Rappel de votre demande: Format de téléchargement: : Texte Vues 1 à 493 sur 493 Nombre de pages: 493 Notice complète: Titre : Femmes écrivains d'aujourd'hui. I, Suède / Louise Cruppi Auteur : Cruppi, Louise (1862-1925). Auteur du texte Éditeur : A. Fayard (Paris) Date d'édition : 1912 Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb35415701f Type : monographie imprimée Langue : français Langue : Français Format : 1 vol. (487 p.) ; in-8 Format : Nombre total de vues : 493 Description : Contient une table des matières Description : Avec mode texte Droits : Consultable en ligne Droits : Public domain Identifiant : ark:/12148/bpt6k5719221m Source : Bibliothèque nationale de France, département Littérature et art, 8-Z R ROLLAND-6976 Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France Date de mise en ligne : 12/07/2010 Le texte affiché peut comporter un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 93%. LOUISE CRUPPI Femmes Ecrivains D’AUJOURD'HUI SUÈDE PARIS ARTHÈME FAYARD, ÉDITEUR 18 et 20, rue du Saint-Gothard, 18 et 20 Femmes Écrivains d'Aujourd'hui LOUISE GRUPPI FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI i SUÈDE PARIS ARTHÈME FAYARD, ÉDITEUR j8 et 20, rue du Saint-Gothard AVANT-PROPOS Pourquoi, nous a-t-on dit, étudier isolément, en divers pays, la littérature féminine ? N'est-il pas arbitraire de la séparer du courant général de la production contemporaine ? et feriez-vous l'étrange gageure d'ignorer de parti pris la production masculine, bien plus abondante et plus importante ? Non, à coup sûr, et l'objection a sa valeur. Mais tout groupement d'oeuvres littéraires porte un caractère d'arbitraire, et le groupement des oeuvres: féminines nous paraît présenter à cette heure même un certain intérêt de document. Il y a à peine vingt ans que le nombre des femmes écrivains, en tous pays civilisés, est devenu considérable. La femme de lettres, hier encore phénomène isolé, fait partie aujourd'hui d'un nombreux groupe dont l'influence artistique, morale et sociale ne peut manquer de se faire sentir. Comment s'annonce cette influence ? La contribution apportée par la femme dans la littérature se fond-elle dans l'effort général,.ou conserve-t-elle des caractères particuliers ? A travers les traits spéciaux à chaque race, à chaque pays, 6 AVANT-PROPOS pourrait-on trouver un fond commun, des traits sui generis s'appliquant à l'ensemble des oeuvres féminines ? La question est vaste, et on pourrait dire qu'il est hâtif de la trancher aujourd'hui. La première génération de femmes écrivains, si brillante qu'elle se soit montrée en divers pays, ne peut révéler ce que sera l'ensemble de, la production littéraire des femmes quand celles-ci se seront habituées, non seulement au métier d'écrivain, mais à toutes les activités nouvelles dans lesquelles elles se sont essayées depuis si peu de temps. Et pourtant, cette question si vaste, noms la voyons à chaque instant péremptoirement résolue. A chaque instant, des esprits généralisateurs, s'appuyant sur un petit nombre d'exemptes tirés de leur voisinage immédiat, se prononcent sur les caractères d'ensemble de la littérature féminine, l'exaltent ou la dénigrent, déclarent sans appel que tel ou tel ordre d'activité est, ou n'est pas, du domaine de la femme. Dieu nous garde de les contredire ! Ce serait imiter leurs affirmations hasardées. Nous prétendrons seulement qu'avant de tracer les limites du domaine de la femme il serait bon de le parcourir. Et c'est là un très grand voyage, que les Parisiens entreprennent difficilement, En dehors de ses possessions dans tous les pays d'Europe, le domaine de la femme s'est constitué dans AVANT-PROPOS / le nouveau monde une puissante colonie. De plus, il ne s'est pas borné à la pure littérature. Les arts, les sciences, l'activité sociale sous toutes ses forâmes, fait partie aujourd'hui de ce vaste domaine. Nous ne pourrons évidemment pas l'explorer tout entier. Mais si nous parcourons un peu la vieille Europe, d'où les nouveaux mondes ont tiré leurs idées conductrices ; si nous envisageons la littérature, qui dans son ensemble reflète fidèlement les milieux, nous avons chance de tracer un tableau en raccourci de l'action féminine au vingtième siècle. Nous nous proposons donc de passer en revue les femmes de lettres notables actuellement vivantes en Europe, Quand nous l'aurons fait avec impartialité et conscience, je ne sais si nous pourrons nous permettre quelques conclusions... prudentes, sur la nature de l'influence féminine dans la littérature et les moeurs, mais nous aurons toujours fait un curieux voyage. Les femmes de lettres qui ont atteint île public sont en générai des figures intéressantes. Avant de parvenir au succès, elles ont eu à soutenir bien des luttes. Luttes contre elles-mêmes, contre les suggestions de l'éducation, qui les engageait à rester dans la modestie et le silence; luttes contre leurs familles; parfois.luttes contre l'amour, qui s'accommode mal de voir transformer l'image de grâce et de faiblesse féminines à laquelle il était 8 AVANT-PROPOS accoutumé; enfin luttes de la concurrence, plus âpre et plus maussade à l'égard de la nouvelle venue qui ainsi, inopinément, réclame sa place au soleil. Ces luttes contre les opinions, parfois contre la morale établie, contre les préjugés et les intérêts d'un temps et d'un milieu, sont particulièrement révélatrices de ce milieu et de ce temps; les femmes qui ont vaincu tant d'obstacles, même si elles n'avaient pas de génie, étaient de fortes personnalités. Et à ce sujet nous acceptons d'avance une critique qui nous sera sûrement adressée. Nous reconnaissons que les femmes dont nous tracerons le portrait ne seront pas toutes des écrivains de premier rang. Dans ce volume, sur une vingtaine de femmes que nous étudions, il n'en est que trois ou quatre vraiment très remarquables. Et c'est là une bien honorable proportion. Mais les autres ont toutes, en même temps qu'une production littéraire notable, le droit de retenir notre attention par leur caractère ou par les événements de leur vie. Quand, cherchant un écrivain, nous avons seulement rencontré une femme, nous ne l'avons pas écartée si elle avait une valeur personnelle, ou même une valeur historique. Nous ne nous plaçons donc pas, dira-t-on, au AVANT-PROPOS » point de vue de la pure littérature? Non. Nous serions très inhabile à une critique didactique, s'appuyant sur l'abstraction des genres littéraires. Une oeuvre est pour nous la révélation d'une âme, d'un point de vue humain particulier; et toutes ces âmes féminines, hier muettes, qui tout à coup, toutes à la fois, trouvent la parole, nous semblent révéler, dès qu'elles sont sincères, mille points de vue humains nouveaux. Puis la femme est, peut-être plus que l'homme, représentative du groupe social dans lequel elle est encadrée. Elle nous le peindra en nous peignant ses douleurs et ses joies, qui montrent, en même temps que sa personnalité, celle des êtres qui agissent sur elle. Elle nous dira ses rêves, qui (particulièrement dans les pays Scandinaves où nous nous dirigeons d'abord) reflètent si fidèlement le rêve collectif de la race. Puis... que ceci soit dit pour les Français, toujours inquiets d'esthétique! -Ces femmes seront très souvent des femmes charmantes. A la grâce de l'esprit, elles joignent fréquemment celle de la forme. Le bas-bleu aux cheveux coupés est, en tous pays aujourd'hui, un type des anciens âges. La femme ne rend plus à l'homme le fâcheux hommage qui consistait à se masculiniser. Elle écrit sous son nom de femme, et suivant le conseil d'une de ses soeurs (1), elle garde aussi (1) Ellcn Key. 10 AVANT-PROPOS précieusement que la nature le lui permet « ce trésor de joie pour tous qu'est la beauté, la grâce de la femme ». Elle garde aussi, très souvent,, le plus précieux de ses charmes : là bonté. Elle devient rarement l'âpre et maussade « concurrente ». Parmi les femmes écrivains suédoises, toutes celles qui sont vraiment supérieures par l'esprit montrent aussi une haute valeur morale. «  Si le coeur de la femme se fermait, a écrit une de nos compatriotes, où donc l'humanité, trouves rait-elle un refuge ? » (1), Mais le coeur de la femme ne se ferme pas à mesure que son esprit s'ouvre. Au contraire, sa bonté plus clairvoyante ne fait que s'étendre plus loin; et cette bonté est souvent visible dans les portraits que nous reproduisons. Le lecteur peut donc entrer sans crainte dans le groupe au milieu duquel nous allons chercher à le guider. Il y trouvera autant de beaux yeux, autant de charmants sourires que dans le groupe lointain de ses aïeules aux cheveux poudrés. Mais pourquoi, dira-t-on encore, commencer cette étude par la Suède, pays dont la nature, la race, les traditions sont si éloignées de nous? Nous pourrions alléguer le nombre et l'importance (1) Mme L. Compain. L'un vers l'autre. AVANT-PROPOS 11 des femmes écrivains de ce pays, et cela paraîtrait justifier assez notre choix. Il a cependant d'autres causes. Si, en étudiant les femmes Scandinaves, nous nous sommes trouvés retenus par les Liens invisibles dont parle la grande conteuse, cela n'a pas été seulement un caprice personnel. D'autres Français, à la même heure, subissaient le même charme, et lès Suédois, devant notre intérêt subit, .s'écriaient avec quelque ironie ; — Il paraît que nous sommes à la mode ! Mais les modes sont la manifestation extérieure de mouvements profonds; et ce n'est pas par hasard que des esprits divers se dirigent à la même heure vers un même sujet d'étude. Si la Suède aujourd'hui nous attire, c'est que ce pays de forte conscience, de vie intérieure intense, d'inépuisable fantaisie, offre un élément dont nos âmes françaises sentaient confusément le besoin. A d'autres heures, nous irons puiser à d'autres sources. Mais aujourd'hui, fatigués d'un positivisme dur dans le domaine moral, et social, d'un réalisme parfois brutal dans le domaine artistique, il nous plaît d'aller plonger nos regards dans de clairs yeux bleus qui reflètent le fond des âmes plutôt que les contours des choses. « Le monde que tu vois au dedans de toi, a dit un auteur du Nord, est bien plus beau que celui que tu Arois quand tu regardes au dehors. » 12 AVANT-PROPOS Une image tirée d'une vieille Saga peint bien cette forme spéciale de l'imagination Scandinave qui crée, non point, en choisissant consciemment des traits dans les choses visibles, mais en fermant les yeux et par une sorte de floraison intérieure. Au pays enchanté dont parle la Saga, on voit un lac recouvert d'une épaisse couche de glace; et, si on se penche sur ce miroir, on voit avec surprise qu'il ne reflète pas les sapins d'alentour. En le regardant plus longuement, on aperçoit au travers, emprisonnée sous la glace, une végétation merveilleuse, les fleurs éclatantes de plantes tropicales inconnues aux pays du Nord. Nous avons. été attirés par ces fleurs de rêve et nous avons demandé aux femmes suédoises de nous les apporter. INTRODUCTION Nous avions l'intention (indiquée par le titre de ce livre) de ne parler que des femmes écrivains suédoises actuellement vivantes. Mais nous nous trouvons obligés 'de jeter un rapide coup d'oeil en arrière. Il est presque impossible, dans la Suède actuelle, d'isoler le mouvement littéraire féminin du mouvement social. Et il s'est produit en ce pays, dans la seconde moitié du ' dix-neuvième siècle, une sorte de Risorgimenlo féminin, à la suite duquel la condition sociale de la femme a été changée de fond en comble. Ses victoires pacifiques se sont succédé d'année en année si rapidement que la situation légale de la Suédoise, très inférieure à celle de la Française en 1845, lui est aujourd'hui supérieure. La littérature ne pouvait rester étrangère à un fait de cette importance.-Presque toutes les femmes qui ont écrit en Suède depuis la seconde moitié du dix-neuvième siècle ont joué un rôle dans cette évolution féminine que la douce Fre- 14 INTRODUCTION drika Bremer commençait en 1845, et qui n'est pas achevée. Il nous faut bien caractériser en quelques mots cette évolution, et il ne suffit pas pour cela de remonter à son début. Le mouvement de la femme vers l'activité sociale a revêtu dans tes pays Scandinaves un caractère si exceptionnel de rapidité, de sûreté, a fait preuve d'une si irrésistible force, qu'il nous faut chercher dans le passé l'explication de ce phénomène. La femme suédoise a une histoire, et une histoire glorieuse. Son influence ne s'est pas exercée surtout, comme nous le voyons dans les races latines, de manière indirecte, par l'ascendant qu'elle savait prendre sur l'homme. Elle s'est exercée directement, au grand jour. Pendant dés siècles, la Suédoise a participé à tous les modes d'activité masculine, même à l'activité guerrière. Les plus antiques légendes et chants Scandinaves nous montrent la femme armée pour le combat (1). Et cela, non pas seulement dans dès circonstances exceptionnelles, pour se défendre ou défendre les siens! Sans doute, c'est pour sauver son frère, Messire Haakon, que Belle Signild tue de sa main les neuf chevaliers, ses adversaires; c'est pour éconduire un prétendant fâcheux que Fière Marguerite fend en deux (1)' Les vieux chants populaires Scandinaves, L. Pineau, Paris, 1898, INTRODUCTION 15 Messire Ivar du premier coup de son épée; c'est pour délivrer son fiancé prisonnier que Petite Christine envahit le Holstein à la tête de douze mille damoiselles en armas... Mais à côté de ces -héroïnes de circonstance, les chants et légendes nous montrent de nombreuses femmes faisant à côté de l'homme le métier de la guerre (1). Des femmes conduisaient lés redoutables barques deà Vikings avec leurs maris et leurs frères. Les Gesta Danorum montrent à la bataille de Braavalla, aussi bien du côté suédois que du côté danois, des bandes entières de jeunes filles, La Valkyrie guerrière célestes et la Skjoldmô, guerrière terrestre, hantent l'imagination populaire, et bien longtemps après cette époque légendaires l'a vierge armée reste un des types de pré dilection de la poésie Scandinave, Et les Conditions spéciales à la vie dû pays dé Suède font que, jusqu'à l'époque des guerres de Charles XII, le rôle de la femme reste singulièrement militant. La population suédoise est peu nombreuse: 5 millions d'habitants pour un territoire presque aussi vaste que celui de la France. Quand de lointaines expéditions entraînaient les hommes jeunes et robustes, force était bien de recourir aux bras féminins pour empêcher l'arrêt de la vie nationale. Les femmes avaient compris (1) Mars Hélys : A travers le féminisme suédois. Paris, 1905. 16 INTRODUCTION leur rôle et l'assumaient vaillamment. Elles labouraient, récoltaient, exploitaient les bois, trafiquaient des produits du sol ; et si un envahisseur survenait, elles savaient souvent, comme Anna Bielke au château de Calmar, comme Kristina Gyllenstierna à Stockholm, comme les femmes du Smaland, défendre la patrie par les armes. Jusqu'au siècle dernier, les filles de la noblesse trouvaient un javelot dans leur corbeille de mariage. Pourtant, depuis longtemps, elles ne guerroyaient plus; mais jusqu'au milieu du dix-huitième siècle leur activité sociale était considérable. Les vieilles lois Scandinaves les mettaient sur un pied de parfaite égalité. D'après un des plus anciens textes, la femme mariée « est maîtresse en son logis » et a les mêmes droits que son mari sur « les verrous, cadenas et clefs de la maison ». L'influence germanique était bien venue, dès le moyen âge, modifier ces textes dans le sens de la sujétion de la femme. Mais sur ce point les moeurs ne suivaient pas les lois, et l'égalité morale subsistait. La femme, d'ailleurs, achetait sa dignité au prix d'un fort rude labeur. La vie familiale, resserrée en des demeures lointaines au milieu d'immenses solitudes, lui imposait la nécessité de pourvoir aux besoins de petites tribus de vingt à cent personnes. Tout se fabriquait sur place : étoffes, vêtements, nourriture. L'adminis- INTRODUCTION 17 tration de tels domaines, avec des bois, des mines, des exploitations de charbon, était une lourde tâche, et la femme y travaillait aussi durement que le mari. Il arrivait fréquemment que la maîtresse de maison, -.directrice de ces laborieux phalanstères, déployant ces qualités administratives de premier ordre que la reine Marguerite Valdemar (1) a léguées à beaucoup de ses descendantes,- entrât au Conseil de la Commune et exerçât sur toute une région une puissante influence. La Commandante que Selma Lagerlöf nous peint dans Gösta Berling, représente ce type ancien de la matrone suédoise. Au dix-huitième siècle, tout change. Il se produit un mouvement analogue à celui qui, sous Louis XIV, amena les seigneurs féodaux à la cour de Versailles. Les familles nobles, ou simplement aisées, viennent vivre, à la ville, les domaines ruraux sont délaissés ; la fabrication mécanique des objets nécessaires à la vie décharge les femmes de bonne famille de la plus grande partie de leurs occupations. En même temps, l'influence française, que la visite de Voltaire à la cour de Suède allait établir pour quelques années sur le sol Scandinave, amène dans la vie féminine un complet bouleversement. Les anciennes Valkyries, (1) Margareta Valdemarsdotter, née en 1353, a réalisé la première union des trois pays Scandinaves par de traité de Calmar (1397) et a régné jusqu'à sa mort, on 1412. 