm essaya en vaün< de se sauver. On retrouva, le lendemain', son' corps à demi consumé par les flammes; mais leur gendre Kari s’élança à travers le feu, parvint1 à gagner un marais où il se tint caché, et se réfugia chez un de ses amis. Lui seul survit à une famille puissante; En quittant son frère Skarphedin, il a juré que sHl parvenait à se sauver, il le véngerait, et désor-> mais Kari dévoue sa vie à la vengeance. Nous ne comprenons plus guère aujourd’hui ees haines implacables, ces rêves sanglans qu’un homme emporte de longues années au fond du cœur. Mais à l’époque où cette histoire se passe, et pour ces farouches guerriers du Nord, c’est presque un sentiment religieux que la vengeance. Un soldat' se serait cru marqué d’une tache infamante, tant qu’il aurait laissé une offense impunie, et il pensait que les valkyries l’eussent mal accueilli au Valhall4$ s’il s’y était présenté sans avoir vengé ht mort d’un'ami ou d’un frère. Quelques jours après la nuit de mort et d’incendie, &ari retournait à la maison de Niai. Sous les poutres noircies par le feu, sous les pierres amoncelées, il chercha les restes du vieillard, ceux de sa femme et de ses enfans, et les enterra pieusement. Puis, ce premier devoir rempli, il ne songea plus qu’à finir la rude tâche, qu’il s’était imposée. On le vit alors courir à cheval dans toute la contrée. Il s’en allait d’habitation en habitation, ne gardant qu’un seul désir, n’exprimant qu’une seule pensée, la pensée du meurtre et de la vengeance. A ceux qui avaient connu Niai, il rappelle la sagesse d’esprit, la douceur de caractère et les vertus du, vieillard. A ceux qui déjà haïssaient Flosi, il dépeint toute la cruauté de son attentat. Aux femmes, il raconte les souffrances de Bergthora, aux hommes l’héroïque défense de Skarphedin. Il intéresse ainsi plusieurs familles à sa causer et plusieurs des principaux habitans du pays s’engagent par serment à lui prêter leur appui. De son côté Flosi comprend qu’il va se trouver dans une circonstance difficile, et voyage aussi pour Assurer des auxiliaires. L’époque du thing' arrive. Les deux chefs de parti s’y présentent armés de pied en cape. Us posent leur tente l’une en face de l’autre, et rangent autour d’eux leur cohorte. L’assemblée judi^ ciaire disparaît, et la vallée ressemble à un champ de bataille. La Cause qui occupait tous les esprits devait être plaidée le lendemain devant le peuple. Kari visite l’un après l’autre tous les juges. Flosi s’en va trouver un jurisconsulte nommé Eyiolfr. La saga guerrière traite toujours fort mal les hommes de loi. Celui-ci ressemble à un avocat de comédie. — De quoi me parlez-vous! s’écrie-t-il avec indignation, quand Flosi le prie de lui donner un conseil ; ne connais-je pas toute la noirceur de votre crime, et croyez-vous que vous puissiez venir mesuborner et me faire manquer à ce que me prescrit ma conscience? — Non, dit Flosi, je respecte vôs\ scrupules. Je voulais seulement vous donner un témoignage de confiance, et vous offrir comme une marque de respect et d’affection ce bracelet d’or. Eyiolfr pèse dans sa main le bracelet et s’écrie : Maintenant je vois la droiture de vos intentions; votre cause est juste i et je la défendrai. Le lendemain la foule s’assemble en tumulte autour des deux adversaires. Un homme se lève et prononce contre Flosi une sentence d’exil. Mais Eyiolfir le défend avec acharnement. Il récuse leB témoins, il récuse les juges, et les Sommes de guerre qui accompagnent Kari et son antagoniste, las de voir la discussion se -prolonger, en viennent aux mains. Il n’y a plus déjugés, plus d’avocats, plus de décision légale à prendre ; les dards volent, les boucliers résonnent sous le glaive qui les frappe, et le procès -se plaide par le fer et par le sang. La bataille' dura tout le jour et devait encore se prolonger. 'Un vieillard, qui avait de l’ascendant sur le -peuple, S’avança au milieu des combattans et •proposa de faire décider cette grande lutte par des arbitres. La proposition est acceptée. De part-et d’autre on nomme les arbitres, et Flosi et ses compagnons sont condamnés, comme ‘Gunnar, 4 une amende et à trois années d’exil. Mais *la colère de Kari n’est pas apaisée. Il Vklformedelà -route qu’ont prise les meurtriers de Ntàl, et il court après eux. Il les poursuit dans ‘chaque défilé de montagnes, dans chaque habitation. Malheur à celui d’entre eux qui veste «àPécwt, Kari se jette-sur lui comme un oiseau de proie, -et le poignarde au nom de Niai. Flosi quitte Kfelande et Kari quitte après lui i’Islaade. Il traverse des contrées étrangères et Kari va comme luide«oer en mer, de rivage en rivage. Un soir il Antre chez un jari, au moment où un .des compagnons de flosi racontait l'incendie de la maison de Niai. Il se tient immobile contre la porte et écoute. lie jarl demande si Skarphedin .a supporté avec courage la douleur que lui faisait endurer le feu.