De Scribe à Ibsen M. René Doumic, l’ingénieux critique du Moniteur Universel et du Correspondant, réunit des articles et des feuilletons que leur caractère fragmentaire, je pense, l'a empêché d’intituler « Le Théâtre d’Idées ». C'était le vrai titre qui convenait à ces études. Pour M. Doumic l’intéressant du théâtre d’aujourd’hui est qu’il tend à substituer à la discussion des questions sociales celle des idées. M. Doumic cite Céard, Lemaître, Qurel, Denier, Ibsen. La tendance de substituer l’analyse individuelle à la description décorative des masses a déjà rajeuni d’autres branches littéraires, et le théâtre des idées est en train de régénérer la branche dramatique. Il est visible que M. Doumic s’en félicite. Je ne m'en féliciterais pas, si j’en étais assuré. Par sa forme populaire le théâtre est propre à tout exprimer, sauf peut-être les idées. Ou plutôt, s’il en exprime, il ne peut le faire qu’à la condition d’étriquer les concepts dont il use jusqu’à la mesure du plus grand nombre de spectateurs. Il faut être compris. Or essayez de faire entendre dans la rapidité du dialogue une idée délicate ou nouvelle. Elle ne passera pas la rampe. Si c’est avec de l'intelligence qu’on veut produire la communion, nécessaire au théâtre, de l'acteur et du spectateur, ce sera forcément avec de pauvre intelligence. Une seule chose rend cette communion possible, l’émotion. Des idées, s’il vous plait. Mais que ces idées trouvent leur expression émotionnelle, ou vous ne serez pas entendu. C’est parce que Céard et Ibsen agencent des mécaniques émotionnelles supérieures qu’ils sont maîtres en l’art du théâtre. Si leurs comédies n'avaient qu’une valeur de représentation d'idées, quelle serait l'utilité de la forme dramatique ? On ne sympathise que par l'émotion, et l’idée haute, non symbolisée en drame, n’émouvrait pas au théâtre. J'ai d’ailleurs observé d’après ses chroniques, que M. Doumic était intéressé plus par le jeu des idées que par celui des sentiments. Et il a, en sincérité, formulé sa préférence. La sincérité fait le charme de sa critique élégante, nette et têtue. J’ajouterais « un peu étroite », mais Sarcey croirait que je me moque, aux yeux de qui la compréhension de Doumic s’étale jusqu’à la veulerie, la coupable veulerie, complaisante aux décadents. Lucien MUHLFELD.