2 18 INTRODUCTION les laborieuses Commandantes, laissant le fuseau après avoir laissé l'épée, prennent l'éventail et se costument en marquises. Pendant que les auteurs suédois s'escriment à faire de petits vers, des contes et des épîtres fort éloignés de leur génie national, elles revêtent le corps de baleines^ la poudre et les paniers, qui doivent gêner singulièrement leurs mouvements robustes. La littérature suédoise se libère assez vite de l'influence voltairienne, si lointaine, si inassimilable à son esprit. Dès le début du dix-neuvième siècle, le romantique Atterbom, puis le grand poète national néo-classique Tegnér rendent toute sa personnalité au génie suédois. Les pauvres Valkyries, elles, devaient garder plus longtemps leur affublement étranger. Des lois oppressives,- restées autrefois sans effet à cause de l'esprit général et des moeurs, pesaient maintenant lourdement sur elles. L'homme avait pris une certaine habitude de tyrannie, et il l'exerçait avec quelque brutalité dans ce pays où la galanterie est peu connue. La condition de la femme bourgeoise en Suède au début du dix-neuvième siècle était vraiment pitoyable, bien inférieure à celle de la femme française à la même époque. Et si l'on s'étonne de ce brusque revirement, que la visite de Voltaire ne suffit évidemment pas à expliquer, qu'on songe qu'il correspondait au profond changement d'habitudes que constituait INTRODUCTION 19 la vie dans les villes. Au lieu d'être la cheville ouvrière de la maison, la femme devenait une charge. Ses anciennes fonctions n'existaient plus, et on ne lui en confiait pas encore de nouvelles. On l'astreignit à de dures lois. Eh 1845, la jeune fille n'avait pas les mêmes droits que son frère à la succession paternelle ; si elle ne se mariait pas, elle restait toute sa vie mineure et en tutelle, ne pouvant administrer ses biens. Elle, recevait une éducation très restreinte, ne pouvant fréquenter aucun cours public. Sa situation dans la maison était humiliée, on la sacrifiait assez durement à son frère, seul capable d'être utile à la famille. Si on la mariait, c'était souvent contre son inclination, par une implacable décision des parents. Restait-elle vieille fille ? elle passait de la tutelle de Son père à celle d'un parent quelconque, on se la transmettait avec la maison de famille, où elle n'était guère qu'un meuble encombrant. Au point de vue légal, dira-t-on, cette situation était à peu près celle de la femme française sous l'ancien régime^ et cela n'empêchait pas cette dernière d'exercer une influence sociale, et de se faire une vie fort agréable. N'y a-t-il pas toujours, pour une femme, la ressource d'être belle, coquette et de soumettre les hommes malgré les lois? Mais l'arme redoutable de la coquetterie ne faisait pas partie de l'ancien arsenal des guerrières Scandinaves. Depuis des siècles la femme 20 INTRODUCTION latine, présidente de cours d'amour, capricieuse reine de beauté, s'entraînait à des combats subtils où l'homme n'est pas le plus fort. La Suédoise, plus franche et plus rude, n'entendait rien à un tel jeu, et le Suédois sans doute y eût été un mauvais partenaire. Ellen Key reproche parfois à ses compatriotes de manquer des qualités féminines françaises qui ont créé les salons du dix-huitième siècle, et elle semble avoir raison. On peut tenir ce reproche pour un éloge et préférer la simple loyauté des moeurs du Nord aux manèges de la coquetterie. Mais il faut reconnaître que, réduites pour toute arme à leurs moyens de séduction, les Suédoises, malgré leur beauté, étaient plus malheureuses que les Latines. Au bal, où la jeune Française se sentait reine, Hertha (l'héroïne du premier roman féministe de Fredrika Bremer) se sent humiliée et malheureuse, exposée comme en un marché au bon plaisir ironique de l'acheteur éventuel. Elle souffre dans sa dignité, dans son antique instinct d'indépendance. Elle souffre de la forte activité qui en elle reste sans emploi. De cela surtout ! Les premiers romans qui, à la fois en Suède et en Norvège, expriment les plaintes de la femme et revendiquent ses droits, réclament avant tout pour elle le droit de travailler, de se rendre utile. Il y a là un caractère si spécial à l'esprit Scandinave en général, et à l'état INTRODUCTION 21 social de la Suède actuelle, qu’il il faut y insister particulièrement. La vie est laborieuse en pays Scandinave. La terre contient des richesses, mais dans cet âpre climat il faut les lui arracher durement. La principale fortune du pays, l'exploitation des forêts du Nord, exige des peines terribles. Les ouvriers chargés du flottage du bois travaillent de longues heures jilongés jusqu'à la ceinture dans l'eau qui charrie des glaçons. L'extraction du fer, dans des mines à ciel ouvert, se fait par des températures de 40 degrés au-dessous de zéro. Le court été se passe dans une fièvre pour terminer certains travaux que l'hiver interrompra. Dans la vie domestique, les habitudes de propreté rigoureuse, d'ordre et de stricte économie dans les maisons, sont de tradition immémoriale, et exigent un sérieux travail. Dans l'antique Kalevala, dont les chants ont été composés du neuvième au quatorzième siècle, la description des chambres de bain, des nettoyages minutieux qu'elles nécessitent, des lavages de la maison depuis le plancher jusqu'aux poutres du plafond « qu'il faut débarrasser des moindres traces de fumée », montre quelle a été de tous temps la saine activité des races Scandinaves. La flânerie 22 INTRODUCTION et la nonchalance sont inconnues en de tels pays ; la religion et les moeurs sont austères, les plaisirs mondains presque nuls. Le travail est bien le seul intérêt, en même temps que la dignité de la vie. Et le travail personnel de la femme qui, avant le dix-huitième siècle, était, nous l'avons montré, une nécessité nationale, redevenait en Suède, au dix-neuvième siècle, une inéluctable nécessité économique. Le chiffre des naissances féminines dépasse de beaucoup là-bas celui des naissances masculines. Au temps où les familles nombreuses vivaient en phalanstère dans des propriétés rurales, les soeurs, les tantes, les nièces, trouvaient dans la laborieuse maison, où tout était fait par leurs mains, l'emploi de leur activité. Mais, venues à la ville et y vivant petitement, comment des familles appauvries pourraient-elles nourrir tant de bouches inutiles ? Comment l'homme, qui ne peut se charger d'elles, empêcherait-il les femmes de pourvoir à leur existence ? Créer à ces isolées des difficultés supplémentaires dans la lutte pour la vie serait d'une si visible injustice qu'on n'y a pas songé longtemps. Le mouvement féminin a rencontré un minimum de résistance ; beaucoup d'hommes l'ont tout de suite généreusement appuyé. Ils ont accepté de bonne grâce la concurrence féminine dans presque toutes les branches de leur activité. INTRODUCTION 23 Et cela leur semblait moins difficile qu'aux Latins. Ils n'éprouvaient pas cette gêne, ce sentiment du ridicule qu'éprouve le Français quand il voit à côté de lui une femme faire besogne d'homme. Il retrouvait dans cette camaraderie une habitude ancestrale, et la Suédoise la rétablissait avec facilité. Alerte et vigoureuse, voyageant à pied dans la montagne, portant au dos le petit sac dont elle ne permettrait pas à ses compagnons de la décharger, elle voulait être traitée, « non pas comme une femme, mais comme un être humain. » Et elle l'obtenait sans peine, et jamais l'inégalité dont elle a souffert pendant un siècle ne se fut établie si la Suède eût été sans communication avec les pays voisins. C'est, la loi germanique, les moeurs françaises, qui étaient venues altérer l'idéal primitif des races Scandinaves, qui étaient venues (pour un temps) désarmer la guerrière et la faire captive de son compagnon. Il y avait là une invasion morale que la femme suédoise a vaillamment repoussée, comme elle avait repoussé jadis les invasions guerrières. Il faut dire aussi (car cela est une des grandes raisons de son succès) que le féminisme en Suède ne présentait pas les caractères qui, en 24 INTRODUCTION divers pays latins, ont excité contre lui de vives résistances. Souvent, les premières revendications féminines ont porté sur la liberté de l'amour. Les romans de jeunesse de George Sand, paraissant presque en même temps que la Hertha de Fredrika Bremer, étaient des plaidoyers ardents pour les droits de la passion. Les Scandinaves s'en indignèrent. Camilla Collett (1) condamne sévèrement ces livres immoraux et révolutionnaires. .. Sans doute, en 1845, la Suédoise réclamait le droit de se marier à son gré. Elle prétendait ne. pas être, comme cela lui arrivait souvent, souffletée et enfermée par son p'ère quand elle n'était pas d'accord avec lui sur le choix d'un prétendant. Mais sa révolte venait de sa dignité blessée, de son sens de la justice, encore plus que de son amour malheureux. La Suédoise voulait aussi le divorce, ne pouvant consentir à lier pour jamais (l) Garnilla Collett, femme de lettres norvégienne, dont le rôle a été, en Norvège, à ipeu près semblable à celui de Fredrika Bremer en Suède. (Née en 1813, morte en 1895. OEuvres principales : Les Filles du Préfet, Du Camp des Muettes.) « Les romans- de Mme Dudevant sont effrayants, écrit Camilla -Collett dans Les Filles du Préfet ; il faut les lire avec cet intérêt plein d'effroi -avec lequel on observe les violents bouleversements de la nature qui répandent .la terreur et la dévastation... Tout cela ne convient pas à nos conditions, nous et la société française sommes aux deux extrêmes... » INTRODUCTION 25 sa volonté. Mais là aussi, c'est le sentiment de la fierté, de la liberté humaine qui la guidait bien plus que des considérations sentimentales. Les féministes ne réclamaient pas et ne montraient pas plus de liberté de moeurs que les autres femmes. Au début, au contraire, leur petit groupe, composé presque entièrement de célibataires, était, nous le verrons, de tendance ascétique. Puis, en divers pays, la femme a dirigé - du premier coup ses revendications vers le suffrage politique, et cela lui a créé de particulières difficultés. Elle l'a fait en des pays où, jusqu'alors son rôle était presque nul dans l'activité Sociale, et où cette demande subite pouvait paraître prématurée. La Suédoise, au contraire, admise depuis longtemps dans les Conseils municipaux, cantonaux, paroissiaux, s'occupe d'administration, .d'assistance et d'éducation avec beaucoup de dévouement et d'esprit pratique. Sans doute, elle veut le suffrage, complément logique à l'égalité qu'elle réclame ; mais dans les pays Scandinaves (Norvège, Finlande) où elle l'a obtenu, elle ne s'occupe guère que de lois, sociales : protection de l'enfant et de la femme, hygiène, antialcoolisme. En Suède, où. quatre voix seulement, en 1906, au Riksdag, lui ont refusé le vote politique, elle ne semble pas trop violemment acharnée à sa conquête. Elle élargit avec patience son domaine dans la famille et dans l'administration, 26 INTRODUCTION elle semble encore plus soucieuse d'activité sociale que de pouvoir politique (1). Enfin la féministe des pays latins est presque toujours libre penseuse et d'opinions avancées. Cela lui constitue d'emblée une opposition solidement groupée. Certaines féministes suédoises sont auss.i des esprits d'extrême, gauche, niais d'autres peuvent être d'esprit religieux et conservateur. C'était le cas pour les initiatrices du mouvement et pour un grand npmbr.e de leurs.' défenseurs. Uertha comptait parmi ses premiers partisans le pasteur de sa petite ville. En somme, si les questions d'amour libre, de politique et de religion ont pq venir se mêler aux polémiques soulevées en Suède par la question féminine, elles n'en font du moins pas partie intégrante. Dans son essence, le mouvement féminin suédois est d'ordre économique et moral. La femme veut gagner sa vie et obtenir spn indépendance. Elle veut user de spn activité, sentir qu'elle joue un rôle utile. Et l'ensemble de la vie nationale ne peut que bénéficier de cette"activité. Toutes ces isolées, que des circonstances douloureuses privent de foyer et de maternité, ont pu, suivant le généreux conseil d'Ellen Key, remplir le vide de leur coeur (1) L'obtention du vote politique- paur les Suédoises est, depuis l'avènement du ministère libéral actuel, assurée et imminente. INTRODUCTION 27 par un large amour pour la souffrance, pour l'enfance, pour la pauvreté. Les oeuvres d'apprentissage, d'assistance et d'hygiène publique, pour lesquelles la .Suède est à l'heure qu'il est au premier rang des nations d'Europe, ont reçu de l'effort des femmes la plus vigoureuse impulsion. On conçoit qu'un tel mouvement ne rencontre pas d'ardents adversaires. D'ailleurs, nous l'avons dit, en demandant à appliquer ses forces au service de tous, la Suédoise ne cherchait qu'à reconstituer dans le monde moderne l'équivalent du rôle qu'elle jouait dans le monde ancien. Elle devait y réussir sans peine : parce que c'était le retour à une tradition, parce que c'était conforme à l'esprit de la race, parce que la baguette flexible, un instant inclinée vers le sol, se redresse d'un seul coup dans sa direction primitive. Mais, dira-t-on, la littérature féminine suédoise ne va-t-elle nous offrir que des écrits de circonstance : revendications politiques ou sociales ? Ce serait, au point de vue de l'art, un médiocre bagage ! Bien loin de là. Nulle part, la littérature d'imagination : romans, contes, poésies, n'a plus d'éclat et plus d'attrait que dans les littératures 28 INTRODUCTION Scandinaves. Les Sagas, anciennes ou modernes, ont pour caractère principal l'abondance de l'invention et de la fantaisie. Les femmes que nous' étudierons (dont il nous faut connaître les tendances pour les bien situer dans le mouvement de leur temps) ont apporté leur large tribut à ce trésor de contes merveilleux dont les grands et les petits ont besoin là-bas pour bercer leurs rêves. A l'exception d'Ellen Key, qui a écrit surtout des livres de théorie sociale, pleins de fougue et d'une haute valeur, toutes les autres sont romancières, poètes, auteurs dramatiques. Encore Ellen Key a-t-elle, en dehors de son oeuvre sociale, produit une oeuvre de critique abondante et variée qui la classe au premier rang des essayistes contemporains. Ces femmes de lettres sont donc restées littéraires ; le souci de l'action sociale n'a pas, en elles, étouffé l'imagination. Et même il en est une (celle à qui le sentiment populaire a décerné, dans son pays, la plus haute récompense) qui ne s'est pas mêlée au mouvement social ; qui, Vivant parmi les paysans dans une campagne lointaine, n'a écouté que les voix de la nature, n'a été inspirée que par les sentiments, les instincts profonds et immuables de sa race. A celle-là, nous ferons une place à part. Il le faut bien, car on ne saurait où la classer dans le mouvement des esprits actuels. Selma Lagerlöf n'est pas plus INTRODUCTION 29 contemporaine de Strindberg que de Tegnér ; elle est aussi bien contemporaine des antiques chanteurs de la Saga de Thidrick. Elle ne voit pas les vêtements variés dont les modes changeantes ont revêtu de siècle en siècle la pensée suédoise. Elle communie avec elle dans ce qu'elle a d'éternel : sa religiosité profonde, son amour de la nature, son intense faculté de rêve et de féerie. Quand nous aurons suivi le mouvement littéraire et social qui; de 1845 à nos jours, a suscité des talents féminins nombreux et variés, nous reviendrons nous asseoir aux pieds de Selma Lagerlöf, et la prierons de nous conter quelques-uns de ces beaux contes qui, pendant les hivers obscurs, peuplent les plaines de neige de personnages merveilleux. CHAPITRE PREMIER De 1845 à 1880 De Sainte-Brigittev à Fredrika Bremer. -— Enfance de Fredrika au château d’Arsta. — Les , Voisins. — Hertha. — Les voyages et les oeuvres de Mamsell Fredrika. — Baronne von Knorring. — Emilie Flygare Carlén. L'activité littéraire de la femme suédoise s'était manifestée bien avant le dix-neuvième siècle, et elle avait eu à diverses reprises des représentants remarquables. . ' La fondatrice et la patronne de cette littérature féminine est une sainte, particulièrement vénérée des Suédois : sainte Brigitte. Elle écrit au quatorzième siècle, de très nombreux volumes de Révélations, qui passent pour de beaux documents de littérature mystique. Deux siècles plus tard (1626-1689), la reine Christine, fille de Gustave-Adolphe, vient représenter son pays dans le grand mouvement de 32 FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI la Renaissance. On connaît cette originale figure tragiquement célèbre par l'assassinat de Monaldeschi. Abandonnant la couronne, abandonnant aussi la religion réformée pour laquelle son père avait versé son sang, Christine', à vingt-huit ans, vient s'établir à Rome et se fait catholique. Formée par la culture encyclopédique de cette brillante époque, savante latiniste, artiste et astronome, réunissant autour d'elle un cercle d'hommes, célèbres, elle fonde VAcademia- Reale. Elle écrit des recueils d’aphorismes, une autobiographie, et, surtout, des Lettres très appréciées. Mais, quel que puisse être le mérite de ces ouvrages, le souvenir en reste moins vivant dans la mémoire suédoise que celui de la vie peu édifiante menée par leur auteur. Chaque soir, aujourd'hui encore, dans la ville d’Upsal, .une cloche qui: porté le nom de la reine Christine, tinte à huit heures précises pour obtenir du ciel le salut de la pécheresse. Dans la jolie et traditionnelle cité, cet usage continuera sans aucun doute: pendant les siècles à venir. Et ainsi, peu de gens de lettres auront fait aussi longuement que Christine retentir leur nom à travers les âges ! Après la mort dé la reine, pendant une période prolongée;- nous ne trouvons point de femme écrivain. On ne peut mentionner que Sophie-Elisabeth Brenner, poète fâcheusement prosaïque, et moraliste jusqu'à l'excès. FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI 35 Mais voici, en 1720, Mme Nordenflycht, une lyrique « dont la poésie est faite de feu et de larmes ». Amoureuse passionnée, sa plus belle pièce de vers lui est inspirée, au seuil de la vieillesse, par l'abandon de son amant. Elle est surnommée « la bergère du Nord ». La reine Louise Ulrique, soeur de Frédéric le Grand, protectrice des lettres, imite visiblement, dans ses productions personnelles, la glorieuse Nordenflycht. En 1755 apparaît Mme Lenngren. La Suède est en pleine période d'influence française, et, pour ses débuts, la jeune femme traduit en suédois Zémire et Azor, de Marmontel, et les comédies de Favart ! — Mais elle produit ensuite une oeuvre personnelle abondante, en vers charmants, spirituels et clairs^ qui demeurent aujourd'hui encore dans la mémoire des Suédois lettrés. Elle meurt en 1817, et la littérature féminine subit une éclipse. Les circonstances sociales que nous avons retracées lui sont peu favorables. Il n'y a plus de femmes poètes, et le genre si féminin du roman n'est pas encore né. La bourgeoisie suédoise n'a pas trouvé son peintre. On ne lit en Suède, dans la première moitié du dix-neuvième siècle, que des romans étrangers. Fredrika Bremer vient donc créer dans son pays un genre littéraire. Au point de vue du talent, elle sera bien vite dépassée, mais elle laisse 36 FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI dans son oeuvre imparfaite l'empreinte d'une âme élevée et enthousiaste, d'une forte personnalité. I Elle était menue et frêle, avec de très petites mains, de grands yeux tout pleins de bonté, le nez dominateur, la bouche volontaire. Sa figure a été cent fois reproduite en bustes, en portraits, en gravures populaires ; car elle a connu, non seulement dans les pays Scandinaves, mais en Suisse, en Angleterre, en Allemagne, en Amérique, une heure de brillante notoriété. On la nommait, on la nomme encore Mamsell Fredrika. D'où vient cette appellation singulière ? Au siècle dernier, en Suède, les filles de la bourgeoisie n'avaient pas droit au titre de Frôken (mademoiselle), réservé aux filles nobles. Elles portaient un nom étrange, mot de français corrompu, on les appelait Mamsell. De très nombreuses femmes, en pays Scandinave, ne peuvent espérer le mariage, et le titre dérisoire de « vieille Mamsell » les avait fait souvent pleurer. Fredrika Bremer réhabilita ce nom de moquerie. Elle le porta bravement, le promena, avec sa célébrité, à travers le monde : Mamsell Fredrika, dit-on en parlant d'elle avec une familiarité respectueuse et souriante. Et maintenant que, depuis quelques FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI 37 années, ce nom a disparu des usages suédois, on le lui donne toujours, en souvenir de l'état de choses qu'elle a contribué à abolir. A-t-elle vraiment exercé une influence personnelle sur le changement qui s'est produit en Suède au cours du dix-neuvième siècle, dans la condition de la femme ? La légende le veut. Selma Lageiiôf, habile à fixer les légendes, a peint dans -un conte charmant la vieille demoiselle, libératrice de ses soeurs. Les historiens discutent. Ils démentent le joli fait, fréquemment affirmé, d'une visite personnelle faite au roi Oscar par Fredrika : visite au cours de laquelle la romancière aurait obtenu du souverain le droit à la majorité des filles suédoises. Certains critiques veulent même contester à Fredrika son titre d'initiatrice : « Il y avait, disent-ils, une tendance générale, manifestée par les journaux du temps. Sans elle, les femmes eussent fort bien obtenu des réformes. » Cela se peut. Un individu ne détermine pas à soi seul une évolution. Mais la légende est toujours plus véridique que l'histoire; et si l'imagination nationale a vu obstinément en Fredrika l'initiatrice, c'est que le mouvement, à son début du moins, était bien personnifié, symbolisé par elle. 38 FEMMES ÉCRIVAINS D’AUJOURD'HUI Il faut la voir, dans la robe blanche romantique de son héroïne Hertha, les yeux levés au ciel, préoccupée surtout du royaume de Dieu, mais observant d'un oeil très clair les choses de la terre. Il faut la voir, voyageuse inlassable, parcourant l'ancien et le nouveau monde pour y étudier, avec un grand sens d'organisation, les institutions féminines, et rapporter les meilleures à son pays natal. Il faut la voir, théologienne passionnée « disputeuse comme un vieux moine scolastique » si acharnée à la controverse qu'elle ne put, paraît-il, se tenir de discuter avec Pie IX quand elle se trouva en sa présence. Pratique et laborieuse ayant créé autant d'oeuvrés qu'elle a écrit de romans ; ascétique et sentimentale, convaincue que la virginité est un état supérieur, et gardant une mystique fidélité à un chevalier de rêve. Quand on l'a bien comprise, on comprend tout un groupe qu'elle a entraîné avec elle, qui a préparé les voies aux femmes d'aujourd'hui, parfois trop dédaigneuses de ces pionnières. Il faut jeter un coup d'oeil sur la vie de Fredrika Bremer parce que, voisine et lointaine, elle nous montre le chemin parcouru; puis parce qu'il est curieux pour nous d'entrer dans ce vieux château d'Arsta, perdu si loin dans les neiges, où Fredrika enfant vivait et rêvait, « brodant éternellement sur une ruche grise. » FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI 39 II Elle naquit en 1801. A ce moment la Suède venait de vivre, sous le règne du charmant Gustave III, des années qui devaient lui laisser l'impression d'un rêve de délices. Ce monarque libéral, cher aux philosophes français, élevé par sa mère Louise Ulrique, soeur de Frédéric le Grand, dans le culte de Voltaire et dé Montesquieu, avait entouré ses sujets éblouis du luxe des palais « rococo », du reflet des mondanités françaises. Notre littérature, notre langue régnaient. « Il y eut un rayonnement, écrit Tegnér, sur cette époque de Gustav ; une brillante fantaisie, étrangère et mondaine si vous voulez... mais il y avait du soleil là-dedans ! » Seulement, ces années délicieuses allaient être expiées par de longs repentirs. Aux yeux de luthériens sévères, l'ère gustavienne devait ressembler quelque peu au séjour de Tannhauser dans le palais du Venusberg. Une dure réaction d'austérité lui succéda: et c'est pendant cette période que la petite Fredrika fut élevée, sous la férule d'un père despote, dans le triste château d'Arsta. Une étiquette d'ancien régime régnait sur la maison. Le matin, les huit enfants entraient cérémonieusement dans la chambre du père, qu'ils 40 FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI trouvaient en train de poudrer ses cheveux. Rangés sur deux files, ils lui souhaitaient un bonjour solennel. Puis, de toute la journée, on ne voyait presque plus le chef de famille... et l'on souhaitait qu'il en fût ainsi, car son caractère était redoutable. On faisait de longs et coûteux voyages en berline à travers toute l'Europe « pour l'instruction des enfants ». Mais l'humeur du père faisait de ces voyages un supplice : « Dussé-je y acquérir le génie de Tegnér, écrit Fredrika, je ne consentirais pas à les recommencer. » ...'" Terribles pères ! presque tous ceux qui défileront sous nos yeux dans les romans de Fredrika et dans un grand nombre de romans de l'époque, seront taillés sur le même patron : tyrans sans pitié, bourreaux de leur famille, auprès desquels les « pères barbares » de notre ancien répertoire paraissent de bien bons garçons. Les bourgeois suédois qui faisaient souche de famille dans la première moitié du dix-neuvième siècle, avaient-ils donc tous des âmes de tigre? C'est peu probable. Mais dans ce pays de scrupuleuse conscience, où les lois civiles et religieuses sont exécutées à la lettre, sans concession, sans esprit de conciliation, une mauvaise loi doit produire son maximum de mauvais effets. .. La restauration de l'autorité paternelle, la FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI 41 claustration des femmes (qui avaient trop dansé, sans doute, sous le règne de Gustave III) devait paraître une nécessité salutaire. C'était par esprit de devoir que les pères suédois enfermaient alors leurs filles. « Pour être prisonnière sans avoir été condamnée à la prison, écrit Fredrika, il faut être femme !» Et que faire dans ces prisons ? On avait arraché les Suédoises, nobles et bourgeoises, aux travaux importants qui, dans les domaines ruraux, leur conférait une utilité et une royauté, pour les mener participer aux fêtes de la ville. Les lustres étaient éteints, la fête terminée. Enfermées dans leurs appartements, elles s'étiolaient, inutiles et dédaignées. A Stockholm, Fredrika ne sortait jamais, et, quand sa mère la voyait trop souffrir du manque d'exercice, elle lui ordonnait « de sauter à pieds joints derrière une chaise ». Et cette claustration n'était rien à côté de l'oppression morale qu'elle subissait, qu'elle voyait subir à ses compagnes. Eternellement, mineures, elles ne disposeraient jamais de leurs personnes ni de leurs biens; on leur refusait le mari de leur choix, sans les consulter on les jetait à un autre. Etaient-elles riches? on convoitait leur fortune qu'elles ne pourraient jamais posséder ni défendre, et pour la conserver parfois on empê- 42 FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI chait leur mariage. Etaient-elles pauvres? Ayant reçu l'instruction la plus nulle-, ne pouvant pas et ne devant pas gagner leur vie, elles étaient à la charge de parents qui leur faisaient durement sentir leur infériorité. Fredrika rêvait à tout cela dans son adolescence douloureuse, entre son père dur, sa mère faible et froide. Enfant laide, de caractère fier et violent, elle avait été particulièrement maltraitée, avait grandi dans la souffrance. Dans son roman, intitulé Le,Foyer, elle se peint sous les traits de la petite Petrea, disgracieuse et rudoyée; nous la voyons, à l'église, entre ses redoutables parents, tremblante. sôus la parole du pasteur qui, par surcroît, menace de la colère de Dieu. Terreurs folles, douleur, ennui exaspéré jusqu'à la rage. Fredrika avait pourtant travaillé de son mieux, son intelligence avait été remarquée ; elle s'était même essayée de bonne heure à la littérature, et sa première production avait été une Ballade à la lune, écrite en français! Mais elle avait vite remarqué que ses parents ne 'Souhaitaient tirer de ses talents qu'un amusement vaniteux, et elle s'était dégoûtée de cela comme de tout. « Je brodais éternellement, dit-elle, sur une ruche grise. J'avais toujours froid, le sentiment de moisir. La vie des femmes, la mienne, me paraissait épouvantable, je priais avec une sorte de FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI 43 fureur d'être délivrée de mon sort, je me demandais avec désespoir pourquoi tant de souffrance, je doutais de tout. » Les rêveries sentimentales des jeunes filles ne l'avaient pas longtemps troublée. Elle avait été trop malheureuse, dit-elle. A l'âge où on entre dans la vie avec de grands espoirs personnels, elle était arrivée à ce point de douleur où on renonce à soi-même. Elle voulait vivre pour autrui, soulager d'autres souffrances. Elle songea à adopter cette carrière de garde-malade, qui attire aujourd'hui en Suède une foule de jeunes filles de bonne famille, dont l'exercice remplace, en pays protestant, la prise de voile. Son père s'opposa, bien entendu, à cette résolution. Elle dut se contenter de charités privées, et le manque d'argent, bien vite, l'arrêta. Elle eut alors l'idée d'écrire, espérant, par de modestes gains, créer un petit budget à ses oeuvres. En 1827, elle publia les Esquisses de la vie journalière sous un pseudonyme, en se cachant soigneusement de tous les siens. Le succès vint du premier coup. Un second volume parut en 1828, et réussit très brillamment. Nous l'avons dit, Fredrika créait un genre littéraire: le roman de moeurs de la bourgeoisie suédoise, qui n'existait pas à ce moment. La Famille H..., en 1830, obtint le plus rtf 44 FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI succès, et, dès lors, la production littéraire de Fredrika devint incessante, inépuisable. Toutes ses évolutions intellectuelles, sentimentales, toutes ses relations nouvelles, tous ses voyages donnèrent naissance à un, à deux, à dix romans. Et ces livres innombrables produisirent d'innombrables éditions, et on les traduisit en anglais, en allemand, quelques-uns même en français; et des milliers de familles, en Europe et en Amérique, lurent tout haut, le soir, sous la lampe, ces volumes, qui se demandent parfois, aujourd'hui encore, dans les bibliothèques publiques des pays protestants. Y a-t-il là-dedans du talent littéraire ? En peut-on retenir quelque chose ? Bien peu. Il y a cependant des idées, des traits de caractère, de l'émotion et même de l'esprit; mais tout cela si délayé, si noyé qu'on est pris de découragement. De ce Ilot cependant, deux ouvrages émergent: Les Voisins, dont on peut lire deux cents pages avec un véritable agrément, où un type tout à fait original, bien national, est vigoureusement tracé. Puis la célèbre Hertha, qui fut un petit événement historique, qui marque le point culminant de la carrière de Fredrika. FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI 45 III Hertha ne parut qu'en 1856. L'auteur avait, pendant la longue période qui s'était écoulée depuis son premier ouvrage, vécu une vie active, mouvementée, bien différente de celle qu'elle redoutait pendant sa triste enfance. Entièrement libérée par le succès étourdissant de ses romans, puis (en 1837), par la mort du terrible père, elle avait voyagé, fondé des oeuvres nombreuses, donné cours à son activité robuste et variée. Au début de sa carrière littéraire, en 1831, elle avait, rencontré Bocklin, savant théologien, qui avait eu sur elle une durable influence. Depuis sa jeunesse, Fredrika était troublée d'inquiétudes religieuses. La foi était en elle très ardente, mais la raison exigeante: et comment concilier les souffrances des hommes, qui la tourmentaient si fort, avec la bonté de Dieu? Bocklin, strictement orthodoxe, résolvait ces problèmes avec une parfaite aisance et offrait à Fredrika ses solutions. Mais elle n'était pas satisfaite et ne le fut jamais. L'interminable controverse qu'elle soutint contre tous était au fond une controverse contre elle-même. A mille lieues des libres penseurs, elle ne s'entendait pas avec les orthodoxes; il fallait qu'elle se fît, comme tant 46 FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI de protestants « une petite Eglise bien à elle ». Pendant toute sa jeunesse, ce fut son grand souci. Elle échangea avec Bocklin une volumineuse correspondance dont la baronne Sophie d'Adlersparre, dans sa biographie de Fredrika, publie de longs extraits. Après quatre ans de lettres théologiques, Bocklin demanda sa. correspondante en mariage. Elle refusa. Bocklin resta pourtant la grande amitié de sa vie, mais elle ne se sentait pas faite pour le mariage. Comme dit Mortensen, elle était née vestale. D'ailleurs, sur le terrain religieux même, elle devait s'éloigner de plus en plus des idées de Bocklin. Son ardeur mystique fut toujours passionnée, lui inspira ses pages les plus émouvantes, mais l'orthodoxie n'était pas son fait : « Mon Eglise, écrit-elle plus tard, quand ses idées personnelles se sont dégagées, est celle ou prient ensemble Fénelon et Channing, François de Sales, Hildebrand et Luther, Washington et Vinet, sainte Brigitte et Florence Nightingale... Socrate, Spinoza, Bouddha, Lao-Tseu... Que des vastes allées de ce temple, personne ne soit exclu de ceux qui ont souffert, de ceux qui ont aimé. Toute autre Eglise est trop étroite pour moi, et ne correspond pas à mon idée du protestantisme. » Cette Eglise, à coup sûr, n'était pas celle de Bocklin. FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI 47 Au point de vue littéraire, le refus qu'essuya le théologien n'est pas à regretter. Les livres que Fredrika écrivit sous son influence étaient si surchargés de philosophie religieuse qu'ils parurent pesants aux plus dévots lecteurs. En 1835, Fredrika noua une relation qui exerça, au contraire, la plus heureuse influence sur sa vie littéraire. Stina Sommerhielm l'emmena en Norvège dans son château de Tomb. Femme vigoureuse et pratique, bien « dans la vie », elle ramena son amie sur la terre, et lui fit exercer des facultés d'observation qui existaient en elle à un très haut degré, Les Voisins (1) écrits pendant ce séj our en Norvège, seraient un très bon roman, s'ils comportaient un volume au lieu de deux. Les personnages ont de la vie et de la couleur, l'arrivée des jeunes mariés dans le château de ma chère mère est un petit tableau qui reste dans l'esprit. « C'était un dimanche, et on entendait dans la « maison les sons animés d'un violon... Mon mari <( me fit monter un escalier conduisant à un beau « vestibule, et il ouvrit la porte de la salle. Je vis Mais Fredrika Bremer en avait tracé une vigoureuse ébaUche, et si elle n'avait faussé tout l'ouvrage par l'absurde aventure de Bruno, fils de ma chère mère, et frère surtout des . héros romantiques les plus échevelés, elle eût fait une oeuvre de grande valeur. Elle a fait seulement une oeuvre fragmentaire, qui a son intérêt comme document. D'ailleurs, comment faire des chefs-d'oeuvre au milieu d'une vie si agitée ? Fredrika fondait FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI 5l dés asiles, des orphelinats; commençait ses voyages à travers le monde: elle avait déjà visité le Danemark, l'Allèïnâgniéj l'Amérique du Nord qui devait lui inspirer lés Foyers du Nouveau Monde, et chaque année, elle publiait des romans nouveaux. Les Esquisses de la vie journalière ont huit volumes. Ils valurent à leur auteur en 1844, la grande médaille d'or de l'Académie de Stoekholmi Eh 1848, un ouvrage qui sembla hardi, Vie de frères et sdëilrs, commença à agiter l'opinion. Fredrika avait fait la connaissance de miss Franches Lëwiri, amie de Stùart Millj et celle-ci, la détournant de se faire gàrdë^maladë (ancien projet auquel Fredrika songeait à revenir), lui conseillait de combattre par la plume pour l'amélioration du sort de la femme suédoise. La romancière revécut alors les souvenirs de sa jeunesse. Un léger mouvement se faisait bien sentir pour la. libération de la femme, mais qu'il était faible et lent ! Sans doute, en 1845, on avait admis les soeurs à l'égalité du partage successoral avec leurs frères : Mais, à quoi serviraient des biens dont, éternelles mineures, elles lie jouiraient jamais ? Et pour les filles pauvres, quel lamentable soft! Fredrika vit sans doute passer devant ses yeux la triste théorie des ce vieilles tantes » inutiles et méprisées, mangeant le pain de la charité ; 52 FEMMES ÉCRIVAINS D AUJOURD'HUI ee Grises silhouettes courbées, aux cols ronds, aux mantilles fanées, chapeaux défraîchis, robes retournées, figures ridées aux bouches enfoncées, mains ratatinées dont aucune ne porte l'anneau de mariage... » (1). Et elles lui dirent sans doute, comme dans le conte de Selma Lagerlof : ce Nous sommes seules sur la terre, laissées en ee dehors du banquet de la vie, servantes de tous ce à qui personne ne dit merci, entourées d'indifee férence ou de mépris... Notre nom même est une ee risée !... » Fredrika songea à tant de misères ignorées, aux jeunes filles qu'un si triste avenir attendait, et dans un élan d'émotion généreuse elle écrivit Hertha (1). IV Ce roman causa, paraît-il, une sensation si vive que son auteur dut s'éloigner quelque temps pour laisser le calme revenir. Etait-ce donc une oeuvre révolutionnaire ? Il faut le croire. Les livres qui font des révolutions (1) Mamsell Fredrika. Unsichtbare Bande. Selma Lagerlof. Munich, 1905. (1) Hertha où l'Histoire d'une âme, traduit en français en i8o6. FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI 53 sont généralement sentimentaux et emphatiques : il est certain, du moins, que Hertha obéissait à cette tradition. Elle fait penser, à ce point de vue, aux premiers romans de George Sand, qui paraissaient à la même époque, et qui ne lui sont nullement supérieurs. Seulement George Sand devait progresser dans la suite. Par exemple, si on peut noter quelque ressemblance de forme entre Hertha et sa contemporaine Indiana, quelle différence quant au .fond ! Pour défendre la cause féminine, Hertha (et c'est là son originalité) ne dément pas sa foi, ses tendances mystiques. Au contraire! elle se lève, bras au ciel, inspirée, demandant ce Justice pour la femme, au nom du Christ, mort également pour le frère et la soeur ! ». Et ce n'est pas le droit à l'amour qu'elle revendique : c'est la liberté pour l'activité, pour le dévoûment. Elle veut bien servir le foyer, ce mais elle veut servir des milliers de foyers », raconter des histoires à des enfants ee mais à des milliers d'enfants ! ». Et le livre qui exprime naïvement cette soif d'action dévouée est encore presque lisible, malgré sa phraséologie d'un autre âge, tant il est sincère et touchant. c< Hélas ! s'écrie Hertha, sais-tu que nous serons ce bientôt vieilles ? J'ai vingt-neuf ans sonnés : ce pourquoi avons-nous vécu jusqu'à ce jour ? Si 54 FEMMES ÉCRIVAINS p'AUJOURD'HUI < ce nous avions pu apprendre quelque chose sérjeueç sèment, exercer nos facultés, je ne me plainr ce drais pas. N'est-ce pas extraordinaire qu'on ee donne, aux jeunes gens tous les moyens de se ee développer suivant leurs aptitudes et qu'on ce n'agisse pas ainsi avec les femmes ? J'aurais ee été bien heureuse si j'avais pu étudier ce que ee les jeunes gens étudient dans les Universités, ce me frayer par mes propres efforts un chemin ce dans la vie. Qu'ils sont heureux ceux qui peuee vent s'appliquer aux arts et aux sciences et ee communiquer aux autres le bien qu'ils ont ce trouvé !,.. Et nous n'avons rien d'autre à faire ce que de nous demander chaque jour :que mariée gerons-nous, que boirons-nous ? quelle rpbe ee mettrons-nous ?... Oh ! Aima, np somme.s-npus ce venues au monde pour rien autre chose? Et ce pourtant, eu nous aussi que de dons divers ! ee Quelle intelligente et vive ménagère que notre « Marthe, et, au eoiïliraire, combien Marie est ce réfléchie, pensive, charmée par l'étude ! Moi ce je serais peut-être devenue une créature utile-,. ee J'aurais voulu travailler, vivre, mourir pour mes ee semblables !.,, Il fut un temps où j'ai désiré ce surtout la carrière d'artiste, mais cette carrière ce même me semble maintenant trpp étroite, si ce elle ne tend pas à un but plus élevé. Le mariage ee est pour -moi une chose indifférente, malheu« reuse même, si elle n'amène un plus grand FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI 55 ee développement de l'âme au service de la lumière ee et de la vérité. Ce que je cherche, ce que je ce désire, c'est une sphère d'action où je vive ce pleinement; non seulement pour moi, mais pour' ce les autres, pour mon pays, pour l'humanité, ce pour Dieu !.... ce ... Je rêve d'aller à Stockholm et de parler ce iau Rpi. « — Au Rpi, Hertha! u — Oui, au Roi. On dit que le roi Oscar est ee noble et bon. ee Sire, lui dirai-je, je suis venue e< vous implorer pour mpi et mes semblables qui ce souffrent comme moi. On nous tient comme des ee enfants dans l'ignprance de nos droits et aussi ce de nos devoirs, on nous retient mineures pour ee que nous n'arrivions jamais à la maturité de ce notre raison... Et pourtant Dieu nous a faites ce libres ! En d'autres pays chrétiens, en Norvège, ee par exemple, les femmes jouissent de leurs ce droits. Et la loi veut que les filles de Suède ce restent toujours en tutelle! Elles en appellent ce à votre justice! Qu'on nous laisse essayer nos ce forces ! Les enfants n'apprendraient pas à marée cher si on ne leur ôtait leurs langes, ils n'ouee vriraient pas les yeux si on les tenait dans ce l'obscurité. Qu'il nous soit permis de marcher ee par nous-mêmes, et on verra que nous pouvons 56 FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI ce nous soutenir, et même soutenir les autres ! ce Qu'on nous donne la liberté, la possession de ce nos vies, de notre fortune, et alors nous service rons, nous aussi, notre roi et notre pays. Notre ce avenir est celui de la société tout entière. Beauce coup de vices et de malheurs