—-Oui, dans le commencement, dit llefait absoudre par le pape. Kari s’en va aussiù Rome et demande la même ab- solution. Quelque temps après ce pieux pèlerinage, Flosi était au milieu des siens, dans sa maison d’Islande. Un homme s’avance au devant de lui: c’était Kari. Les deux vieillards se tendent la main et s’embrassent. Cette fois, c’en était fait des idées Scandinaves. La vieille Islande s’était régénérée par le christianisme. La saga de Niai commençait par une guerre implacable et se terminait par un acte de repentir. Cette saga a été imprimée à Copenhague en 1772. En 1809, Johnsen en a publié une traduction latine avec un excellent vocabulaire. II. SAGA DE GUNNLAUGI. A côté de cette saga de Niai, si large et si féconde en évènemens , en voici une d’une action simple et habilement ménagée. Les noms qui s’y trouvent sont historiques, les faits qu’elle rapporte sont vraisemblables. La scène se passe dans des lieux connus, à une époque décrite dans plusieurs traditions certaines, et Gunn- laugi,le principal personnage de cette saga, était un scalde assez célèbre dont il nous est resté quelques fragmens. Mais ce récit auquel les dates, les noms de lieux donnent un caractère d’authenticité, a ét£ embelli comme une fiction et se termine comme un roman. Les chroniqueurs islandais y ont laissé l’empreinte de leur rude énergie, mais on dirait Qu’une femme, dans une heure de nonchalance, a pris plaisir à y jeter quelques-unes de ses douces et rêveuses pensées. Un jour, Thorstein, le fils d’Egil, a un rêve qui l’agite ; il lui semble voir sur le toit de sa maison un cygne (i) d’une blancheur éclatante. Deux aigles aux larges ailes, à l’œil de sang, au bec de fer, s’arrêtent près de ce cygne; et, jaloux l’un de l’autre, s’élancent dans les airs, se poursuivent, se déchirent, et tombent tous deux percés de coups et inanimés. Le cygne les regarde avec douleur et pleure en les voyant mourir. Peu après un autre oiseau arrive et s’envole avec lui. , „ Thorstein raconte ce rêve à un de ses amis, (i) Alfl (cygne ) en islandais est féminin. qui te lai explique ainsi : « H le naîtra 'bientôt une filte fort belle ; deux bommes puissans se tueront pour elle, mais an troisième arrivera après eux et l’épousera. » Le commencement de cette prédiction netarde pas à se réaliser. La femme de Thorstein met au monde une fille qui, en grandissant, se distingue par sa grâce et sa rare beauté. Gette fille se nomme Helga. Non loin de'la demeure de Helga vivait le père de Gunnlaugi; c’était un Islandais rièhe et considéré, mais d’un caractère difficile ; son fils «ut une'queréfle avec lui et vint se réfugier dhez Thorftein. (Là, il connut Hëlgft, et tous deux s'aimèrent, et 'tous deux passèrent de longs jours à travailler l'un près de l’autre, -et de longues veillées dbiver à se regarder et à causer ensemble. Gunrilaugi était grand et fort; fl avait lecourage du guerrier et l’imagination du poète. *Queflques semaines auparavant, il eût bravé la •mer et les combats pour 'réaliser un de ses rêves de gloire ; maintenant son plus beau rêve était -de rester là, 'de voir son Helga «t de lui parler d’amour. Un soir que tous lesgousdete maison «étaient réunis dans la même chambre, il dit à Thorstein a « Il est une formule importante que je ne connais pas et que je veux apprendre de vous, c’est celle qu’on prononce en se mariant. » Thorstein la lui ensèigna. — « Attendez, s’écria Gunnlaugi, et prenant la main de sa bien-aimée, il répéta avec enthousiasme le serment solennel. Maintenant, ajouta-t-il, vous voyez que nous sommes bien légalement mariés, et j’en prends à témoin ceux qui m’ont entendu. » Peu de jours après, il alla trouver son père et revint avec lui demander formellement humain de Helga. — Je veux bien donner ma fille à Gunnlaugi, dit Thorstein, mais il est encore trop jeune; qu’il voyage pendant trois ans ; à «on retour je tiendrai ma promesse. Gunnlaugi part avec douleur et cependant avec espoir; il avait des larmes dans des yeux en ' serrant la main de Helga; mais il songea à son retour, et un rayon de joie dissipa la tristesse de «on regard. A dix-huit ans, l’imagination est si riche et l’espérance si belle ! Comment douter , du sort quand on s’embarque avec des rêves de poésie, et un premier amour dans le coeur? • Gunnlaugi s’en atla donc commencer sonpe- lerinage; il visita le Danemark et la Norvège, l’Angleterre et l’Irlande. Son courage de jeune homme s’était affermi, son talent de scalde s’était développé; il sillonna la mer sans crainte, et s’arrêta avec joie dans les sâlles de festin où ses vers le faisaient rechercher. Les jarl et les rois aimaien t à le voir séjourner à leur cour. Les uns lui donnaient dès bracelets en or, d’autres de riches instrumens. Quand il reçoit tous ses présens, il songe à Helga et se réjouit de lui en faire un jour hommage. Quelquefois plusieurs scaldes se rassemblent chez le même jarl, et, comme jadis sous les chênes de Mantoue, ou comme, au moyen-âge, dans les murs gothiques de la Wartbourg, ils s’essaient l’un après l’autre à chanter, et Gunnlaugi se distingue entre eux tous. Un jour il arrive à Upsal, et trouve chez le jarl un de ses compatriotes, voyageur et poète comme lui. Cet homme s’appelle Rafn. Il s’est acquis une certaine réputation comme scalde, mais c’est un scalde de la méchante espèce, car il s’irrite du succès des autres, et il a l’ame étroite et vindicative. Tous deux chantent devant le prince chez lequel ils sonjt réunis, et tous deuxblâment réciproquement leurs vers. Gunnlaugi accepte sans murmurer la critique de son rival, mais celui-ci lui dit en le quittant : -— Tu m’as offensé en face du jarl, je m’en vengerai. Etil ' partpourl’lslande.GunnlaugiretoumeenAngleterre. Rafn devient amoureux de Helga, et la demande en mariage; mais le vieux Thorstein à la parole fidèle, le cœur loyal, et il répond : « J’ai promis ma fille à Gunnlaugi, je dois attendre encore six mois, s’il ne revient pas à cette époque, nous .verrons. » Six mois se passent, et puis un an, Gunnlaugi est retenu en Angleterre par des préparatifs de guerre avec le Danemark ; il ne peut, sans manquer à l’honneur, quitter dans de telles circonstances le roi qui 1% comblé de bienfaits. Pendant ce temps, Rafn dominé tout à la fois et par l’amour que lui inspire la jeune fille, et par la haine qu’il garde à son rival, renouvelle sa demandé, et le mariage est décidé. A cette nouvelle, la pauvre Helga pleure beaucoup, mais sou père l’ordonnait, et elle n’espérait plus guère revoir jamais son bien-aiméi Gunnlaugi arrive le jour même où la décision venait d’être prise, où Thorstein avait engagé sa LETTRES SU*. LTSLATVDB. parole r et il va à la noce bien triste et fort découragé. Pendant que la grande coupe d!hydromel circule autour de la table, Helga et lui se regardent et pensent à leurs entretiens d’autre* fois, à leurs beaux rêves trompéë. Ils étaient trop loin l’un de l’autre, pour p *uvoir se parler, mai» après le dîner, il s’approcha d’elle et lui donna le vêtement doré qu’il aivait reçu d’un roi ; puis il s’en retourna douloureusement par le chemin qu’il parcourait quatre années auparavant avec tant de joie et d’amour. Quand l’été vint, il se rendit à l’Althing; il avait l’ame désespérée, et s’avançant au milieu de la foule, ils’écria: Rafn est-il ici? — Me voilà, dit Rafn, que veux-tu ? —Tu m’as enlevé la femme du est heureux de les voir apparaître au milieu de ees montagnes désertes où l’isolement est si profond, le long de ces' dunes rocailleuses où le bruit* dé la mer est si triste. » * * ?* $ * L’Islaqde se*pettple au *x* siècle. Ati Xe elle a »” des écoles. Haller en foüde»tine à Haukadalr, dans une petite vallée près du„Géyser.*Sœtnund, de qui nous vient l’Éçkla, en fonde'une autre dans sa sQÜtiïde depoète, Isléifr établit celle de Skalholt, et Ogmündr celle de Hoolunn La première date de 999; la secondé de 1080 ; les deux autres cle 1067 et 1107. On apprenait dans -ces écoles la lecture, l’écriture, 'le cWnt d’é- glise, nn peu de latin et de théologiefMais il y avait alors en Islande des hommes riches) et quand leurs fils avaient recueilli, dans lé pays même ,les premières notions de la science , ils s’en allaient en Allemagne, en Frartfce, en Italie i continuer leurs études. Au bout de quéL ques années, on les voyait revenir comme des moissonneurs, avec 'la gerbe littéraire qu’ils avaient glanée le long de leur route. Ils savaient, comme des clercs de Bologne ét de Paris, leur quadrivium, et ils s’étaient fortifiés par leur contact avec tes hommes les plus célèbres de chaque pays. Toutes ces excursions à travers les villes étrangères, leur ouvraient un nouvel espace dans le domaine de la pepsée, et cepea- clant ils restaient fidèles à leur pauvre contrée, et n’appliquaient qu’à des oeuvres nationales * , * l’intelligence qu’ib avaient acquise. C’est làde beau jtemps, c’est là Page d’or de,la littérature*islandaise. C’est du xie au xm' siècle v que cette littérature a produit les œuvres qui, aujourd’hui, nous étonnent ét nous charment le plus. L’Islande alors est jeune et forte , pleine de sève et d’audace, et fière de son indépendance. Elle se retrempe dans „les souvenirs héroïques de ses pères, elle s’instruit par les voyages. La religion Scandinave lui garde encore ses fictions poétiques, et le christianisme l’éclaire de son flambeau. Les colons de Norvège, en abordant sur les côtes d’Islande, n’ont trouvé, il est vrai, qu’une contrée aride et rebelle à toute culture, mais ils n’ont pas encore vu le sol bouleversé comme il le fut depuis par les tremblemens de térre et les éruptions de volcan.Ils n’ontpasétédécimés par la famine et l’épidémie. Ils occupent, au bord de la mer, de larges- espaces de verdure, et des savans assurent que., sur ce sol aride où nous ne voyons plus que des masses de lave, il y avait autrefois des forêts. Ainsi, ils vivent $veç confiance, acceptant avec oourage la rigueur, dé leur climat, et demandant aux flots qui les en- tourent ce que la terre leur refuse. Tandjsque les uns s’en vont jeter leurs filets le long des baies, .ou explorer les rives étrangères, les autres continuent paisiblement leurs étudeé, et la littérature se