viennent de ce ce que la femme ne se comprend pas elle-même ce et ne comprend pas sa vocation! » Et si quelque lecteur français est tenté de déclarer ici que Hertha est une insupportable prêcheuse, il sera pleinement dans son droit, car Hertha attendait de sa part une telle appréciation! Dans un curieux chapitre intitulé Le Rêve de Hertha, celle-ci se voit parcourant le monde et allant dans tous les pays réclamer justice pour ses semblables. Partout elle est éconduite, et parfois avec brutalité... En France, on l'accueille avec mille saluts et gracieux sourires. On lui affirme qu'il n'y a rien à changer, ce car la femme gouverne le monde: elle est partout souveraine par ses grâces et par ses charmes ! » On voit quelle image se faisait la Suédoise du Français galant et frivole. Exerçons une noble vengeance en la comprenant mieux qu'elle ne l'eût espéré. En somme, Hertha revendique pour les femmes le droit à l'instruction, au travail et à la liberté. Elle ne revendique nulle part plus de liberté dans l'amour, Cette question viendra bien FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI 57 aussi agiter les esprits suédois, mais plus tard, à une autre période du mouvement féminin. L'originalité, sans doute unique, de ce mouvement en Suède, c'est d'avoir eu un point de départ religieux : et non seulement religieux, mais ascétique. Hertha laisse clairement voir que la virginité lui semble un état supérieur : ce C'est la femme vierge qui était jadis prêtresse des dieux. » Fredrika n'empêchera pas Hertha de se marier, mais cette héroïne préférée, dans laquelle elle a mis tant d'elle-même, n'épousera celui qui l'aime que quand il sera mourant, quand ce mariage, de toute évidence, ne pourra être autre chose qu'un acte de dévoûment! Un critique a fait spirituellement observer que Fredrika dépense une ingéniosité sans bornes, accumule péripéties sur péripéties pour empêcher ses héroïnes de se donner à l'homme. Il y a là sans doute un enfantillage qui fait sourire. Mais puisque tant de Suédoises sont condamnées, par leur nombre, à mourir filles, il faut bien qu'elles se créent un idéal conforme à leur état! Les livres de Fredrika seront pour elles une lecture réconfortante. Il n'y a d'ailleurs pas d'étroitesse morale dans ces livres de vieille fille. Si Hertha et ses soeurs préfèrent le célibat pour quelques ee grandes âmes », elles ne s'appliquent pas moins à réha- 58 FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI biliter socialement la fille-mère, et ce sera un des nobles soucis de leur parti. Hertha veut, au grand scandale de la petite ville qu'elle habite, faire entrer dans la société de charité qu'elle a fondée une fille séduite, relevée par la souffrance et par le travail. L'audace est forte! et l'auteur le sent si bien qu'elle n'a pas le courage de soutenir jus-r qu'au bout cette énprmité, A point nommé, le séducteur revient épouser sa victime! L'intention, cependant, était courageuse si l'on songe à l'époque, et à la. catégorie des lecteurs auxquels s'adressait Fredrika. Hertha, sur ce point et sur bien d'autres, donne l'indication timide, mais juste, des voies que suivra l'avenir. V L'audace modérée du livre, le bruit causé par spn apparition ne fit ppint de tort à Fredrika. Il est bon, au contraire, de paraître en avance sur son époque... quand ce n'est que de peu d'aile nées et quand on doit vivre longtemps. Hertha paraissait en 1856, et en 1858 le roi Oscar décidait que les filles de Suède seraient majeures à vingtcinq ans, A ce moment, Fredrika était partie pour cette série de voyages qui dura de longues années, qui FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI 59 lui inspira une quantité de livres, inutiles aujourd'hui, mais utiles alors aux nombreuses femmes qui les lisaient avidement, En 1858, elle était en Suisse, près de Vin et, qui fondait une Eglise libre; puis elle alla pour la seconde fois en Amérique, pu elle était très appréciée. La vie énergique et active d§s Américaines, leur goût de rasspçiatipn devaient avoir une grande influence sur les Suédoises. Fredrika une des premières ce découvrit l'Amérique » pour les lectrices de son pays. Ses Foyers du Nouveau Monde furent très lus; La Vie dgjns le View Monde (en 6 volumes), qu'elle publia après un séjour en Orient, ne le fut pas moins. Là, près du hereeau du christianisme, la. passion et l'inquiétude religieuse l'avaient ressaisie. L'apparition dp La Vie de Jésus, dp Strauss, vint la bouleverser. Elle écrivit, pour le réfuter, Les Veillées matinales, et ce fut, de tous ses ouvrages, celui qui lui tint le plus au coeur. Elle alla en Palestine, à Rome, où elle vit Pie IX,. en Grèce-. L'énrimération de ses livres, autant que celle de ses voyages, serait une fatigue inutile, Tous ces feuillets ont disparu après avoir accompli leur tâche. Livres de femme écrits pour des femmes, ils ont éveillé l'intérêt de celles-ci à l'égard des problèmes que soulève leur propre vie, ils leur ont mpntré de nouveaux horizons. Et ils ont eu peut-être plus d'influence sur elles que n'en au-^ 60 FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI raient pu prendre des oeuvres plus originales et plus fortes. En 1861, après avoir fait presque le tour du monde, la voyageuse vieillie revenait dans sa patrie. Sa renommée était alors très grande, ee Elle était, dit un critique, aussi connue dans tous les pays étrangers que l'était Tegnér. » Comme ce n'était pas à cause de son génie, il faut espérer que c'était à cause de sa grande, de sa rayonnante bonté. Cette bonté fondait toutes les résistances, et les partis les plus opposés en Suède entouraient de respect Mamsell Fredrika, chargée d'années, de travaux et de bonnes oeuvres. Dans sa maison, à Stockholm, se pressaient de nombreux amis, Suédois ou étrangers. Tant que sa santé le lui permit, Fredrika s'occupa de ses fondations : son Orphelinat, l'Asile des femmes âgées, l'Ecole normale d'institutrices. Mais la vieillesse vint, elle regagna le château d'Arsta, où s'était écoulée sa triste enfance. Elle y vit avec joie une génération nouvelle jouir d'une jeunesse plus heureuse et plus libre que ne l'avait été la sienne, elle espéra un meilleur avenir : ee Patrie, écrivit-elle, je te lègue mes orphelines. Sois meilleure pour elles que tu ne l'as été pour moi. Dans ton propre intérêt, pour ton propre avenir, donne-leur le foyer, la vie de l'esprit. Je ne te demande plus rien pour moi, je pose mon bâton de pèlerin, mon voyage est fini. » FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI 61 Elle mourut dans la nuit du 31 décembre 1865. Selma Lagerlof imagine que pendant cette nuit même Mamsell Fredrika fut transportée en rêve dans son église, et y vit, réunies pour une messe de minuit, dans leurs atours fanés, toutes les vieilles filles trépassées. Et elles s'écrièrent : « Que son nom soit béni! Elle a libéré les nôtres de la tyrannie, elle a fait entrer les jeunes filles dans l'activité de la vie, elle leur a donné le travail et la liberté!... Et nous, pauvres êtres méprisés, sans but dans la vie, sans joie ni tendresse, nous ne sommes plus que de tristes souvenirs, des fantômes évanouis !» VI Après Fredrika Bremer, et avant d'arriver à la période vraiment moderne de la littérature, féminine suédoise, nous trouvons deux femmes écrivains importantes, dont le nom subsiste, dont quelques ouvrages sont encore lus : la baronne von Knorring et Mme Emilie Flygare Carlén. Avec Fredrika, elles composent une curieuse trinité : l'apôtre, la femme du monde et la femme du peuple. Fredrika élève la croix du missionnaire, la très jolie baronne joue de l'éventail, Emilie Flygare Carlén, élevée parmi les pêcheurs, sait manier l'aviron. 62 FEMMES ÉCRIVAINS P' AUJOURD'HUI Cette dernière, très intelligente, vulgaire et vigoureuse, semble avoir eu ùiïe personnalité marquée. Ses récits se perdent malheureusement, comme ceux de ses contemporaines, dans Une déplorable prolixité ; mais il s'y trouve une foule de traits pris sur le vif, pleins de relief et de couleur. Elle ne prêche pas comme Fredrika, ne fait pas de l'esprit comme la baronne, elle est objective, â des traits justes et vivants. Bien avant ce qu'on a appelé eii Suède Virruption du naturalisme, elle tire de la vie des pêcheurs de la côte ouest des tableaux pleins de naturel. Les ce gens de la côte » ont apporté dans la littérature suédoise leur note particulière. Ils ont le verbe haut, la parole hardie et colorée, le geste turbulent. Ils effarouchent un peu les habitants des forêts qui, silencieux et taciturnes, regardent avec méfiance passer ces agités... Ainsi Fredrika, mince et éthérée, demi-couchée sur son divan, regardait avec terreur évoluer dans son salon la grosse et bruyante Emilie Carlén. Celle-ci, voyant son hôtesse esquisser un geste pour lui ouvrir passage au milieu de petites tables et de bibelots menus, s'écriait : — Laissez donc ! je vais bien naviguer jusqu'à vous !... Et, bousculant tout, elle parvenait au divan, sur lequel elle s'écroulait avec fracas. Les Suédois prétendent que les ee côtiers » FEMMES ÉCRIVAINS DAUJOURD'HUI 63 tiennent de leur origine danoise leur caractère particulier, et notamment leur liberté cîé langage. Emilie Gàrïén lés représente bien ; il y à de la fràndhise et de la vëfdêùf dâils ses ouvrages. Elle était la plus jëuhë d'iine famille de quatorze enfants, et avait passé ses premières années dans' uiîe petite boutique Où sOiï père vendait de l'épicerie aux pêëliêufs. De vieux matelots, qui avaient couru le monde entier, s'installaient près du comptoir, >èt racontaient dès" histoires à là petite demoiselle. Elle entendait les légendes du Nâckëh, l'esprit malin qui, jouant de là harpe, attife les bateaux et cause les naufrages... Mais, moins impressionnée par les légendes que par la réalité, elle observait les pëchêiifs, les contrebandiers, la dure et âpre nature. A seize ans, elle faisait pouf son père des Voyages d'affaires dans lés îles, seule avec un vieux marin. A vingt ans, elle épousait un médecin dans le Smalând, la. région de Suède la plus aimée de Dieu, dit-on, parce qu'elle est là plus pauvre. 8a vie est pleine d'aventures. Veuve de bonne heUfë, elle rentre chez ses parents, puis, après quelques années, Se fiance... et son fiancé meurt sous ses yeux, noyé dans le lac de Bullafen. Elle perd un fils aimé, et c'est assez tard dans la vie qu'elle trouve la paix par son mariage avec l'écrivain Gaflén ; c'est vers la cinquantaine qu'elle arrive à ïâ célébrité, qu'elle obtient un grand-prix de l'Académie de Stockholm 64 FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI pour son roman intitulé : Une Maison de Commerce à la Côte . - De cette.existence dure et agitée, de ces contacts avec la nature et.avec les diverses classes de la société, elle a, rapporté et fait passer dans ses oeuvres quelque chose de plus vivant et de plus fort que ce qu'y peuvent mettre des femmes du monde ou des bourgeoises. Elle a surtout senti et dépeint la nature âpre de son pays natal. Jetons avec elle un coup d'oeil sur une de ces îles désolées qu'elle parcourait dans sa jeunesse, île dont elle a fait le théâtre d'un de ses - principaux romans (1) :'... ee Sur -la côte occidentale de la Suède, au nord ce de Marstrand et à vingt mille environ AuPaterec Noster, cet écueil qui a causé tant de-naufrages, ce s'étend: un petit groupe d'îles désertes. Une ee seule : l'île du Chardon, compte quelques habiee tants. C'est un rocher, presque sans trace de « végétation. Les plantes ou arbrisseaux qu'on ce y rencontre çà et là ont une apparence chéee tive et étiolée. Toute l'île, couverte de masses ee de pierres, présente l'image d'une affreuse stéee rilité.... Une des ailes de la petite habitation ee semblait être plus neuve, car grâce au bois ce blanc et à la mousse plus fraîche qui en cornée posaient les murs, elle contrastait avec l'autre, ce toute noircie par l'eau salée. Les fenêtres, véri(1) véri(1) Rose de l'Ile du Chardon. Paris, 1845. "T' - EMILIE CARLEN FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI 67 « blanches- !.... » J'aime ce qui fait aimer les choses-, «. laides et tristes, j'aime la sympathie qui rap« proche des objets et des êtres méprisés. » L'idéal artistique d'Ernst Ahlgren était donc sain et élevé, et elle ressentait d'ardents enthousiasmes devant les oeuvres qui lui semblaient réaliser cet idéal. Elle écrit à propos d'un nouvel ouvrage ds Strindberg :. , « J'aime; tellement ce livre que les. larmes m'en « viennent aux yeux ï Je voudrais ravoir sous « mon oreiller et le caresser de la main en me « réveillant... Il s'agit là seulement d'une vieille « femme : et cela est si simple, sans un orne(c ment, sans une théorie, sans une attaque !; « C'est un morceau de vie soulevée de la main « la plus légère, et transporté dans un cadre « tout uni, le plus petit des cadres : mais c'est « cela que j'appelle de l'art. Il n'a plus pensé « au public, il a écrit pour lui-même, c'est cece qu'il y a de chaud et d'humain en lui qui s'est « fait jour. Les théories passent mais ce qui est « pris au fond de l'humanité reste toujours. » 124 FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI La nature était aussi pour Ernst Ahlgren une source de joies profondes. Nous lisons dans son journal d'avril 1886. : « Quelle journée de printemps aujourd'hui ! « fine et pleine de langueur. La nature a l'air « d'attendre, tout paraît arrêté. Le ciel est cou« vert, et c'est comme une douceur d'un blanc « gris métallique. Pas la plus légère brise, c'est « silencieux. Pas de gazouillis de moineaux, et « le coq ne chante que de temps en temps, avec « de longs intervalles de silence, et cela paraît « si lointain, si voilé, qu'il me semble que ce « n'est pas mon oreille qui perçoit le bruit. J'ai « marché là-dedans dans mes pensées, et dans « tout mon corps je ne sentais aucune douleur, « aucune gêne, un calme bien-être m'enveloppe « comme d'un vaste et chaud manteau. Il faut « garder le souvenir de jours comme ceux-ci, « où on se sent les bras pleins de richesses... « C'est une paix dans mon âme comme si j'étais « fondue dans la nature. Un état plus harmo« nieux ne peut être conçu par un esprit hu« main !... » Ne semble-t-il pas, en effet, qu'Ernst Ahlgren avait les bras « pleins de richesses » ? Une vive intelligence, un talent vigoureux, le sentiment de l'art et celui de la nature ; n'y a-t-il pas là de beaux éléments de bonheur et de vie ? Elle eut, de plus, comme nous le verrons, la FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI 125 rare fortune de l'amitié vive et fidèle d'un frère intellectuel qui partagea plusieurs années de son existence. Et pourtant, cette belle affection, nous ne la comptons pas parmi ses raisons de vivre. La nature d'Ernst Ahlgren était ainsi faite qu'elle retira de cette amitié des douleurs en même temps que des joies. Autant ses relations avec la nature,, les choses, les hommes pris dans leur-ensemble,, sont normales, saines, bien établies ; autant ses relations personnelles avec les êtres qui l'entourent sont difficiles, mal équilibrées, produisent à tout instant des malentendus et des souffrances. Voyons donc ce qu'était Ernst Ahlgren dans sa personne physique et morale, dans ses relations avec sa famille, ses amis, dans les événements particuliers de son existence. C'est là que nous trouverons sans doute les raisons qu'elle eut de mourir. III Et d'abord, rendons-lui son véritable nom, carErnst Ahlgren n'est qu'un pseudonyme littéraire. Victoria Bruzelius, qui devint en se mariant Victoria Benedictsson, était fille de Thure Bruzelius,. d'une célèbre famille de pasteurs. 126 FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI Celui-ci avait eu d'abord le désir d'entrer dans l'armée, et s'était vu contraint par les circonstances à. mener la vie de propriétaire terrien. De sa vocation contrariée, il lui était resté, le .goût d'une vie physique très active. Avec lui, Victoria apprenait à monter à cheval, à tirer au pistolet : « Il me traitait tout à fait comme si j'avais été un garçon. » Ce descendant de pasteurs, militaire manqué, n'était pas un ascète ;; il trompait sa femme, et lui faisait seulement la .concession d'en éprouver quelquefois des remords. Quand il les exprimait l'épouse vertueuse., austère et dure, le recevait fort mal. En elle vivait l'âme d'un pasteur rigide, de.ceux qui parlent plus volontiers des colères de la Bible que des douceurs de l'Evangile : « Ma mère me faisait pendant de longues « heures lire tout haut l'Ecriture. J'ai appris d'elle « à craindre Dieu, non à l'aimer... Ma mère était «. toujours tragique, fortement tragique, sans « larmes. Je ne l'ai jamais vu pleurer. Elle pré« tendait qu'elle avait pleuré autrefois, mais cela « me paraissait aussi invraisemblable que les « miracles bibliques, auxquels je ne croyais pas « non plus. » Le ménage était fort désuni et vivait même pendant de longues périodes tout à fait séparé. Une courte réconciliation se produisit au moment du mariage de la soeur aînée, et Victoria dut le FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI 127 jour à ce bref rapprochement. Quand elle naquit, .la haine était déjà revenue, et les parents se querellèrent au sujet de son nom. Victoria attache à cette circonstance une importance un peu superstitieuse : « Je suis venue sans motif dans la vie, aussi <( je n'ai jamais pu y bien trouver ma place.., le «< fil qui lie à l'existence est plus fragile pour « moi que pour les autres. » A coup sûr il est pénible de naître d'un couple -désuni ; mais (Combien d'entre nous, et des meilleurs, ont connu cette souffrance ! Et ne maît-on pas touj ours « sans motif ?» Victoria eut une fort triste enfance. Elle préférait de beaucoup à sa mère son père, d'humeur changeante, parfois gai et spirituel, parfois violent et mélancolique, conteur de belles histoires, guide de grandes promenades. La mère eut pourtant son influence. Elle fit de sa fille l'héritière de ses principes de morale : morale rigide, tout d'une pièce, surtout en ce qui concerne les choses de l'amour. Ses principes un peu surannés contrastent parfois avec la liberté et la largeur d'esprit dont Ernst Ahlgren fait preuve ,à tout autre point de vue. Quand elle écrit dans -son Journal que « le bonheur ne peut se trouver -que dans le mariage et jamais dans l'union libre », c'est l'esprit de Mme Bruzelius qui est venu guider sa plume. 