foruçie et s’élargit. Déjà la jurisprudence, l’histoire "naturelle, les mathématiques trouvent des organes. La poésie inspire ks scaldes, et Soemund chante la sagesse d’Odin et la cosmogonie. Les plus belles sagas se répandent dans l’intérieur des *famille£. "Snorri-Stur- leson écrit sa Chronologie des rois de Norvège, et Aræ fixe, par-des faits positifs et des dates certaines, l’histoire primitive de son pays. C’était un pauVre prêtre à qui ses connaissances firent donner le-surnom de frodr ( savant ). Il avait écrit plusieurs grands ouvrages qui ont été perdus. U ne nous reste de lui que ses esquisses historiques, ses Schedœ, et le livre des origines islandaises, le Landnama bok. fl *’e$t fait aussià cette époque deuï ouvrages qui fie peuvent être classés ni dans l’histoire, m dans )a poésie, et qui méritent d’être noté» à part- Lejpvemier est te calendrier ecclésiastique^ connu sous le nom da Rymbegla, le second est le Kongs-^kugg-Sio f Miroir dq Roi). Le. Jtymbeglq fut écrit entre le XII? et le xme siècle, -C’est yn livre composé de paragraphes détachés sur les fêtes, sur la division du temps, sur le coûts du soleil, sur l’âge du inonde, tcut pela jeté pêle-mêle comme des note» d’érudit, comme les fragmens de lecture qu’amassait Jean Paul. A côté d’qn chapitré sur les évàqoeS de l’Islande, voici venir l’histoire de* em($re,vy$ romains, et puis celle des rois d’Israël, et celle d'Hector et riémiramis. L’auteur a fait un éton- nqpt mélange de coph%Usancés réelles et d’idées fabuleuses. Par exemple, il croit sans hésiter à l'existence des cyclopes, des dragons, des basiliques et des syrènes, comme il croira celle d’Is- leifa, premier prélat de Skalholt. 11 raconte ayec la plus charmante crédulité qu’il y a bien sûr des paya où les hommes n’ont pas de tête et portent le ne» et les yeux dans la poitrine. D’autres ont une tête de eluen et aboient quand ils veit i&vtm . m tentpqpler. D’autres vienne»* au HMHide *«sg bouçhe, et ne vivent que du parfum des fleurs et de l’arôme des plantes (i), U jr « quatre (x) Les mêmes >d6e*se retrouvent dans Pli»*, dans saint Augustin, nt elleé étaient répandues 4an» tonie Çpurope qp mo^prâ^ Jty. Lavons de Lincy a eité dans son Livre des légendes, quelque* fragmens du Miroir du monde. Ce poëme curieux renferme une langue description des merveilles de l’Inda, On y \powe le passage suivant : « Autre» gens i a tous velu $ -f i mangjmnt crqs Et si boivent la mer salée Si r’a deviers cele contrée 4 * Restes et home» ^moitié Et ceux ont vm dois en lof pies. Mont par i a cribles biçstes Qtfi ont cors d’onces et de chiens testes, Qu» a>z ongles tout nriestént Et de pieaqg de biestes se vestent. » » ' ( Avtre i résout ki n’ont c’u» eel oUret ywinel Si dû uns autres qui les vis Et la bouce ont enrai le pis Et un ecl en caste pe espautq * , Si r'a vers le flueve de Gaqge Une gent cortoise et est range Et ènt droite faiture (Tome Qtt» dnjINxtoa (Thuoune punie ?VVW. WD1«(« XQV*. *îwç La pnme lora tel besoing 4 Qm s&waUpun* seufttat Sans la pume tantost mourraient. grands 'fleutvès qui déroulent du paradis : le Gange, le Nil, le Tigre, et l'Euphrate-, et les voyageurs.ont vu en Grèce un-fleuve qui teint en blanc les moutons qui viehnejat s’y abreuver, et un autre qjii les teint,en noir. On a découvert aussi en Phrygie, un lac où les pierres croissent comme des arbres, et beaucoup d’autres choses merveilleuses qu’on ne croirait pas, dit le naïf conteur, si elles frétaient attestées par leà philosophes. , Tout ce livre est ainsi .fait'de morceaux disjoints ; c’est en certaines parties un récit fort monotoqe, et dans d’autres une mosaïque curieuse de préjugés populaires, de croyances superstitieuses. Sous eè rapport, il mérité d’être lu par tous ceux qui veulent se. faire une idée complète des connaissances cosmographiques dn moyen-âge. Du reste, il est devenu rare, et ce n’est pas. sans peine que j’ai pu en acquérir un exemplaire (i), - Le Miroir du Roi ressemble beaucoup par sa forme au castoiement d’un père à son filsy et à tous les livres du même genre. H renferme deux (i) Rymbegla, sive ruâimentùm computï ccclesiastici, i vol. in-8°, Copenhague, 1780. \ grandes dissertations sur le commerce, et sur la cour. Il devait y en avoir deux autres sur les prêtres et les laboureurs. L’auteur aurait ainsi embrassé les quatre classes de la société. On ignore s’il a accompli son œuvre. Dans tous les cas, les deux premières parties seulement nous ont été conservées. Cé livre fut écrit par le ministre d’un rçi de Norvège pour l’instruction dhin prince, et je ne sache pas d’ouvrage qui puisse donner üne^idée plus étendue et plus pette de l’état du pord au moyen-âge. Ce ministre est un homme fin et hàbile, homme du monde, homme de cour, façonné à, tops les usages de son époque, fort instruit en beaucoup de choses, et, du reste, crédule comme les hommes de son temps. Si vous voyiez comme il apprend à son élève lemoven d’être marchand, cpnime il lui recommande d’agir avec prudence, de ne pas se lier trop vite avec ceux qui’viennent à lui, de ne pas placer dans la même entreprise tout ce qu’jl possède, de peur de perdre tout <à la fois; comme il lui indique bien le secret de vendre à propos, et la nécessité,de ménager ses ressources, Ou croirait entendre un vieux marchand de province confiant, d’une main tregablantê, la IM tamis, sus. VISUWI* gestion de ses affaires ! son fils, et lut dévouai patiemment toutes les rusçs de sou métier. Quand il passe de la maison de commerce à b cour, il se fait encore -plus timide et plus cauteleux. Le vieux ministre a vécu aux mit lieu des grands, dans la demeure des princes, il sait avec quelle réserve il faut approcher ceux qui tiennent en main le pouvoir. Il parle de ce terrain glissa** des ehâtçauoç comme eût pu le faire un courtisan de Inouïs XIV, mais pas un courtisan n’ aurait représenté l’autorité royale tous un aspect aussi imposant. Qnevde précat* tiens il faut prendre pour pénétrer dans la de* meure du roi, et comme il faut être adroit, patient et maître de soi-même dçt qu’on aspire à vivra, auprès de lui! Le roi n’eat pas toujours de bonne humeur, il faut consulter son. regard et l’expression de son visage avant que de lui adresser une demande. S’il est asçfa à table, on aura soin de sa tenir humblement à quelque distance de lui ; s’il parle, pn se gardera, hjep, de détourner la têt», de se montrer distrait , pu inattentif; s’il fait un, geste, il faut pouvoir, fa premier, interpréter o»geste eftagir;s’il donne un ordre e(,qu’on, ne le comprenne pas, en ne sera pas si hardi que de l'obliger à répéter ce qu’il vient de dire une seconde fois, on répondra qu’il a été entendu et qu’il va être obéi; s’il appelle un courtisan, le courtisan se jettera à genoux devant lui, et ne se relèvera que quand le roiJMriui aura commandé. - Après cela "viennent d’autres conseils sur la ipanièrude se vêtir, sur les armes qu’on doit porter, et sur l’équitation. Car ce précepteur du prince un bommé universel, et il apprer nait à son élève tout ce qu’pu savait vraisemblablement en Noivége au xn6 siècle. Quand il lui a ainsi enseigné-ie respect qu’on doit aux rois , il lui enseigne, par des exemples tirés de la Bible, par l’histoire de David,,de Joseph, de Mardochée, là conduite que les çojs doivent ' avoir. Puis, en lui parlant des pays qu’il peut parcourir, il lui dit ce -qu’il sait sur chaque pays, et alors nous retombons dans toutes les traditions étranges du Rymbegla et des autres géographies du moyen-âge. Il sait qu’il y a des phoques au Groenland, mai»c’est pour lui un animal merveilleux, qui a la tête, les-yeux, les épaules comme un homme % et personne n’a vu / 349 LETTRES SUR LTSLANRE. le reste de son corps (i). U dépeint assez exactement l’aurore boréale, mais il est dans un grand embarras pour expliquer' d’où elle provient. Cependant, dit-il, comme le Groenland se trouve à l’extrémité du globe, il est probable que cette lumière vient du cercle defCtu qui entoure la terre, ou des étincelles qui jaillisçnt des rayons du soleil quand il se couche, ou peut-être du reflet des glaces qui couvrent toute cette partie du monde. L’Irlande est surtout pour lui un vrai'pays de prodiges, fl y a là un lac qui change la moitié d’une branche d’arbre en ter, l’autre en pierre. Il y a des sources qui" teignent les cheveux. Il y a une île où l’air a une telle force yitale que personne ne peut y tbmber malade. Qnand un hofnme a atteint l’âge qu’il présume que Dieu lui destinait, on l’emmène dan» un autre pays, pour qu’il puisse mourir, car jamais dans cette île il ne pourrait mourir de maladie. Dans une autre île, quand les habitans meurent, on ne les enterre pas. On les porte'près de (i) Cette description du phoque a été «produite dans un ouvrage français : Relation du Groenland, Paris, 1667. L’autfeur cite le Miroir du Rorcomme une autorité. l’église, et ils se promènent là tranquillement et causent avec les passans. L’Islande est aussi une terre assez curieuse» On y trouve des baleines dont les naturalistes de nos jours ne soupçonnent guèrel’existence, et il y avait autrefois une source qui devait singulièrement plaire aux Islandais. Cette spurce avait le goût de la bière. Mais si par un esprit de convoitise trop grand, le buveur voulait aller bâtir sa cabane dans -ce lieu privilégié, l’eau irerveilleuée fuyait d’un autre côté; et s’il voulaity remplir ses flacons pour les emporter, elle redevenait à l’instant comme l’eau ordinaire. Il fallait user sobrement, et alors il n’y avait pas dans la demeure du jarl, dans le palais du roi, de boisson comparable à celle-là. Le Miroir du Roi fut écrit vers le jnilieu du xne siècle. Environ un siècle après, la littérature islandaise commençait à décliner^ En 1264, la colonie d’émigrés se rejoint à la mère-patrie, l’Islande se réunit à la Norvège. Ses nouveaux rois lui conservent,» il est vrai; ses lois, ses coutumes, mais il lui imposent des gouverneurs qui ne ménagent ni sa dignité ni ses intérêts. De. violentes contestations s’élèvent souvent 380 liETTRK SIA