128 FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI Entre ses parents ennemis, l'enfant devait parfois ruser,même mentir,pour ne blesser personne. Elle en souffrait cruellement : « De là vient mon amour pour la vérité, qui va parfois jusqu'à la brutalité. » Dans cette situation fausse, elle trouvait très dur d'être « une fille », de s-e voir si longtemps contrainte à la dépendance. Qu'il eût été bon d'être « le garçon de papa ! » C'était seulement en cachette qu'on pouvait aller faire des expéditions dans la campagne, manger, coucher chez les paysans, ce qui était pour Victoria la grande joie ! Toute jeune, elle préféra la société des frustes habitants de la plaine de Tellengord à la « bonne société » que sa mère eût voulu lui voir fréquenter. Elle aimait, comprenait ces paysans aux sentiments simples, à la vie dure et laborieuse. Au contraire, la vie des femmes de la « bonne société » lui paraissait intolérable. Convention, mensonge, absence de tout travail sérieux, par-dessus tout, esclavage moral et social, tout cela révoltait Victoria comme cela révoltait à la même heure une foule d'esprits féminins de son pays. Mais comme elle était une silencieuse, une concentrée, cette révolte, chez elle, se traduisait en douleur. Et en une douleur de forme toute spéciale : une honte brûlante d'appartenir à ce sexe inférieur l Elle l'exprime vivement, dans une nouvelle intitu- FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI 129 lée : Dans les ténèbres. Elle ressent une sorte d'horreur de son sexe impur et menteur, elle ne peut voir sans répulsion une femme se déshabiller! Comme un tel sentiment est évidemment puéril et morbide, on en sourirait si on ne le sentait douloureux. Il fait partie en effet des symptômes anormaux qui, depuis la jeunesse de Victoria, pouvaient faire redouter sa fin tragique. Elle souffre d'une maladive humilité. Elle rougit non seulement d'être femme, mais d'être gauche, ignorante et laide. Sur ce dernier point, son erreur est certaine. Fillette elle était, il est vrai, « grande et maigre, mal vêtue des robes fanées de sa soeur aînée », mais ses portraits nous montrent une belle figure aux traits réguliers, aux larges yeux noirs et brûlants. Pour son ignorance, elle l'exagère ; car, s'il est exact, comme elle le remarque, que « personne, famille ni Etat, n'a dé« pensé un sou pour son instruction, et qu'elle a « dû se contenter de miettes... », le grand travail auquel elle s'est personnellement livrée a valu largement une éducation universitaire. Elle attache à ces études classiques qui lui ont manqué une importance excessive. C'est pour elle un des éléments de cette supériorité masculine « à laquelle elle croit, dit Lundegard, aussi fortement que Strindberg. » « Je me tiens comme une mendiante, dit-elle, 130 FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI « au pied de l'arbre de la science dont je ne pource rai j amais atteindre les fruits ! » Elle connaît cependant à merveille plusieurs langues vivantes et plusieurs littératures, mais cela ne compte pas à ses yeux et son ignorance l'écrase. "« Elle savait qu'elle ne savait rien, dit Lundegard, mais elle ne savait pas que c'est le commencement de la sagesse. » Son provincialisme aussi, son accent scanien, ses manières gauches, lui faisaient honte. Elle tombait à ce point de vue dans une contradiction assez ordinaire chez les gens qui méprisent le monde : ils voudraient cependant pouvoir y briller. Victoria évidemment n'avait pas ce qu'il faut pour cela. Avant tout elle éprouvait à s'exprimer une difficulté torturante. Non qu'elle manquât de rapidité de conception, ni du sens de l'humour, elle était même fort spirituelle. Mais quand il fallait exprimer ses sentiments, surtout dans une circonstance importante, surtout à ceux qu'elle aimait, une contraction nerveuse l'étreignait, la rendait muette. Disait-elle quelques mots, le son de sa voix la frappait étrangement : ce Le son de ma propre voix, dit-elle, agit sur ce moi d'une façon étrangère et effrayante. Cette ce voix sans âme, qui n'a rien de commun avec « moi-même, n'a pas un seul accent pour ce que ce j'éprouve... C'est si amer que je ne puis le dire ! FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI 131 ee Dans tout ce qui touche à ma vie intime, je ce subis les mêmes souffrances que si j'étais ce muette. Je n'ose pas toucher aux nuances délice cates de mon âme avec cette voix. Sa banalité ce monotone rend tout ce qui était frais et vivant, ce fané et mort. Je me tais. » Elle se tait. La difficulté qu'éprouve tout être humain à communiquer ses sentiments profonds devient pour elle insurmontable, absolue. Il est dur d'entrer dans la vie avec une telle maladie morale, que la maladie physique allait bientôt venir aggraver. A seize ans, nous l'avons dit, Victoria Bruzelius, sentant avec raison que le travail seul équilibrerait sa nature inquiète, voulut aller étudier la peinture à l'Académie des Beaux-Arts de Stockholm. Ses parents s'y opposèrent. Elle entra alors comme institutrice dans la maison d'amis de sa famille, et, en trois ans de travail, économisa la somme nécessaire à son entretien d'une année à Stockholm. Elle renouvela alors sa demande, mais se heurta au même refus. C'était une question de principe : une jeune fille de bonne famille ne pouvait devenir artiste. Cette résistance causa à la j eune fille une excessive douleur. Combien d'artistes pourtant, hommes ou femmes, ont trouvé au début de leur carrière cette même difficulté ? Puisqu'elle était (et elle l'avait prouvé) en état 132 FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI de gagner sa vie, elle pouvait, à sa majorité, suivre la voie qu'elle avait choisie. L'existence n'était pas perdue par ce désaccord familial ! Elle en jugea autrement, l'avenir lui parut à jamais barré, le bonheur impossible. Un flirt à peine ébauché l'année précédente, terminé par un malentendu et un départ, laissait à la naïve jeune fille l'impression qu'elle avait épuisé toute faculté d'amour. Elle commit une sorte de premier suicide en acceptant, malgré les justes remontrances de ses parents et de ses amis, la main de M. Benedictsson, receveur des postes et directeur de la Banque à Horby, de vingt-cinq ans plus âgé qu'elle, veuf et père de cinq enfants ! Elle regretta, dit-elle, sa décision aussitôt prise, et pria le fiancé de lui rendre sa parole. Mais, comme il s'y refusait, elle se crut liée par sa promesse. Rien pourtant ne la contraignait à une telle folie, et quand, saisie de dégoût et d'horreur par la révélation de l'amour physique en de telles circonstances, elle exhale d'amères plaintes contre la société et les conditions du mariage moderne, nous concevons contre elle un peu de mauvaise humeur. Que n'a-t-elle épousé un jeune homme ? Le roman intitulé Pengar (Argent) aurait beaucoup moins d'âpreté ! Car c'est dans ce roman qu'elle devait exprimer les premières rancoeurs de sa vie conjugale. Le réveil de son héroïne, le FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI 133 lendemain des noces, près du mari indifférent hier, aujourd'hui physiquement détesté ; son long sanglot navré de douleur et de honte... tout cela, on le sent, a été cruellement vécu. Mais le roman ne devait paraître qu'en 1884. En 1880, Victoria n'exprima pas ce qui se passait dans son âme. Nous savons seulement, par quelques mots du Journal, que l'idée du suicide lui apparut fréquemment dès cette époque. IV Elle était partie avec son mari pour le village de Hôrby, en Scanie. C'était un tout petit village, perdu dans une campagne lointaine ; privé à cette époque de toute communication avec les centres habités. Vingt maisons y étaient rangées au bord d'un petit ruisseau dans la plaine. L'église blanche élevait le chapeau, de sa tour entre le presbytère et l'auberge. La maison du receveur, la troisième à gauche, avait deux étages et un j ardin, et donnait d'un côté sur l'étroite ruelle qui conduisait à sa librairie. Deux allées ombragées de très grands arbres : l'une de châtaigniers, l'autre d'ormes et de frênes, virent passer mille fois la longue et mince silhouette de Victoria Benedictsson qui, 134 FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI lentement, promenait dans cette paix le tumulte de sa vie intérieure. Les premières années furent terribles : elle se sentait murée. L'erreur de son mariage était irréparable, car sa conception monogamique était telle qu'elle lui interdisait le divorce autant que l'infidélité. La maladie vint bientôt aggraver un état moral de mélancolie profonde. De ses deux enfants, nés douloureusement, l'un mourut en bas-âge. Et (bien qu'une telle façon de sentir inspire de la répulsion), il faut bien noter que Victoria avoue avoir ressenti peu de chagrin de la disparition du petit être ! Né d'une union qui lui inspirait de l'horreur physique, il n'avait pu conquérir sa tendresse. Le fait est d'autant plus étrange que Victoria n'avait pas d'animosité à l'égard de son mari. C'était un brave homme. Dans diverses lettres, elle le nomme le bon père, et elle montre aux cinq enfants qu'il avait eus de son premier mariage, une tendresse qu'elle ne pouvait éprouver pour ses propres enfants. Renonçons à expliquer, et surtout à juger, de semblables anomalies. Peignons seulement dans sa vérité un douloureux type humain. A Hôrby, pendant les premières années, Victoria se cherche avec angoisse. Désireuse d'accomplir tous ses devoirs, elle est une parfaite ménagère. Elle tricote en lisant. Elle inscrit sur son FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI 135 Journal, avec satisfaction, que la fabrication des saucisses s'est effectuée vite et bien. Elle gère la librairie, mais ce commerce est peu important : on y vend des catéchismes et des calendriers. Une petite table à jeu suffit comme comptoir, et servira bientôt en même temps de table à écrire. Le jour du marché seulement la petite boutique s'anime, Victoria reçoit les clients et se livre à des observations qui lui serviront pour ses oeuvres futures. Une très touchante nouvelle : Les Béquilles, a pour cadre la petite librairie. Victoria apprend aussi le travail de la banque : elle dessine, peint, donne des leçons de musique, s'occupe des enfants de son mari, pour lesquels elle est à la fois une camarade et une institutrice. Ces enfants l'aiment et l'admirent. Sa belle-fille, mariée plus tard à l'écrivain Geijerstamm., restera sa meilleure amie. Et pourtant, malgré tous ces efforts d'activité, là tristesse la ronge. Elle commence à écrire : de courtes: nouvelles, d'abord refusées, puis accueillies dans quelques revues, et se voit de ce fait blâmée par son mari et par le petit entourage provincial. Elle est d'ailleurs à Hôrby, dans ce ce trou de souris » qu'elle aime quelquefois, qu'elle maudit à d'autres heures, si loin de tout mouvement littéraire et intellectuel ! Elle se sent dans un désert. Une grave maladie survient en 1881 : une 136 FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI affection de l'articulation du genou, qui semble de nature tuberculeuse. Une opération est nécessaire. La j eune femme, refusant le chloroforme, la subit stoïquement. Deux années entières elle reste couchée, constamment reprise de fièvre, plusieurs fois en danger de mort. A ce moment, celle qui devait, si peu d'années après, quitter volontairement la vie, l'eût cruellement regrettée. Elle s'est dépeinte en un récit, transcrit par Lundegard, qui nous montre une femme couchée et mourante, regardant à travers la fenêtre son petit jardin envahi par les herbes et brillant de soleil. La douceur de la nature la pénètre plus que jamais, et elle pense avec angoisse qu'une partie de cette beauté va mourir avec elle « puisque nul ne verra plus ce tableau ce avec les mêmes yeux, nul n'en jouira plus avec Ces idées, et l'ensemble des opinions d'EUen Key sur le mariage (opinions qui nous apparaîtront dans un autre de ses ouvrages) pouvaient inquiéter, non seulement un groupe d'ascètes, mais bien des personnes imbues des idées courantes sur les lois de la morale sexuelle. Nul accommodement n'était donc possible. On resta sur ses positions, et dans la mêlée confuse qui suivit l'apparition de la brochure, bons et mauvais arguments se croisèrent et s'entrechoquèrent. L'ouvrage d'EUen Key evit cependant un heureux résultat. Elle y déclarait, en termes excellents, que les femmes ne doivent pas, de parti pris, mépriser les métiers manuels : ce qu'il y a ce un très fâcheux snobisme à ne considérer ce comme nobles , que les professions intellectuelles. » 186 FEMMES. ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI Les directrices modérées et avisées du mouvement féminin virent le bien-fondé de ce reproche. Le réveil du travail manuel: et des anciennes industries dans les- campagnes, les écoles: d'enseignement ménager, les fermes modèles, l'enseignement agricole dirigé par les femmes,, tout ce mouvement qui pourrait bien aboutir à recréer en Suède, sur des données modernes, de nombreuses Commandantes semblables (pour.'.l'activité, du moins) à celle de Gësta Berling, ; tout ce mouvement sain et fécond: était prévu et contenu dans la vigoureuse critique d'EUen Key, qui: déchaîna tant de colères. Un autre de ses reproches fut plus sensible encore aux féministes: et: leur fut également salutaire. Elle les blâma de; borner leurs regards aux femmes de la bour-; geoisie, et. d'oublier la foule des ouvrières qui. peinent sur les plus, durs travaux. Le bel, élan, d'oeuvres sociales,, d'oeuvres de solidarité, les crèches, les entreprises d'habitations ouvrières auxquelles les femmes de Suède ont apporté tant d'ardeur depuis quelques années, doit beaucoup à ces justes et sévères paroles. III - Ellen Key demeura cependant, pendant de longues années, l'ennemie de tout un clan féministe FEMMES ÉCRIVAINS D’AUJOURD'HUI 187 qui ne lui pardonnait pas sa trahison apparente. On peut supposer que la paix est signée depuis la publication, dans l'été de 1:910, du livre intitulé le Mouvement féminin (1). Quinze ans: se sont, passés depuis la brochure belliqueuse, les questions ont évolué, et, toujours d'une parfaitebonne foi, Ellen Key ne; cache pas qu'elle est; influencée par cette évolution. Elle ne renie pas, elle ne reniera jamais som idéal de tendresse féminine; 1 ce II importe,, écrit-elle; quela femme soit élevée ce au point dé vue: intellectuel pour sa mission ce sociale.. Mais si, pendant ce temps, elle perdait ce sons caractère (de tendresse), elle arriverait-à ce cette mission sociale comme un cultivateur avec ce des outils perfectionnés d'agriculture, mais sans ce la semence. » : Elle ne s'écartera jamais de ce point de vue. Mais elle constate que certaines expériences tentées ont réussi mieux, qu'elle ne l'espérait. Les féministes ont d'ailleurs, en général, renoncé à leur idéal ascétique, reconnu que, ce parmi les droits: à revendiquer, se trouve le droit à un développement sentimental normal ». Socialement, un certain nombre d'entre elles ont subi l'influence d'EUen Key et, se réclamant de ses idées, ont tenté de ramener leurs compagnes aux. travaux traditionnellement attribués à leur sexe. (1) Rvinnorôrelsen. Stockholm. 188 FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI Elles y ont parfois réussi, et cela a produit de curieux résultats. On a vu des femmes instruites et cultivées se faire bonnes d'enfants, parfois même femmes de chambre ou cuisinières. On pouvait voir, il y a deux ans, à Paris, une bonne à tout faire suédoise qui lisait Platon dans le texte grec ! Elle trouvait sa profession très favorable à sa santé, que le surmenage cérébral avait ébranlée. Mais de tels exemples sont rares ; les préceptes d'Ellen Key ne sont généralement pas suivis avec une rigueur aussi paradoxale. Au contraire, une foule toujours grandissante s'en est tenue au premier féminisme, à celui qu'elle combattait en 1895, et les situations masculines ont été recherchées et obtenues par un très grand nombre de femmes. Ellen Key, qui reconnaît ce mouvement irrésistible, étudie loyalement les résultats qu'il a produits depuis quinze ans. Il y en a de bons, et son opposition désarme. Elle reconnaît que ce mouvement était nécessaire, est nécessaire encore; qu'il fallait détruire le préjugé de l'infériorité de la femme, développer son caractère et son esprit d'indépendance, pour lui acquérir tous les droits masculins. Mais quand chacune aura le droit d'entrer partout, elle en usera peu et reviendra au foyer, qui est sa vraie patrie. Et ici, Ellen Key se rencontre avec FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI 189" M. Faguet, qui veut que les femmes aient tous les droits, quitte à n'en point user. Mais il est certain qu'elles en useront longtemps, et le type de femme nouvelle produit par les habitudes d'indépendance, est très finement analysé dans l'ouvrage d'EUen Key. L'auteur se défend de faire une histoire complète du féminisme : et pourtant elle remonte bien haut, puisqu'à son avis : ce Le premier mouvement féministe a été le geste d'Eve cueillant le fruit de l'Arbre de Science !» Ce mouvement, dit-elle, symbolise l'ensemble de l'évolution féminine ce car le désir de sortir des limites tracées est toujours son mobile, et chaque époque a nommé péché, manquement à la loi de Dieu, le fait de franchir ces frontières, qu'on déclarait une fois pour toutes être celles de la nature féminine. » Ellen Key fait un examen historique rapide et curieux des essais de vie indépendante de la femme. Avec raison elle voit une de ses manifestations dans un mouvement religieux qui avait un peu précédé en Suède le mouvement féministe. Les femmes, emportées par la vocation, prenant au sérieux la parole de Jésus qui dit d'abandonner les siens pour le suivre, quittaient la maison après de grands combats. Elles se faisaient liseuses, liseuses de la Bible au peuple. Les 190 FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI pères avaient honte d'elles, les mères portaient le deuil, les frères ;se moquaient. Mais rien n'empêchait ces femmes de -suivre la voix intérieure, de vivre selon leur propre idéal. Et ainsi, sans le ^savoir, ces illuminées préparaient l'émancipation, que celui d'il y a, cinquante ans ? Ellen Key en est convaincue. Elle (pense ique la famille même, troublée d'abord par ce changement, a, en somme, gagné en richesse par les acquisitions nouvelles des jeunes filles. L'union -apparente des familles .anciennes cachait bien des rancunes sourdes, bien des résignations amères! ce La jeune fille qui filait et tissait le linge, ,alice gnait de longues rangées de pots de confitures, ce avant Noël .brodait tous les soirs des cadeaux, ce après Noël dansait tous les soirs », passait dé .pénibles heures. L'attente, pendant de longues années, devait user sa vie. e. JL'invitation à dance ser, et après elle la demande en mariage, viencc drait-elle ou non ? Tout homme dont l'ombre se ce profilait sur le sol était examiné à ce point de - finée à éveiller de son rêve factice la jeune bourgeoise exaltée, Nourrie de phrases, inadaptable à la vie, elle a apporté au pauvre Tore un lourd fardeau, Çglui-ci, cependant, aurait dû réaliser son rêve : bon, dévoué, fidèle, épris d'un art qui lui crée un idéal noble, il pouyait, il devait s'entendre avec une autre âme noble. Mais Lovisa est d'âme médiocre ; tout de suite la pauvreté, qui cause des blessures à son amour-propre mesquin, l'aigrit, l'irrite, la désespère. Dans le mauvais petit hôtel si laid, si lamentable, où elle est tombée le soir de spn arrivée -^- la veille de son mariage —- elle pleure en enfant perdu, elle voudrait revenir chez elle... Trop tard! sa destinée est maintenant fixée. Dans la robe blanche élégante qu'elle a apportée de Suède, elle ira devant le pasteur, avec le cabaretier pour témoin, se lier à l'ouvrier sans travail qu'elle a choisi pour époux. Tore pourtant ne l'a pas trompée, il a dit sa misère. Quand, en arrivant, elle lui a reproché de FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI 251 ne l'avoir pas appelée, il a dit : ce Je n'osais pas, ce je ne crois pas en moi, Lovisa, j'ai peur ! » Et quand ils ont, malgré tout, décidé le mariage, il dit : ce — Tu ne me le reprocheras pas? Tu sais coince ment sont les choses.,, Je suis sans patrie et sans ce travail, mais je ferai itput ce que je pourrai... ce Mon but unique sera de gagner pour toi, pour ce nous, la vi,e, » Et ce but est dur à atteindre. Tore trouve difficilement du travail ; avec le flot d'émigrants, l'encombrement est terrible, et l'angoissante poursuite du travail et du pain absorbe bientôt, absorbera toute la vie les pensées du nouveau ménage. Les 200 dollars de Lovisa sont vite épuisés, et la lune de miel, sur les bancs des promenades, n'est pas longue. Tore trouvera du travail, tantôt bien, tantôt mal payé, puis il y aura des chômages ; on vivra dans une insépurité terrible, passant d'une aisance relative à la gêne, à la noire misère, puis retrouvant quelque heureux, hasard. Dans cette vie douloureuse, Lovisa sera pour Tore le plus détestable compagnon. Le caractère complexe de la jeune femme est cruellement analysé par Mme Strandberg. Le trait saillant est un égoïsme si dur qu'on hésite parfois à le croire possible. Quoi qu'il arrive, Lovisa ne considère qu'elle-même, que