tlSLAHDJÎ. entre les principaux habitant du pays et les envoyés de Norvège. Les évêques défendent leurs concitoyens, le peuples plaint de U violation de ses droits, tirais les préfets n’en continuent ,pas moins leurs injustices et lepirf'fx$Ç‘ tions. L’Islande, devenue provinee tributaire d’un autre royaume, semble avoir perdu l’énergiè qui la distinguait quapd elle était indépendante. Et puis le volcan plus cruel qüe lotis les gouverneurs, plus terrible que tous las despotes, le volcan est là qui gronde, et déchire la crête des montagnes, et vomit de toutes parts ses tourbillons de cendre et sa lave brûlante. Au volcan succèdent quelquefois des trerablemens de terré qui ébranlent l’île entière, et au *iv« éèclear- * ÎJï '' rive la peste noire. Cette effroy able.épt^émje, qui avait' fait le tour de l’Europe, enleva à l’Islande les deux tiers de sés habitans. A peine la pauvre Ile commençait-elle à se reposer de-ses calamités, qu’une troupe farouche de corsaires anglais aborde sur la côte, pénètre dans l’intérieur «lu pays,- brûle, pille tout ce qu’elle ras- contre; et soixante ans -après, -une nouvelle épidémie décima encore la population. Après tant de fléaux, on ne peut guère s’afc- tendre à voir fe peuple occupé d’études. Aûssi tout tombe dans l’oubli, travaux, histoire, science, littérature. Quelques Islandais apprennent encore dans les écoles à lire t" à écrire, mais eeu* qui se distinguent dans ces premiers -élémens d’instruction sont proclamés 6âvans, et ceux qui veulent arriver au plus ha ut. faite de là science, lisent les bulles des papes et les immunités de l’église. Pendant l’espayse dé trois «iècles, on ne trouverait pas dans tout le pays, un seul homme comparable aux écrivains du xn* siècle. L’Islande ne produit que de pâles lambeaux d’annales et de prières riraées. Quelques habitai» apprennent l’anglais et l’allemand par suite de leurs relations avec les marchands d’Angleterre et de Hambourg! Mais on voit. à Skalbolt et à Hoolum, des évéques qui ne savent -même pas le latin. Au xiv* siècle, Un moitié nommé Eystèin se rendit célèbre par la publication d’un poëme intitulé ie Lys. Mais ce poème n’est qu’une froide’paraphrase des premiers chapitre de la Genèse et de l’histoire de la passion de J.-G. Un autre Islandais, Biœrti, se fit une certaine réputation par ses voyages. H avait visité le Groenland, l’AUamagae, la France, l’Italie, l’Espagne et là Terre-Sainte. On croi .qu’il avait écrit plusieurs livres sur ces diffé^-us pays, mais il ne nous en est resté aupun. ;s , La réformation vint réveiller les esprits de .leur torpeur. Le mouvement d’intelligence qui s’opérait alors enf Allemagne et en Danemark atteignit aussi l’Islande. On fopdâ une imprimerie, on réforma les .écoles. Quelques bons livres furent publiés ; quelques homjnes instruits et zélés . répandirent autour d’eux le goût des lettres. A cette époque de régénération, l’Islande ne produisit, il est vrai, aucune CRUvre,éclatante, mais elje se sentait ràyivée par l’étude. Plusieurs Islandais érudits se mirent à écrire. Les uns suivaient les controverses religieuses dont touje l’Europe était alors occupée. D’au tires cherchaient à recueillir les nouvelles notions scientifiques publiées parla France et l’Allemagne et les- transmettaient à leur pays. On vit paraître alors des dissertations intéressantes sur L’histoire natu* * relie d'Islande, plusieurs traités de médecine et de physique qui n’étaient point en arrière-de ceux qui s’imprimaient alors dans les autres parties de L’Europe, et surtout beaucoup d’annales historiques. Ces annales sont froides, dépourvues de mouvement et de toute idée philosophique. Ce n’est pas là de l’histoire comme nous l’entendons aujourd’hui. Mais les faits sont ra- conte's d’une manière précise, étagés avec soin par ordre chronologique; et si ces livres sont monotones à lire, ils sont au moins intéressans à consulter, car ils ont été faits avec conscience. Les plus estimés sont ceux d’Arngrim John- sen (i), quoique ce ne soient que des précis historiques bien pâles, et quelquefois entachés d’une singulière crédulité. On peut lire aussi avec confiance les Annales de Biœrn, qui embrassent l’histoire d’Islande de i4oojusqu’à I645. Il travailla à cet ouvrage toute sa vie, et la plupart des faits qu’il raconte se sont passés de son temps. Presque toutes ces annales ont rapport à l’histoire de l’ile. Cependant on s’occupait aussi des contrées étrangères, et l’on traduisit de l’allemand diverses chroniques. Mais la plus belle époque historique de l’Islande est le xvni' siècle. Alors apparaissent successivement (1) Crymogœa, she rerum islandicarum , Itbri très. —Specimen Islandua historicum. 23 Torfesen, Magnussen, Finnsen, trois hommes dont les Islandais parlent avec vénération. Le nom de Torfesen est européen. C’était un homme d’un rare savoir et d’une critique sévère, qui, en se dévouant à l’étude des antiquités du nord, rendit de grands services à son pays. La chronique de Norvège et l’introduction mise en tête de sa Chronologie des rois de Danemark ( i ), devront être étudiés par tous ceux qui veulent avoir une connaissance exacte de l’ancienne Scan* dinavie. Ame Magnussen est celui à qui l’Islande doit d’avoir vu sortir de l’oubli où ils étaient plongés ses monumens littéraires. Il dévoua sa vie entière à cette œuvre de science, qui était aussi pour lui une œuvre de patriotisme ; et il y consacra sa fortune. Le nom de Finnsen est peut-être moins connu du monde savant. Mais il sera chéri et respecté de tous ceux qui ont eu recours à son excellente histoire ecclésiastique (a). (1) Sériés Dynastorum et regum Daniœ, i vol. in-4°, 170a. On lui doit aussi : Historia rerum norvcgicarum, 4 vol. in-folio, 171*. Grœnlandia antiqua, etc., etc. (a) Historia ecclesiasiicaIslandias, 4 vol. in-4°, Copenhague, 177a. Pendant que la science historique se relevait ainsi de son affaissement passé, la philologie faisait aussi quelques progrès. Au xvn' siècle, Olafssencompose son lexiquerunique. Plus tard, J. Magnussen, le frère de celui dont nous venons de parler, écrit une grammaire islandaise. Vi- dalin publie une fort belle dissertation sur l’ancienne langue Scandinave, et plusieurs éru- dits joignent aux sagas qui s’impriment à Copenhague des vocabulaires détaillés et des notes très recommandables. On n’avait pas encore d’histoire littéraire nationale. Finnsen la traite avec savoir et habileté dans son histoire ecclésiastique , et Einarsen publie sa Sciagraphia. Ce n’est qu’une esquisse de la littérature islandaise, un. catalogue raisonné, une table chronologique. Mais l’esquisse est complète. Tous les noms s’y trouvent, toutes les notes bibliographiques , toutes les dates ; et si ce livre laisse beaucoup à désirer sous le rapport des dévelop- pemens, il n’en est pas moins précieux comme indication. A la même époque, la poésie revient aussi visiter l’Islande, et s’essaye à reprendre sur la vieille lyre des scaldes des accords oubliés. Mais elle n’a pas encore retrouvé sa hardiesse d’invention d’autrefois, et au lieu de créer, elle copie. Des soixante-dix-huit poètes cités par Einarsen, la plupart n’ont fait que rimer des anciennes sagas. D’autres traduisent en vers des chapitres de la Bible. Tous chantent obscurément sous l’humble toit qui les abrite. Un seul , s’est acquis quelque célébrité. C’est Halgrim Peters- sën, l’auteur d’un recueil de psaumes que l’on trouve aujourd’hui dans toutes les familles d’Islande. Mais vers la fin du siècle dernier, cette poésie timide et défiante s’enhardit et parle un langage plus élevé. Un sysselmand de Reykiavik écrit plusieurs poèmes remarquables, et une comédie qui n’a pas encore été imprimée, mais qui est fort vantée de tous ceux qui la connaissent. Un pauvre prêtre traduit, dans sa solitude, Pope, Milton, Rlopstock. Un homme déjà renommé pour sa science de naturaliste, Eggert Olafssen, l’auteur d’un voyage intéressant en Islande, compose un recueil de vers que tout le monde lirait avec charme. Sa poésie est tendre et rêveuse. Elle a tout à la fois le caractère de l'idylle et île l’élégie, et elle est simple et vraie. C’est un homme des champs qui s’est plu à célébrer son enclos de verdure, ses montagnes d’Islande, ses lacs limpides. C’est un père de famille qui a redit d’une voix émue et touchante ses joies d’intérieur et ses rêves d’amour. Il avait un frère qui était poète aussi et. qui a laissé quelques chansons. Mais celui-ci est gai et frivole; il chante à tout propos, et sa chanson a la forme riante et coquette. Il amuse, mais son frère intéresse. La société littéraire de Reykiavik a publié les oeuvres de ces deux poètes, et celles de Grœn- dal ; il serait à souhaiter qu’elle pût continuer ses collections. Il n’y a point de poésie populaire en Islande, dans le sens que nous attachons à ce mot, et il ne peut pas y en avoir dans un pays où les ha- sbitans vivent isolés l’un de l’autre, où l’on ne voit pas, comme en Allemagne, de ces grandes réunions d’étudiàns, d’ouvriers qui 6e communiquent par le chant, la ballade de Schiller, ou les strophes patriotiques d’Uhland. D’ailleurs, les Islandais ont le caractère sérieux et triste. Ils ne chantent pas , mais ils lisent. Il n’y a point parmi eux de gondoliers de Venise, et point de Bursche. Mais le livre qu’ils aiment passe de maison en maison. On le lit à la veillée, on en parle en travaillant. Voilà sa popularité, et Béranger pourrait être leur poète populaire, sans qu’ils eussent jamais chanté un seul de ses vers. Il est surtout un homme dont ils chérissent le nom, dont ils recherchent les œuvres avec empressement. Cet homme est M. Thorarensen, qui remplit aujourd’hui les fonctions de préfet dans le Nordland. C’est un vrai poète par la pensée, par la forme, un poète qui aime son pays et qui le chante avec enthousiasme. Je ne l’ai pas vu, mais j’ai été en correspondance avec lui, et ses lettres m’ont frappé par leur candeur et leur modestie. Ses poésies sont encore disséminées dans différens recueils, mais tous les Islandais les possèdent. J’ai choisi, pour