l'injustice du sort dont elle 252 FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI se sent victime ; elle ne songe jamais à Tore qui se tue à la peine ; elle lui réclame âprement l'argent nécessaire, ne l'aide en rien, empoisonne ses heures de repos par des plaintes et des récriminations. Elle poursuit un rêve et un indestructible espoir : c'est que sa vie se développera en beauté, une fois ce premier échelon franchi : l'existence matérielle assurée. Mais pour parvenir à ce but, la plus féroce dureté lui paraît légitime. Elle, qui était venue ce pour élever Tore Huitce man, lui apporter l'acquit de siècles de culture », semble ne voir en lui qu'un serviteur condamné à l'entretenir. Il y a entre eux des scènes terribles, et Lovisa ne s'adoucit que devant la crainte que la mesure soit comble et qu'il la quitte. Elle dit alors des paroles tendres, et se hait de les avoir dites... Mais elle n'a rien à craindre, Tore a une âme de chien fidèle, il est attaché à elle et lui restera. La cause de cette attitude de Lovisa, de son impossibilité de s'adapter à un milieu nouveau, Mme Strandberg la trouve dans ses origines, dans sa race. Elle était d'une vieille famille de bourgeois intellectuels, arrivistes et avares, sans cesse en querelle entre eux pour des questions d'argent. Lovisa, quand elle était parmi eux, les méprisait pour cette vilenie. Mais dès que cette base solide : de l'argent devant soi, la sécurité de la vie, lui manque, elle s'affole, sent que tout équilibre est impossible. Avant tout cet argent, cette FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI 253 sécurité ! on pensera ensuite aux affaires sentimentales. Cet argent ne vient jamais, et Lovisa ne retrouve jamais son équilibre moral. Sa graduelle déchéance, la souffrance silencieuse de Tore, dont la vie à été détruite par l'intrusion de cette femme ; qui renonce avec douleur, pour gagner un peu plus d'argent, à la peinture qui était l'idéal de sa vie ; qui a aimé pourtant, qui aime encore son bourreau, qui ne peut oublier la vision de charme, d'élégance raffinée qu'elle lui a apportée, et qui souffre surtout de voir la misère et la négligence amener sa femme à la déchéance physique... tout cela compose un tableau noir d'une grande intensité. A un de ses plus cruels moments de misère, Lovisa a retrouvé l'ancienne amie, Ada Lennartson, qui prêchait si éloquemment l'union des classes ! Ada, arrivant dans le pauvre logis, trouve Lovisa lavant le plancher. Celle-ci, par orgueil, déclare à son amie qu'elle ne regrette rien, qu'elle a beaucoup vécu, beaucoup appris. Et comme Ada lui conseille avec pitié de rentrer en Suède, Lovisa reprend les phrases anciennes, déclare qu'elle s'est sacrifiée à une grande idée... Alors l'apôtre, qui n'avait jamais songé à faire des disciples si convaincus, a un joli mot de comédie : 254 FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI ce -— Tu as toujours été exagérée, Lovisa !... il ce ne faut pas mêler la vie et les idées. » Et elle lui laisse entendre que les fantaisies démocratiques de 1880 ne sont plus à la mode. On a trouvé d'autres snobismes. Et Lovisa continue à vivre son enfer ; elle a eu un enfant mort-né et cela a été un nouveau désespoir. Elle en arrive à se griser de whisky ! Les scènes avec Tore deviennent plus violentés. Poussé à bout, il s'écrie : ce Maudit soit le damné camarade qui a ce refusé de me prêter quatre dollars quand je ce Voulais te télégraphier : Reste ! » Lovisa est atterrée de cette révélation. Il y a pourtant entre ces deux forçats des moments de tendresse. La jeune femme refuse toujours éiiergiquement de rentrer dans son pays, et un jour où elle, a été reçue à Chicago par d'opulents Suédois, elle sent tout à coup combien son Tore vaut mieux que ces riches égoïstes. Il y a une humanité profonde dans le misérable amour de ces malheureux, rivés l'un à l'autre, se blessant, se déchirant sans cesse, et sentant l'impossibilité de se quitter. Leur malheur vient d'ailleurs se noyer dans une plus immense détresse, et le dernier chapitre du Nouveau-Monde est une sombre fresque d'une puissante ampleur. Dans tout le cours du roman, Mme Strandberg FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI 255 a dessiné autour de ses héros, avec beaucoup de couleur et de vie, des tableaux de diverses villes d'Amérique, Elle n'a pas fait dû Nouveau-Monde une peinture systématiquement noire. La fête de l'Indépendance à Philadelphie est peinte avec une' chaude et sympathique émotion. La joie générale, la fièvre de liberté, pénètre dans l'âme des nombreux Suédois mêlés à la foule bariolée. Qu'il leur paraît lointain, leur pays calme et rêveur; ce où les jours de travail uniforme et les ce silencieux dimanches n'arrivent pas à apaiser ce -l'inquiétude intérieure ». Ils l'aiment pourtant, leur pays ! Ils souhaiteraient allumer sur son soi la flamme de liberté qui embrase ces étrangers, qui, par Contagion, les embrase eux-mêmes... Et, prononçant lé mot de Suède, Tore et Lovisa tombent en pleurant aux bras l'un de l'autre, Sûrement Mme Strandbérg, qui a souffert en Amérique autrement, mais autant que ses héros, a aimé passionnément cette terre cruelle. Avant tout elle aime la vieille, la vraie Amérique, l'Ouest, ce avec ses centaines de milliers de petites maisons ce particulières, ses femmes au maintien digne, au ce regard pratique et clair, ses milliers de petites ce chapelles avec leur foi naïve, son souci du bience être de tous, la parole profonde de ses Qùace kers ». Et il n'est pas étonnant que Mme Strandbérg 256 FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI aime ce pays, car depuis bien longtemps les Suédoises ont été en rapport avec ces Américaines qui leur ressemblent, et, dès le début du féminisme, Fredrika Bremer a. été leur demander des leçons. Mais, où l'auteur fait preuve d'une vive intelligence et d'un réel sens de modernité, c'est quand elle est séduite par la poésie barbare du grand enfer de Chicago, cette ville étrangère, ce bâtarde de l'Amérique », quand elle l'admire, malgré les hontes de ses tueries ouvrières, de ses maisons de jeu, de ses vols effrontés ; malgré les fumées et les suies infectes et noires qui viennent obscurcir son ciel et son lac bleus. ce Chicago ! Seul un observateur à vue courte ne ce verrait en toi que la barbarie. Ton cerveau est ce plus aigu que tout autre, ta conception et ton son.1père, et les; pères :de-son ce père, jusqu'à ce que le fardeau du silence fût ce devenu trop lourdpour être soulevé. » Et-si Tore souffre de ce :dur mutisme 4u paysan de -Suède, Lovisa -porte en elle une autre tare, léguée par- sa : race-'d'intellectuels compliqués, de- FEMMES ÉCRIVAINS .D'AUJOURD'HUI 259 venus incapables id'impulsions spontanées. Elle n'éprouve j amais aucun sentiment avec plénitude,; ni dans l'amour, ;ni même dans la colère, elle ne s'est jamais donnée^entièrement... Elle se reprend presque îtout de suite, quelqu'un en elle se moque, et rit de la vie avec -amertume. Pourtant, en ce soir de mortelle détresse, une paix est tombée sur les époux. Tore parle comme pour lui-même. Il dit que si Lovisa ne l'avait pas tourmenté, si elle avait été seulement tendre et faible, si elle était restée l'image de grâce qu'elle était dans les premiers jours, elle aurait tiré de lui des forces qu'il ne peut lui-même soupçonner. :.I1 reparle-de sa;peinture, dont ;le regret ne'l^a jamais quitté. Elle ne l'écoute pas, et poursuit de son côté le rêve de sa vie manquée. Il y avait en elle tant de forces .pour la beauté, pour le 'bonheur. 'Un peu d'argent seulement, et tout se -fût réalisé ! Chacun poursuit son monologue. Mais un re.gretf commun tout à coup les 'unit. , ~ Ah ! s'écrie Tore, la vie est finie pour moi. Si seulement j'avais eu un fils! Ce cri< émeut Lovisa ; elle: se met sur les genoux de son -mari, serre sur sa poitrine la tête brûlante : « — Mon bien-aimé, crois-tu qu'il y ait sur terre deux êtres aussi misérables que nous ! » Et les époux ne souffrent :plus ce soir-là ;?l?im- 260 FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI mense détresse ambiante et de confus pressentiments les ont comme détachés d'eux-mêmes. Le lendemain, Tore, revenant de sa recherche infructueuse à la ville par une chaleur torride, tombe sur le seuil de la maison, frappé d'une insolation mortelle. Dans la grande demeure déserte, restée seule, Lovisa sent qu'elle n'a plus d'autre possibilité que la mort. Elle revoit sa vie. Elle voit qu'elle n'avait jamais cessé de croire qu'une Providence lui devait, lui donnerait des joies en compensation de ses souffrances. Même quand elle disait des paroles amères, elle ne croyait pas à ses paroles. Et maintenant, c'était fini. Ce qu'elle imaginait être le sens de la vie n'était qu'une illusion grotesque ! Avait-elle eu tort de se raidir contre le sort, de vouloir le plier à sa volonté, au lieu de s'accommoder à lui ? Peut-être ! Elle avait remarqué que ' dans les moments où elle cédait, où elle renonçait à elle-même, les choses allaient mieux... Mais elle avait alors le sentiment d'une abdication, d'une faiblesse ; elle avait cru bien faire en combattant pour son idéal personnel. D'ailleurs, si elle s'était trompée, si elle avait été égoïste, elle n'avait pourtant pas mérité un pareil sort ! Non ! ce L'injustice envers moi est trop grande ! Je ne ce peux plus vivre! » Et quand elle pousse ce cri de révolte, pour la FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI 261 première fois son être se fond tout entier, avec force, dans un sentiment unique... et c'est un appel à la mort. La lutte, la terreur physique, l'attraction du flacon d'arsenic... cela est dépeint avec un réalisme presque trop cruel. Lovisa est mourante, la campagne est presque endormie. ce Mais un coup de sifflet long et perçant éveille ce la nuit, deux soleils bleus et blancs paraissent, ce grandissent; le premier train, dans la Prairie, ce passe avec tm bruit victorieux. ce L'émeute, la grève est vaincue. » "Tel est ce livre complexe, riche de vie intérieure, riche d'observation des choses, touffu, inégal et puissant. A première vue, un pessimisme noir le domine; une ironie amère à l'égard de cette bourgeoisie égoïste et dure personnifiée par Lovisa, qui fait d'autant plus de mal qu'elle s'est haussée facticement à des idéals généreux. Mais, à côté du mépris et de la colère contre cette race impuissante et vieillie, on sent en Mme Strandbérg une confiance, un espoir ardent dans les jeunes forces de la vie : force populaire dans les anciens mondes, force des races jeunes dans le nouveau. Son Tore est une admirable figure, dans sa fidélité et son sacrifice silencieux. Libre de lui-même, il eût créé une vie puissante, peut-être un art sincère et naïf. Mme Strandbérg d'ailleurs n'a pas voulu conclure; ses nouvelles et ses ro- 262. FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI mans ne démontrent rien, ils peignent. Avec amour; avec colère ou avec, tristesse, niais toujours avec des vues profondes et un. intense sentiment delà vie. CHAPITRE VII Ecrivains de Gauche Alfhild Agrell. — Harald Gote. — Anna BranMng. Màrilia Stfernstedt. Mme Strandberg.ne défend pas, dans ses ouvrages', de théories sociales ou «religieuses. Mais, elle, est visiblement d'esprit; libre et d'idées, avancées.. Nous allons examiner tout un : groupe d'esprits de cette même nature, qui représentent actuellement l'aile gauche de la littérature féminine suédoise. I Mme' Alfhild Agrell, à : peu. près contemporaine de Mme Strandbérg,: a-produit une oeuvre d'une; remarquable variété. Romancière, journaliste,;auteur dramatique, elle a. montré, à côté de dons 264 FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI poétiques et de dons d'observation sérieuse, une veine comique qui se rencontre rarement chez les auteurs féminins. On compare les deux volumes humouristiques qu'elle à produits : A Stockholm et Chez nous à Jockmock, à la si amusante fantaisie allemande de Stinde : La Famille Buchholz. Le dernier roman publié par Mme Agrell, Les Rêveurs de Dieu (1), est une oeuvre purement mystique. Elle montre, une fois de plus, l'alliance fréquente, en Suède, d'un sentiment religieux très yitense avec des idées sociales avancées. Le sujet n'en est pas nouveau. Le désir de créer une Eglise hors des Eglises, ou plutôt une Eglise assez vaste pour les renfermer toutes, a tourmenté, semblet-il, presque tous les Suédois pensants. Et le fait que cette idée, tant de fois rencontrée, les intéresse toujours, même quand elle est (comme dans le cas présent) exprimée de façon assez faible et vague, est très caractéristique. Les ce Rêveurs de Dieu » sont les hommes ce qui aiment Dieu plus que tout, mais qui ne ce peuvent aller à lui à heure fixe, ni par un chece min tout tracé », qui souffrent du formalisme des Eglises et n'y peuvent rester enfermés. Le héros du roman sera le pasteur de ces ce Rêveurs de Dieu » qui sont sans foyer. Rien n'empêchait de faire sur ce sujet un (1) Gucls drommare. Stockholm 1904. FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI 265 chef-d'oeuvre, bien que les rencontres avec d'autres écrivains de Suède fussent difficiles à éviter. Mme Agrell n'y a pas échappé ; la description de son immense Eglise est exactement dans la pensée, et presque dans les expressions, celle de Fredrika Bremer, que nous avons citée. H y a cependant des détails originaux, et le commencement du roman a un certain charme. Le jeune pasteur Ake, venu du Sud, prêche pour la première fois à Naksjô, village du Nord. La laideur de l'église toute neuve et blanche ce est pour lui comme un affront personnel ». Il se sent malheureux, lointain. ce Par hasard, son regard tomba sur le marbre ce antique des fonts baptismaux, noirci par le ce temps, qui avait l'air, dans ce milieu, encore ce plus dépaysé, encore plus étranger que lui. Et ce alors il lui sembla qu'il avait rencontré quelce qu'un qui le comprenait. » Pour qui a constaté le mauvais goût impitoyable avec lequel, dans les petites églises protestantes, on isole, au milieu des bancs, de la chaire et des tribunes en sapin verni tout neuf, les rares beaux objets antiques qu'on n'a pas osé exiler, l'impression semble très juste. Le jeune prêtre entre dans la sacristie ce qui a encore son haleine de vernis ». Les paysans qui l'entourent, muets et graves, lui semblent hostiles : 266 FEMMES : ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI ce— Un beau sermon! dit l'un d'eux. Il y en a ce à mâcher jusqu'à dimanche prochain avant de ce le. comprendre. » Les paysans sont convaincus que lé pasteur ne peut manquer de se plaire dans cette belle paroisse, avec cette belle église neuve. Mais les femmes pensent qu'elles feront'de leur mieux ce pour ce que l'obscurité ne saisisse pas cet homme du Sud». En effet, le jour s'éteint dans le.Nord si brusquement, sans créjrascule !« Le soleil est tout près du coeur de la nuit. » Mme Agrell a, souvent de ces expressions heureuses qui rachètent par. l'imprévu de la forme ce qu'il y a de ce déjà connu » dans, les personnages. Par exemple,, son . héroïne, Margareta Akelind,, tendre et mystique, son.incertaine intrigue amoureuse avec le jeune pasteur qui semble lui préférer Dagmar ; sa mort inexpliquée, au moment où elle avait découvert sa voie : la fondation d'une. Eglise, nouvelle de l'amour de Dieu,, tout cela ne peut guère retenir notre intérêt. Nous ne pouvons pardonner à ce roman l'incertitude dans le dessin des caractères, k> pâleur effacée de ses personnages sans vie. Nous ne pouvons que reconnaître à Mme Agrell un joli don d'expression poétique, et nous devons chercher dans ses autres ouvrages., FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI 267 l'explication, de sa très honorable situation littéraire. Nous l'y trouverons sans peine, car Mme. Agrell a.vraiment un,bagage riche et varié. Nous.sommes frappés en lisant, sa- pièce Solitaire (1) d'y, trouver un esprit hardi et une vigueur d'.exé— cution que ne décelaient guère les vagues Rêveurs : de Dieu. Nous pensons que; Mme Agrell a commis une erreur (au point de vue artistique du moins): en.peignant des tableaux. mystiques qui ne: conviennent pas à- son talent. Il y a dans Solitairedes conversations entre Thora et son ami le d:oe,+ teur, dont la rondeur et la franchise d'allures- sont tout à;fait savoureuses-. Thora a été séduite, au début de la:vie, par.un:, homme déloyal: il lui avait caché' qu'il était: marié. Abandonnée avec un enfant: (sa fille} Yngwâ, âgée de vingt ans maintenant!), Thora) a-' mené une vie fort pénible. Elle: s'est toujours refusée, avec une absolue intransigeance.; de loyauté,, à voiler en. aucune occasion ce que;le; monde appelle sa faute. Elle n'a. jamais vouluj même -un instant, usurper le titre de. ce Madame:». Sa- conduite a été sans reproche, ; elle s'est dévouée aux pauvres et aux. malades ; elle a élevé? sa fille dans, l'honnêteté et la droiture. Que le: monde la condamne, s'il veut ! Le monde ne s'en fait pas faute. Il la- traite.enCi) Ensam. Stockholm 1886. 268 FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI paria, et le plus dur est qu'Yngwa, dans la pension où elle a été élevée, a subi les mépris, les affronts réservés à une fille de ce mamsell ». Le docteur, seul ami des deux femmes, désapprouve vivement l'intransigeance de Thora. C'est un brave et honnête homme, mais il déteste ce les principes, la vérité, le droit, l'absolu et autres fadaises ». Il gourmande Thora, et pourtant il l'admire. Mais un conflit va se dresser, vigoureusement posé, entre la sincérité de la mère et le bonheur de la fille. Contrairement aux instructions formelles de Thora, le docteur a envoyé Yngwa faire un séjour à la campagne dans la maison de sa soeur, sans révéler à cette dernière la naissance irrégulière de la jeune fille. Il a écrit à cette dame qu'Yngwa est l'enfant d'une veuve : ce Quel besoin avais-je de mettre une étiquette ce sur la marchandise ? Cela n'eût certainement ce pas augmenté l'agrément qu'Yngwa pourra reticc rer de son voyage !» Mais ce premier mensonge a de graves conséquences. Pendant le séjour à la campagne, un lieutenant, Allan, s'éprend d'Yngwa ; elle l'aime, il va venir faire sa demande en mariage, et il ignore encore l'état civil de la jeune fille. Averti, il persisterait dans ses intentions ; mais son tuteur, Eskiold, s'oppose violemment à un tel mariage. FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI 269 De son côté, Thora a reconnu dans le tuteur d'Allan un homme qui a joué jadis un triste rôle dans sa vie. Eskiold était épris de Thora; comme celle-ci le repoussait et lui préférait son cousin, par vengeance il ne l'a pas prévenue que ce dernier était marié. Il a été la cause première de son malheur. Et c'est cet homme qui, aujourd'hui, vient au nom de la morale s'opposer au mariage d'Allan et d'Yngwa ! Thora rejetterait elle-même cette union, si sa fille ne se dressait devant elle, révoltée. Yngwa a souffert cruellement de la situation de sa mère ; ses souvenirs d'enfance sont horribles. Elle a souffert courageusement, sans se plaindre, sans rien raconter à Thora des cruautés qu'elle subissait. Mais des orages s'amassaient dans son jeune coeur. Elle haïssait la société injuste, car elle admirait et aimait sa mère. Mais, par moments aussi, des colères la prenaient contre la dure sincérité de Thora qui semblait défier, appeler le mépris. ce Parfois, dit-elle, je déteste le mot de vérité ! » Pleine d'amertume, elle veut conquérir une situation honorée : ce Et ensuite elle se vengera, elle se vengera de tout le monde ! » Mais après la colère, c'est l'amour qui parle. Yngwa aime Allan, elle souffre; la mère s'attendrit et, malgré sa répugnance, charge le docteur de causer avec Eskiold. Celui-ci est inébranlable sur un point : Allan 270 -FEMMES ÉCRIVAINS .D'AUJOURD'HUI n'épousera pas une enfant naturelle. Mais il est un moyen > d'arranger les ; choses. Le séducteur de -Thora, devenu veuf, a mené une vie :peu honorable ; 41 s'est ruiné Jau jeu, a été chassé de l'armée... 