essayer de les foire connaître, deux de ses pièces les plus goûtées en Islande. Qu’on me permette de les joindre à cet article. J’avouerai franchement que cette traduction ne rend pas l’expression nette et brillante de l’original; mais l’auteur, qui parle et écrit facilement notre langue , m’a du moins envoyé un certificat en bonne forme constatant que je n’avais pas foit de contresens. La première de ces pièces est un chant patriotique composé par M. Thorarensen lorsqu’il étudiait à l’université de Copenhague. La seconde est une élégie de mort. Ma vieille et noble Islande, ô ma douce pairie, Reine des monts glacés, tes fils te chériront, Tant que la mer ceindra la grève et la prairie, Tant que l’amour vivra dans une ame attendrie , Tant qu’au soleil de mai nos champs reverdiront. Du sein de Copenhague où pèse le uuage Nous tournons nos regards vers le toit paternel. Ne pourrons-nous biéntôt revoir ton beau rivage ? Ici nous ne trouvons qu’un froid et faux langage, Ou le bruit importun, ou le rire cruel. L’aspect de ce pays sans montagnes nous lasse, Souvent cet air épais, ce ciel lourd nous fait mal. Même niveau partout, et partout où je passe Je cherche vainement ce large et grand espace Qu’on découvre aux sommets de notre sol natal. Mieux vaut s'en retourner, mieux vaut revoir encore La contrée où le vent est plus froid, mais plus pur; Les champs couverts de neige éclairés par l’aurore, Et les flots de cristal que le soleil colore, Et les Iœkul brilians avec leur ciel d’azur. Ma vieille et noble Islande, à ma douce patrie, Que le ciel te protège et te garde la paix ! Pour toi chacun de nous s’émeut, espère çt prie. Puisse le sort sourire à ta rive chérie, Puisse un bonheur constant t’animer à jamais ! SIGRUN. Un jour je te disais : Si tu meurs la première, Reviens me visiter. Mais tu ne croyais pas Que je pusse arracher Ion corps à la poussière , Baiser tes yeux éteints, f enlacer dans mes bras. Je ne t’aimerais pas , ma douce fiancée, Si mon amour devait s’arrêter au tombeau ; De ton front virginal la fraîcheur est passée, Mais je revois toujours ton visage si beau. L’air vital est éteint sur ta bouche riante, Mais un souffle éternel est venu t’animer, Et tu resteras jeune à jamais et charmante, Comme aux jours où le monde appreuait à t’aimer. Ne me délaisse point dans ce lieu qionqtone. a Je suis seul ici-bas, songe à moi dans les cieux. Lorsque dans nos rochers gémit le vent d’autcfmne, Oh! reviens; montre-toi quelque soir à mes yeux. Si la lune apparaît à travers le nuage, Et si ta main me cherche et m’effleure en passant, Je me réveillerai pour voir ta chaste image, Pour entendre ta voix avec son doux acrent. Puis pose sur mon seiu, pose ta tète blonde, Et dans tes bras de neige, ô mou ange, prends-moi, Enlève les liens qui m’attachent au monde, Je voudrais être libi^ partir avec toi. Et traversant alors l’aurore boréale , Loin drs lieux où toujours je n’ai fait que gémir, Sur ces nuages d’or teints de pourpre et d’opale Nous irions tou» les deux chanter, rêver, dormir. La poésie de M. Thorarensen ne ressemble guerre à celle des anciens scaldes. Ce n’est plus l’âpre langage de ces hommes qui d’une main tenaient la harpe et de l’autre l’épée. C’est la voix d’une ame rêveuse et aimante qui a souvent caressé maint prestige et pleuré mainte déception. A voir ces vers islandais revêtus d’une teinte méridionale, on dirait que le génie poétique d’une autre contrée est allé s’asseoir auprès de l’homme du nord, et que l’hiver, dans le silence des nuits, celui de qui nous viennent ces stances mélancoliques a plus d’une fois prêté l’oreille aux chants d’amour de Lamartine, aux élégies rêvées près du golfe de Baya. 1 Je n’indique ici que les principale» sage*, celle» qui sont le plu» essentielles à oomutUr, et celle* qui ont d’abord été publiée* par la Société royale de Copenhague. On trouve une liste complète des sagas en tête de l'ouvrage de Troïl sur l'Islande, dans un des livre* de Torfesen. Sériés Dynastorum et regum Danice. Copenh. 4°, 17e», qt dans la Sciagraphia d’Einarsen. 2 * Monnaie danoise et islandaise qui vaut a peu près 5 fr. 5o c. 3 C’est dans un de ces malheureux presbytères que Torlakson traduisit en vers Bdèles et élégans Y Essai sur l'homme du Pope, et le Paradis perdu de Milton. Dans un autre, nous avous trouvé un jeune prêtre qui avait vendu son mince patrimoine pour voyager, et (fui, en s’imposant de longues privations, était parvenu à visiter successivement l’Ail magne , la France, l’Angleterre, l’Italie et la Grèce. Il connaissait toute notre littérature moderne, et nous citait avec bonheur les uoms des écrivains dont il avait étudié les œuvres et des professeurs dont il avait suivi les cours. Il lisait la Revue des Deux Mondes, et nous témoigna à plusieurs reprises le désir d’y faire insérer des articles sur la littérature islandaise. 4 Dieu gard ma maistresse et régente, Gente de corps et façon, etc. / Pour dire vray, au temps qui court, Cour est un périlleux passage, etc. 5 Surnom d’Odjn. 6 Fils