'Sans ressource et pensionné .par Eskiold, iLest sous;sa-dépendance ; il consentira à .légitimer l'enfant en.épousant Thora.'Celle-ci sera tli]breensuite,^si;cela;luiqilaît, de vivre loin;de son époux. On sera en règle avec l'état civil, donc -avec la morale.publique. 'Mais ïa morale personnelle de lThora est-diffé-rente. Jamais elle n'épousera un homme qu'elle 'méprise ! -Feindre le mariage serait plus lâche encore. Même pour le ^bonheur desa fille, ^elle ne peut'pas, elle ne doit pas mentir. Tous la %lâmeht "et l'accablent, même Yngwa, emportée par sa souffrance d'amour. Pourtant, cette intransigeante sincérité aura des effets salutaires. Allan^jusqu'alors timide, soumis aux-volontés et aux, préjugés des siens, décidera de se rendre indépendant par le travail. Dans un an, il épousera Yngwa. Celle-ci, irritée, va quitter la maison de sa mère, chercher une place, ce se frayer le chemin toute seule, obliger le monde à l'estimer pour elle-même ». Sa colère contre Thora n'est pas calmée, mais on sent cependant qu'elle n'est pas profonde : ;jque fTliora n'accepte pas un- mariage indigne, on «eht aussi que,; dans 1 mille petites circonstances de;la-vie, ' elle a créé 'des difficultés graves à sa; fille et à elle-même, en courant .au-devant; d'aveux, inutiles, par une;sorte de luxe de-sincérité. Ainsi, 1 beaucoup de conflits'sont causés en Suède par les plus excessifs scrupules de franchise. 'Dans la vie conjugale notamment, nous -dit-on, le minutieux examen de conscience a causé de nombreux désastres : 272 FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI ce Nous aimons-nous vraiment ? N'y a-t-il pas dans notre union une ombre de mensonge ? » Enquête terrible, à la suite de laquelle les concessions réciproques, les efforts d'adaptation indispensables à la vie commune risquent de se trouver condamnés ! Et comme, aux yeux du Suédois, les nécessités de la vie intérieure sont mille fois plus importantes que celles de la vie matérielle, nulle circonstance extérieure ne l'empêchera de rompre une union qui n'est plus sincère. Peu importe, par exemple, qu'une rupture gêne des enfants en détruisant un foyer. Si ce foyer était fondé sur un mensonge, si on ne peut le maintenir que par l'abaissement de deux âmes, détruisons-le ! Ces âmes empoisonnées répandraient autour d'elles une atmosphère de mort. Et devant certains malheurs causés par tant d'intransigeance, malheurs qu'un peu de tolérance, que quelques concessions eussent évités, on peut s'associer à Yngwa lorsqu'elle s'écrie : ce Je déteste quelquefois le mot de vérité !» Thora a donc personnifié, dans une figure vivante et juste, un des caractères les plus marqués de la physionomie de sa race. Sa personnalité est estimable, on ne saurait dire qu'elle soit sympathique. La ce Solitaire » trouve certainement une volupté d'orgueil à se dresser, seule, contre la société ; à se sentir supérieure à ceux qui l'acca- FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI 273 Ment, à exciter comme à plaisir, en affichant ce qu'ils considèrent comme une tare, leur mépris, qu'elle méprisera. Si elle eût été seule, cette attitude agressive lui était permise. Mère, son devoir était plus compliqué. Nous consentons à estimer Thora ; mais nous l'aimerions davantage si, une fois dans la vie, pour épargner un chagrin à sa petite fille, elle avait humblement menti... Vieillards et vieilles du Norrland est d'une verve assez robuste. L'auteur semble avoir étudié à fond les paysans épais dont elle nous présente la caricature. Le comique réside surtout dans l'alliance naïve qui se fait, en l'âme des héros, entre l'esprit de cupidité et l'habitude des formules religieuses. Nous y voyons Johannis dire intérieurement des ce Pater » pour parvenir à vaincre la répulsion causée par la laide et riche Petronella qu'il veut demander en mariage. Ces récits nous semblent lourds et ne pourraient être traduits. On les juge cependant d'un assez bon comique. Ils témoignent en tout cas d'une grande diversité de dons chez l'auteur des Rêveurs de Dieu et de la Solitaire. 274 FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI II Mme Angered Strandbérg, Mme Agrell, passent pour avoir des opinions ce avancées » ; mais ni l'une ni l'autre, dans ce pays de Suède où l'on se scandalise facilement, n'ont causé le moindre scandale. Sauf Ellen Key, qui n'a pas recherché le bruit, mais qui a été jusqu'au bout de ses idées sans le craindre, nous n'ayons pas rencontré, jusqu'ici, de. femmes écrivains ayant produit des oeuvres ce à tapage ». En voici une. Mme Frida Stéenhoff, en littérature Harold Gote, a produit, dams sa pièce intitulée Le Lionceau (1), une oeuvre visiblement destinée à provoquer les protestations de ses compatriotes. Elle y a réussi. Disons tout de suite qu'elle n'eût pas atteint le même but chez nous. D'abord la lenteur de la pièce, la longueur des tirades eussent dompté notre indignation, si nous avions eu quelque velléité d'en ressentir. Puis nous eussions vu, je crois, d'un oeil tranquille, la jeune Saga, femme sculpteur de génie, convertir à l'union libre Adil, neveu d'un évêque. Saga est fille d'un écrivain (de génie, lui aussi) qui avait attaqué de front les préjugés de ses (1) Lejonels unge. Stockholm 1896. FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI 275 contemporains avec le courage d'un lion. Elle sera le Lionceau et combattra les préjugés à son tour... autrement que par des livres. Elle a vite fait d'amener Adil, qui lui offrait en soupirant des fiançailles de quinze à vingt ans, à une union immédiate, sans fiançailles ni formalités ; elle enlève le jeune homme de la maison de son oncle, où 'elle avait reçu une amicale hospitalité.,. Et le mieux est que l'évêque, converti aux idées nouvelles par cette propagandiste hardie, regarde d'un oeil attendri partir le jeune couple, et déclare que : ce Tout est pur pour ceux qui sont heureux. » Et Saga est encore plus subversive dans ses paroles que dans ses aetes. Elle représente le libre instinct, déclare qu'elle se moque de la vertu et du vice, qu'il ne faut pas résister à l'amour, qu'elle ne comprend rien à la religion ; et quand le Recteur, personnage vieux jeu, s'écrie avec indignation : ce Vous foulez donc aux pieds le mariage ? » elle répond : ce Je ne veux pas salir mes souliers ! » Il eût suffi d'une telle réplique pour nous éclairer sur les intentions de l'auteur, et nous eussions, je crois, pris un malin plaisir à ne pas faire entendre le cri de protestation qu'elle attendait. En Suède, les spectateurs de la première se sont consciencieusement indignés. J'imagine que Mme Stéenhoff, qui est une femme très spirituelle, 276 FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI conférencière charmante, journaliste et publiciste appréciée, a ri sous cape, dans la coulisse, de la docilité de son public. Nous ne prétendons pas, bien entendu, que Mme Stéenhoff ait adopté la théorie de l'union libre seulement pour faire du bruit. Elle est sincèrement partisan de cette théorie (bien qu'elle ne l'ait mise en pratique ni pour elle ni pour les siens), et elle l'a défendue dans de petites brochures vigoureuses et spirituelles. Mais nous constatons que, dans le Lionceau, elle a présenté ses idées sous la forme la plus volontairement, la plus artificiellement provocante. Cela ôte toute vérité à la pièce, et cela ne rend pas, semble-t-il, la propagande bien efficace. Les brochures ont une réelle valeur. Celle qui s'appelle Argent et Amour est pleine d'aperçus ingénieux. Libérons l'amour de l'argent, tel est le thème. Que l'amour soit une ec valeur purement humaine » qui ne se vende ni s'achète. Et pour cela, rendez la femme économiquement libre. ce Tant que son salaire insuffisant l'obligera à ce être aidée par un homme ou par des hommes, ce la femme sera esclave. Mariée, elle travaille ce sans cesse, et son travail ne compte pas en ce argent, et elle est comme entretenue par le honneur dont tu ne connaissais pas le prix. » L'intrigue du roman est un peu artificielle, maissa lecture est fort agréable, et Mme Stj ernstedt possède à un haut degré des qualités de clarté, de rapidité, de sûreté, qui la classent (avec Mme Iranting, avec la jeune Elin.Wagner, dont nous parlerons tout à l'heure) dans la familled'Anne-Charlotte Leffler, dans ce que nous appellerons la branche latine des romancières de' Suède. Elle avait cependant, dans son précédent volume, Le Mariage de Lila (1), tracé des personnages bien purement suédois. Il nous faut citer quelques traits de ces caractères, car, en les rapprochant de certaines observations tirées des ouvrages de Mme Strandbérg et- de Mme Agrell,. (1) Lilas Aklenskap. Stockholm 1910. 292 FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI ils nous révéleront un type féminin et un type humain bien éloigné de nos conceptions françaises. Lila est mariée à un honnête homme, Carstén, qui a pour elle une adoration profonde. Il est simple^ silencieux. Lila n'a pas d'amour pour lui, et en a bientôt pour: un autre. Prêt à se tuer, Carstén se ravise. Il doit veiller sur Lila, la sauver, car .celui qu'elle aime est indigne d'elle. Lila s'en aperçoit bientôt, elle abandonne l'intrigue ébauchée et, le coeur plein d'amertume, se laisse emmener par Carstén à la campagne avec son fils. Là, Carstén, voyant que Lila est sauvée, et convaincu pourtant qu'elle n'aura jamais d'amour pour lui, se suicide. Lila veille et prie auprès de son corps. A quoi pense-t-elle en cette veillée funèbre? Suivant notre logique française, elle devinerait que Carstén est mort de son indifférence, se reprocherait l'infidélité de son coeur, serait pleine de remords devant ce fait horrible : le suicide, pour elle, de ce mari qui l'a aimée. Rien de semblable dans le coeur de la veuve de Carstén. Elle devine bien que son mari avait tout compris ; elle sent maintenant qu'il lui était supérieur. Mais il n'est pas question de remords, et il y a, aii contraire, dans le coeur de Lila de la paix et de la lumière. ce En mourant, Carstén lui a montré ce qu'elle FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI 293 ce cherchait : le moyen d'arriver à l'accomplis s ecc ment de son propre être. En vérité, il est maince tenant ce maître qu'elle avait cherché. Qu'il ne ce soit plus là, vivant, sa pensée ne pouvait s'y ce arrêter : ici la mort ne signifiait rien. Avec sa ce main douce, Carstén avait montré à sa femme ce le chemin de ses jours à venir et décid.é de leur ce direction. Elle a à former (en son fils) une âme ce d'homme qui comprenne son propre mal et son ce propre bien. » La première impression produite par ce passage est un mouvement d'étonnement indigné. Le sacrifice d'une vie humaine pour ce l'accomplissement de son propre être » semble naturel à cette femme ! Cette mort ne ce signifie rien ! » En y pensant mieux, et en se replaçant dans le cadre de la pensée suédoise, on aperçoit que ce dédain du fait, cette prééminence accordée à. un idéal de perfection morale, à sa grandeur. Quand Lovisa, dans Le Nouveau Monde, exige de son mari des efforts cruels pour parvenir à un certain idéal de beauté de la vie ; quand Thora, dans La Solitaire, sacrifie le bonheur de sa fille à son idéal de sincérité, de pureté personnelle ; quand Lila accepte la mort de son mari pour que son âme, à elle, soit remise dans la bonne voie, — elles nous paraissent blâmables au point de vue humain. Mais, même quand ils s'imaginent ne pas croire en Dieu, les Suédois ne se placent jamais 294 FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI qu'au point de vue divin. C'est-à-dire que chacun d'eux est seul vis-à-vis de son Dieu, ou de l'idéal plus ou moins élevé qu'il a mis à sa place, et qu'il ne communique avec les autres êtres que pour le service de cet idéal. Serrons de plus près cette pensée, très importante au .point de vue de la compréhension d'une oeuvre suédoise quelconque. V Matériellement, le Suédois aime et pratique la solitude. Il suffit de voir ces villages où les maisons, loin de se resserrer, comme chez nous, autour de l'église, s'écartent, se placent le plus loin possiblCi les unes des autres comme si elles avaient peur de se toucher, pour comprendre que les habitants, bien au large sur leur vaste terre, aiment à vivre seuls et silencieux. Même les petits groupes contenus en chaque demeure sont souvent composés d'unités qui se juxtaposent sans se fondre. La pudeur des sentiments, la difficulté d'exprimer les impressions profondes est plus grande en Suède que partout ailleurs. Des centaines d'oeuvres littéraires ont pour sujet des malentendus sentimentaux entre gens vivant côte à côte : malentendus qu'une explication d'un quart d'heure eût dissipés et qui dureront toute la vie.. FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI 29|î De nombreux écrivains ont exprimé l'isolement de l'être muré en lui-même. Quelques-uns, comme Sôderberg, l'ont exprimé' avec douleur : ce Je crois, écrit-il en épigraphe de son drame Gertrud, au plaisir de la chair et à l'irrémédiable solitude de l'âme. » D'autres, au contraire (et cela est plus suédois):, ont exprimé la fierté, la volupté de la solitude. Le très grand poète qu'est Heidenstam, dans son poème intitulé : La Tentation du Tentateur,, met en présence le Sauveur et le Diable. Le Sauveur dit : « Tu as cherché un j our à me ce tenter sur la montagne. Tu m'as offert les- femec mes, les jardins, les pourpres de César... Je te « tenterai, moi, par des choses plus profondes. Si « tu te prosternes pour m'adorer, je te donnerai ce le désert. » Et le Diable reconnaît là supériorité d'une telle tentation : ce L'homme qui a eu le désert comme oreiller ce et qui a vécu dans le monde silencieux du pence seur en aura toujours le regret. Rien n'attire ce plus une âme virile que de pouvoir soupeseir ce lentement dans sa main les fruits de la vie, ce et dire : Rien que des bulles qui empruntent ce les couleurs du soleil !.., Rien ne vaut une seule ce heure sur la montagne de la pensée solitaire.,, ce Je te le dis, maître, tu es plus fort que moi ce comme tentateur !: » , 296 FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI Et quand ce n'est pas pour la pensée, pour la spéculation pure que, le Suédois se retire au désert, c'est pour la méditation religieuse ou morale. Et fût-il au milieu d'autres êtres, il est toujours au désert. Sans cesse, il médite sur l'ensemble de sa vie, la comparant, soit à l'idéal chrétien, soit à tout autre idéal élevé ou mesquin, humain ou inhumain, qu'il s'est créé suivant les clartés de son esprit et les puissances de son âme. -.'.,.. . Cet idéal est-il noble et altruiste? Il le 'poursuivra jusqu'au bout sans pitié pour lui-même. Est-il personnel et médiocre ? Il le poursuivra également sans pitié pour les'autres, et c'est le cas de Lovisa. Quant au cas de Lila, nous hésitons. L'idéal au nom duquel elle accepte le sacrifice volontaire de son mari, c'est son salut et celui de son fils. Mystique lui-même, Carstén avait décidé de sauver Lila, non seulement par amour pour elle, mais surtout ce pour purifier son propre coeur ». Il serait heureux de savoir que son sacrifice sauve deux âmes. Comme Lila, il trouverait sans doute qu' ce ici la mort ne signifie rien », Un dédain si déterminé de la matérialité des faits, une si grande absence de sensibilité directe, cause aux Latins que nous sommes, avec de la surprise, une sorte d'effroi. Et cet effroi paraît justifié, car une telle tour- FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI 297 nure d'esprit peut conduire à des duretés implacables, aux plus terribles égoïsmes. Et cependant,, dans l'ensemble des faits, le Suédois n'est nulle- , ment plus égoïste que le Latin. Les misères humaines trouvent même chez lui plus d'appui et de secours que dans bien des pays où la sensibilitédirecte est plus développée. . C'est que la valeur de bonté contenue dans un être se fait aussi bien jour dans la forme mystique que dans la forme humaine. Que ce soit au nom de Dieu, pour son propre salut, au nom. d'un idéal moral ou par pitié immédiate, l'être bon.donnera toujours sa somme de bonté. Ellefait seulement un détour en passant' par le ciel pour revenir sur terre. Et cela ne la diminue pas, puisqu'il s'en trouve en Suède autant et plus qu'ailleurs. Il est vrai que quelques êtres égoïstes,, hommes ou femmes, se faisant de leur bien-être ou de leurs satisfactions intellectuelles un idéal, les réclameront au nom de la justice, sous une forme dogmatique et tranchante qui nous irritera, particulièrement. Mais il y a de l'égoïsme partout, et il faut seulement s'habituer à une physionomie spéciale de ce vice universel. L'ensemble de la moralité, de la conscience suédoise est très élevé; nous le voyons par les livresdéjà nombreux que nous venons de parcourir, livres sortis des plumes les plus hardies de la génération féminine moderne. Aucun de ces ou-: 298 FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI vrages n'est licencieux; un grand nombre d'entre eux traite de problèmes raffinés dans le sentiment du devoir. Sans doute on y trouve rarement ce the milk of. human kindness ». La charité, la bonté semblent venir d'un principe plutôt que d'une impulsion. Mais qu'importe, après tout ? Cela est peut-être moins émouvant, mais cela est certainement plus solide. CHAPITRE VIII Écrivains de droite Écrivains sans parti Mathild'a Roos. — Baronne Akerhfelm. — Anna' Maria Roos: — Anna Wahlenberg. — Mme Gernandt-Clàine. I Bien que les auteurs étudiés dans les pages précédentes ne nous aient pas effrayés par leurs excès révolutionnaires, il existe cependant un groupe de femmes écrivains de tendances plus conservatrices. Dans ce groupe, Mme Matilda Roos a montré du talent. Un de ses livres, La Bruyère blanche (1), offre un tableau si vécu de l'existence d'une institutrice de village, montre si curieusement les épisodes de la lutte contre (1) Hvit Ijung. Stockholm 1907; 300 FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI l'alcoolisme dans une petite commune rurale, qu'il nous a semblé présenter, avec un certain intérêt littéraire, un grand intérêt de document pour la psychologie suédoise. La lutte contre l'alcool, on le sait, a excité dans les pays^scandinaves, ces vingt dernières années, de véritables passions. Le fléau dont nous souffrons si cruellement, a été enrayé là-bas avec une vigueur extrême ; et si l'on peut attribuer cette victoire aux lois draconiennes qui ont été promulguées, il faut reconnaître aussi que les sociétés privées, que l'action individuelle y a largement contribué. L'antiaïcoolisme a été un programme politique, philosophique, religieux ; il a eu ses fanatiques, ses héros et même ses martyrs, s'il,faut en croire l'auteur de La Bruyère Blanche. Car l'institutrice Gertrud, arrivant dans un village du Norrland;, subit, dès qu'elle commence sa propagande, une véritable persécution. Presque tous les hommes sont ivrognes ; l'institutrice Karin, à qui Gertrud a succédé, a été une nuit, dans sa maisonnette éloignée, violée et à demi assassinée par une troupe d'alcooliques. Et la scène affreusement brutale que l'auteur nous dépeint, s'était, paraît-il, plus d'une fois produite dans la réalité. Ce qui est remarquable (mais ne peut guère nous étonner), c'est que, devant un pareil fléau, beaucoup d'honnêtes gens hésitaient à combattre. Les institutrices ayant pris l'initiative de la pro~ FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI 30.1 pagande, ayant créé la société de ce La Bruyère, blanche », le vieux pasteur est hostile, trouvant ces jeunes femmes d'esprit trop moderne. Comme elles combattent au nom de l'absolutisaiie (de l'abstention totale de tout alcool), une foule d'hommes trouvent une pareille tyrannie odieuse. Le vieux Sven Lars, lisant l'annonce d'une conférence, ricane : , ce Les Pharisiens et les docteurs se remuent ! Les absolutistes, qui veulent écraser les hommes du fardeau de lois insupportables ! » .-....,. Et la femme, convaincue par son mari, soupire : ".".- ce Quelle douleur faudra-t-il que Dieu envoie pour briser cet orgueil si dur ? » Le vieux pasteur et le juge de paix, un verre de punch entre eux, parlent des mauvais signes des temps nouveaux. Gertrud reçoit d'horribles lettres anonymes ; le conseil de l'école la menace de révocation, sous prétexte qu'elle f ait de l'agitation, qu'elle n'est pas orthodoxe. ' Mais elle continue courageusement sa propagande parmi ses élèves. Aidée du jeune pasteur, elle les convertit, les enflamme, et le jour où, devenus grands, ils sont entrés au conseil municipal, est le jour du triomphe de Gertrud. Les municipalités, en Suède, ont le droit de fermer les cabarets, et un grand nombre d'entre elles ont usé de ce droit avec une rigueur extrême. 302 FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI Dans les cas que nous présente Mme Mathilda Roos, il s'agit d'édicter une prohibition absolue, il y a donc des intérêts alarmés, des colères allumées. Mais rien ne pourra résister à l'ardeur, à l'enthousiasme des propagandistes. La réunion dans laquelle on décide la fermeture du débit est un tableau des plus curieux. L'assemblée est très nombreuse. Bien des gens qui, depuis des années, ne s'étaient pas dérangés, sont venus aujourd'hui, réveillés par l'appel vigoureux de la jeunesse. Car c'est la jeunesse qui a mené le branle et, pendant la réunion qui sera son triomphe, ce les vieux, grognons et bourrus, sont réunis au cabaret ». Des paysans sont donc venus de très loin, de la montagne ou de la forêt : émut On. pouiraiib cependant) reprocher, à. ces deux volumes d'être moins des romans que^ des' note prises sur le; vif,, transcrites: et peu stylisées^ On pourrait trouver que les- personnages sont, des; silhouettes: vivement, découpées sous un- jiour, er-ui d'atelier; plutôt que des. êtres: humains; dans' leur, profondeur et leur complexité,, leur communication avec la vie ambiante. Oi» pourrait surtout objecter que ces peintures de misère, féminine causent une émotion directe plutôt, qu'une impres?- 328 FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI sion artistique, que l'auteur paraît plus préoccupé d'atteindre un but social que de faire une création littéraire... Il n'en est pas moins vrai que Pegg, Eva, Emmy, Baby nous amusent et nous touchent. Suivons-les à leur quatrième étage de la rue de Norrtull, où siège la Ligue des Employées de bureaux (1).. 1 Cette Ligue n'est pas, comme le titre pourrait le faire croire, une vaste et puissante association ! C'est un petit groupe composé de trois jeunes filles et d'une vieille qui mettent en commun, par économie, leurs maigres salaires, et se perchent dans deux petites pièces, tout en haut d'une grande maison de Stockholm. Quelle gaîté, malgré la misère, dans ce réduit resserré ! Quand Elisabeth arrive, un matin, à l'aube, prendre la place d'une associée qui s'est mariée, les jeunes filles en chemise de nuit, les cheveux en papillotes, se précipitent à sa rencontre, l'embrassent : (1) Nortullsligan. Stockholm 1909. En allemand : Die Liga der Kontorfraulein. Silddeutsche Monatshefte. Mûnclien. FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI 329 ce Et c'est un tapage de cris et de rires à ne pas entendre sa propre voix! » Ces enfants, élevés à la campagne, ou dans une province lointaine où . elles ont laissé des familles de bonne bourgeoisie, mais nombreuses et pauvres, ont été chassées vers la capitale par le besoin de gagner leur vie. Elles arrivent les joues roses, toutes simples et saines, et leur gaîté, leur belle fraîcheur physique et morale peut résister longtemps aux influences mauvaises. On montre à la nouvelle venue les richesses du logis : deux pièces louées à une vieille femme, mère d'un employé des douanes. Cet employé joue un rôle important dans les pensées des jeunes filles !.-.. On a «.part à la cuisine de la propriétaire », mais on n'y fait que du café et du thé; on mange dehors comme on peut. Guère de meubles, mais un encombrement de bibelots, des inscriptions comiques. ce Tout à coup Eva poussa un cri à réveiller les ce morts! ce — Grand Dieu, Eva ! Qu'est-il arrivé ? ce m'écriai-je. ce — L'employé des douanes ! ce Une porte avait claqué, et au même instant ce tes jeunes filles avaient disparu de la cuisine ce et du corridor, comme emportées par le vent... ce Seule Baby, qui était presque habillée, restait ce à surveiller la cafetière, tout en laçant ses 330' FEMMES; ÉCRIVAINS, D'AUJOURD'HUI ce souliers. Naturellement, ce n'était pas du tout ce l'employé, des douanes, mais uni accidentel elaee quement à'e porte qui avait effaré toute' la ce; volée- de moineaux. Presque aussitôt après, je ce; tressaillis à un nouveau.^ et perçant cri- db dé^- ce tresse: ' ce —- Enfants! il est huit heures; vingt!' ce Dans- le toliu-bohu qui suivit, je restai immole bile-et sans parole. C'était comme si un cyclone ce soufflait dans- 'la chambse. Les tasses- et ie. ee. sucrier' bondirent hors du tiroir, le pain et le ce. beurre; furent lancés; ho»s de- l'armoire ; Baifey ce arriva avec la cafetière débordante; et toutes 1 ce; beurrèrent leurs tertioes en-toute hâte et se, ce brûlèrent avec le café; tout en trouvant d'unece manière' in-compréhensiMe' Te temps dé; chereei cher leur chapeau et' dte l'e mettre' devant la' ce- glace. Peu après- huit heures- et d'emié, elles' sece précipitaient hors de la maison avec; des gants, ce; des' sacs et des paquets' dé' tartines dans les ce mains. Et ce fut un silence si soudain que- je ce. demeurai interdite. »! Ce ton alerte et gai se soutient pendant tout le volume. C'est seulement aux instants où la vie devient trop impitoyable que le- sourire grimace et dévient amer. Tant que les soucis' ne sont pas trop cuisants, tant qu'on peut se réunir autour de la fameuse cafetière et grignoter des tartines, on ne se plaint pas. FEMMES ÉCRIVAINS D’AUJOURD’HUI; 33E La jolie Baby quij. avec ses dix-huit ans et ses boucles blondes,, est l'enfant, gâtée de ses camarades, déclame des: poésies de Levertiin; ou de Heine; on la taquine, sur son grand- amour pour Remployé des douanes;,, et la jeunesse^ la; vaillance, une touchante affection; mutuelle, entretiennent malgré tout la gaîté. Voici Noël:, il n'y a pas, de misère, qui, tienne,,, il faudra, allumer: 'Uarbre et: se faire des cadeaux. Elisabeth, a,, de plus: que ses, amies,, une lourde charge:; son. petit frère Putte, que la Ligue a; adopté; avec; enthousiasme., ce — J'ai Putte par-dessus- le marché,, enfantsi vous n'avez pas cela!: ^-Nous voudrions bien Mavoirl crièrent-elles: d'une seule voix. Et il fallut qpe. j:'aille embrasser chacune d'ellea pour ce. mot-là.. » Il faudra donner à Putte un manteau d'hiver,:, et chaque; ligueuse a aussi ses petits, cadeaux, personnels., : ce — Je voudrais: bien, faire: des, cadeaux,, convenables, dit Baby plaintivement. Cette enfant a des, tendances dangereuses,, dit Eva, mais; à cause, de sa jeunesse il lui; sera pardonné. ce ...Et cependant, petite,, continue-t-elle, artifii-- ce, cieuse, l'employé des douanes;a déjà.ttaois' cousce sins de canapé, un bleu et deux; verts. 332 FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI « — Ce n'est pas vrai ! crié Baby indignée. Il ce n'en a qu'un vilain petit jaune ! ce :— Bien, bien, alors ! dîmes-nous toutes ence semble d'un air entendu et sérieux. , ce Et Baby, tout à coup, aurait voulu être à ce cent pieds sous terre. » Pour faire face aux frais de Noël, la Ligue, réunie en conseil, propose 1: de remplacer le beurre des tartines par de la margarine, d'acheter le pain rassis, de rester dans l'obscurité une partie de la soirée pour épargner le pétrole... Mais on préfère demander au bureau pendant tout le mois du travail supplémentaire à dix sous l'heure. Cela augmentera tes migraines, ces migraines dont toutes les employées souffrent à tel point qu'elles prennent sans cesse des cachets au salicyiate dont l'usage est fort dangereux. ce Dans une banque, les employées faisant courir toute la journée un garçon qui leur cherchait ces cachets chez le pharmacien, le patron, pour simplifier, en fit prendre un kilo d'un coup. » Bien explicables, ces migraines, chez des filles qui, gagnant par mois de 60 à 80 couronnes, se nourrissent exclusivement de thé et de café; de chocolat, de tartines et d'un peu de bière. Pas même de lait, il est cher et mauvais. Pour la viande, elle est inconnue! Après vingt-cinq ans de ce régime, on ne peut attendre que le sort d'Emmy: par un miracle FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI 333 d'énergie elle parvient à se tenir debout jusqu'au jour où elfe a droit à une pension. Mais, ce jour-là même, elle ne peut plus se lever, elle est portée à l'hôpital pour y mourir. Comment remédier à cette misère, obtenir de la riche Compagnie qui donne 10 0/0 à ses actionnaires, des salaires convenables pour les filles instruites qu'elle emploie? Quelques-unes proposent la grève, cela étonne: ce — Des demoiselles bien élevées ne se mettent pas en grève! —- Cela ne s'était pas vu, mais cela se verra, ce sont les temps nouveaux! » La grève, ébauchée, avorte piteusement. Il y a des trahisons, le patron est averti. Sur les vingtsept employées, sept, qui ont été loyales, sont mises à la porte, et bien vite remplacées; les"demandes affluent. Baby est parmi les sacrifiées, et, malgré le chagrin et le dévouement de ses compagnes, elle échouera dans une pâtisserie, employée à 45 couronnes! II Et pourtant cette misère matérielle, si dure qu'elle soit, n'est pas ce qu'il y a de pire dans la vie de ces jeunes filles. La pauvreté se sup- 334 FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI porte dans la jeunesse, et on songe, ;dans le petit grenier de da rue de Norrtull où Baby déclame des vers, à une Vie de iBohème .féminine suédoise, avec quelque chose de la gaîté de Mûrger. Seulement, ;les (héros ;de Miirger avaient Jans deuis {greniers des ;r.ayons «de soleil: c'étaient les sourires de Mimi et de .Musette, ils .-se- nourrisisaient mal, mais leur soif ^d'amour était assouvie, & pendant des semaines et des .mois, Août grisés de bonheur, ils oubliaient leurs maux. . Q/a'il en .est autrement ipour.ces -rpauvres petites, qui arrivent naïves et -itendres, avec -de fcaves -/coeurs tout p^êts ;à sse donnerO .Au premier (coup dïoeïï, UaEy sest amoureuse... iMais l'employé des ^douanes se moque d'elle. Au moment même où il lui fait la cour, il va se promener avec ^â:es filles. Baby le rencontre et se désespère. Le soir., dans ;son lit, elle îpfcure à gros .sanglots sa «première déception. Mt la vieille Emmy, sa voisine -de chambre, lui dit ce mot terrible : ce — Cela a été bien pire pour moi, Baby. Aucun ne m'a même trompée! » Si encore ces pauvres filles, vouées en grande majorité au célibat, pouvaient détourner leurs pensées de l'amour! Mais leur travail, sans aucun intérêt, laisse leurs idées -vagabondes, et une basse, une ignoble parodie d'amour se joue autour d'elles constamment. JEEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI 1335 Non seulement elles ne trouvent-pas le mari, ,ou- même l'amant ?sincèrement épris .aux ibras de qui elles tomberaient sans tdo.ute, mais les hommes parmi lesquels elles vivent les poursuivent .d'une igalanteEie brutale .qu'ils .n'essaient (pas .même de .masquer de -sentiment.: -;ce 'Moi, raconte sEva, j'.ai tété dans une quantité ce de tbuireaux, :etje crois «que c'est ftout juste ssi ce îi'en m .trouvé TM ;où le -chef n'essayât pas de ce m'emfeEasser dans le cou. iQuand j'ai pris la ;ee place où je .seuls, dans cette ;agence de iunë« ràiles, .j'espérais tout de même que là, en préce'.«née de de pleurer et de ïrire! Pauvre ee cher petit papa! S'il pouvait se douter! « — fl n'est ijamais venu te voir? ce — Si, l'été dernier. Il a été 'trouver le 'chef, ce s'informer s'il était satisfait de sa fille, et il a ce même prié le vieux d'être un peu paternel pour y tromper,, nous sommes-là dans une; Eglise-,, et,ce; qui; réunit ces femmes, c'est un sentiment religieux. Il a sa beauté: il est altruiste. La plupart de ces fidèles n'espèrent rien-pour ellesrmêmes. Elles obtiendront des résultats heureux: l'exemple voisin de la Norvège est là pour le démontrer. Mais . on voudrait que ces femmes dévouées: regardent sans mirage ce que le droit de suffrage pourra leur apporter : quelques relatives améliorations, et on s'afflige de leur, voir nourrir, des espérances si excessives. L.'exaltation de leur langage étonne: ce Nous ne sommes qu;!une,ini'zi@xité', disent-elles, mais ce sont, les minorités qui fraient, le chemin, si elles ont. le véritable amour !» Et un soir- où elles, ont remporté une victoire, ou elles ont,, après- une vive lutte;,, fait élire un député- favorable à leur cause,,, elles; se laissent aller à leurs rêves: FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI 343 ce On avait travaillé durement, mais on avait reçu son salaire. Maintenant^, dans la nuit,, tout était si clair,, si plein df espoir qu'il semblait qu'on n'avait qu'à étendre: la main; et que la; victoire y tomberait. Tous les coeurs étaient ouverts et eh-a.T cune laissait' entrevoie son petit rêve- personnel habituellement caché;. ...On avait tout laissé de; côté pour s'unir sur cette idée: de; vote;, maislons se: sentait maintenant '' si près du but; qu'on; pouvait: bien, parier un peu de. ce. qu'on forait de cette quantité de- temps- et d'énergie qui resterait à chacune, quand, le: suffrage: serait; conquis;: — Je: me reposerai, après-,, dit, Anna, GyUing;, je crois, que. je ferai des. dentelles., — J'irai; à la campagne; dit Jane Hornemann. Et Barbro (qui avait eu ce: soir-là; une querelle avec son amant) pensait douloureusement : — J'ai eu tort, j'ai menti, rien n'égale la douleur de perdre celui qu'on aime. Si tu reviens, je n'oublierai pas la leçon, je serai une petite femme très humble! ^ Jane: dit: — Nous, regretterons: ces; tempsrci;, où nous nous;, sommes toutes-unies dans; uni grand, but accessible.,., Quand nous: y penserons, plus; tard, nous; ne nous; souviendrions plus., des: fatigues, mais; de la-joie, dû;travail, de la camaKaderie,,de l'enthousiasme, de. la. douceur, d'espérer... » 344 FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI Espoir trop vaste en vérité, que le vote obtenu ne pourra satisfaire. 1 Cette religion nouvelle a un grave défaut: elle met sur terre ses promesses de Paradis et expose ainsi ses fidèles à en vérifier la réalisation. Quand les Suédoises voteront comme leurs voisines (et cela ne saurait tarder), elles verront sans doute que tous les maux moraux et sociaux si bien dépeints par Mlle Elin Wagner dans son premier volume, toutes les dôu- . leurs résultant de la nature fémininie et d'institutions séculaires ne disparaîtront pas par enchantement. Et on peut craindre alors de grandes mélancolies chez des femmes qui, n'ayant déjà qu'un bureau pour remplacer l'amour et le foyer, auront espéré, par surcroît, mettre le bulletin de vote à la place du Paradis. . V Formant avec Elin Wagner un contraste frappant, voici la débutante; Anna-Lenah Elgstrôm, dont le premier volume, Hôtes et Etrangers (1), publié l'été dernier, a causé une véritable sensation. Aucune des qualités d'Elin Wagner : clarté, netteté, observation rapide, dialogue vif et natu(1) natu(1) och frâmlingar. Stockholm 1911. FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI 345 rel, aucune de ces qualités que nous avons coutume d'appeler ce françaises » n'apparaît dans le livre nouveau. La phrase est longue et souvent obscure, les développements lourds, les répétitions fatigantes. Et cependant, de ce petit volume, lentement, . une émotion se dégage, et certains mots, tout à coup, ouvrent des profondeurs. Il est étrange d'écrire à vingt-cinq ans un pareil livre! Le renoncement, le sacrifice, une sorte de goût passionné de la mort — de la mort qui est un réveil — s'expriment à chaque page. Pourtant, le livre n'est pas triste, il est brûlant. Les; qualités d'observation existent ; non point d'observation sur les objets extérieurs, mais d'intuitive communication avec l'âme. On ne peut pas dire que Mlle Elgstrôm peigne de façon très vivante des caractères, des personnalités ; mais parfois un mot, un trait frappe d'une lueur vive. , Ce besoin du sacrifice, cet instinct profond et inexpliqué subsistant souvent, à leur insu, chez les êtres qui s'en croient le plus dénués, elle le montre d'une façon émouvante dans une nouvelle intitulée: Deux de la Croix-Rouge. Il ne manque à ce récit pour être très remarquable que de l'adresse de facture. C'est en Chine, dans un hôpital des missionnaires. L'année des Boxers est aux alentours, jetant l'épouvante. Tout le monde a fui; seuls le prêtre 346 FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI Dougald et la soeur Marie n'ont, pas voulu abandonner, les malades-; ils sont, restés et, avec eux, un journaliste convalescent, trop faible pour s-'eiiT fuir. Le prêtre et la soeur attendent la mort Le journaliste est assez-tranquille. Les- Boxers; qui font une guerre sainte, exigent des chrétiens 1 L'abjuration. Comme il n'a aucune- foi, il abjurera sans-peine, et pense; se: tirer ainsi facilement du danger; EL observe avec: étonnement le calme; souriant dû; prêtre; et de.dà sseuia: .His; sont des piétistes, ils. appartiennent à cette; secte triste qaii croit: à lac prédestination, absolue; :: ils; ne: savent donc même pas si le; martyre leur assurera le salut. Et', ils sont paisibles,, disant qui' « ils- sauront. demain; ce que. le: Seigneur a. décidé d'eux ». L'admiration, pour; c:es:hér.os; grandit pendant deux jours dans: l'âme; du jeune; homme. Les- Boxers arrivent;- l'a troupe furieuse, sanglante, envahit la:imaison: ce Abjurez! Abjurez! » ce Les- hurlements se refermaient sur nos têtes 356 FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI contents de révolutionner les villes de province françaises, allassent porter le désordre jusque dans les déserts du Vermland? A coup sûr leurs exploits, dans ces latitudes nordiques, revêtent une toute autre couleur que dans la ville de Châteauroux. Selma Lagerlof, enfant, dans la grande cuisine blanche au sol parsemé de brins de genévrier, écouta conter leurs aventures, déformées et amplifiées par l'imagination populaire. Longtemps elle ne songea pas écrire. Elle avait trente-deux ans quand elle se décida à faire paraître, pour la Noël de 1891, ce livre où les récits du peuple du, Vermland revêtaient une si éclatante poésie. Elle chanta les Cavaliers (1) : ce Ce ne sont pas de petits-maîtres jolis-coeurs, >".-. 'x ' , Mais si la conception dés caractères et des évés nenaents est souvent complexe, là composition, là concentration exigée par l'oeuvre d'art ne fait ja^ làiais défaut a ces contes ; ils sont même, : à ce point de vue, supérieurs aux grands romans, dont fet ligne d'ensemble dévie parfois, Touj ours, sur-: prenants, ils ne sont jamais illogiques. Quand on a longuement parcouru ces récits de toute nature ; quand on a été mille fois, avec la conteuse, de là terre au ciel, de la campagne à la ville, des temps anciens aux temps modernes, de la poésie à la réalité, on vient à se demander quelle impression d'ensemble, quelle vue générale de la vie ressort de cette oeuvre, considérable ? Et l'on dégagé enfui une idée constante, dont . chacun des récits ne semble qu'une illustration (i)_Osynliga Lttnker. Stockholm. Une traduction française de M, BeMessorl; a paru en 19J.0, 444 FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI nouvelle : la prééminence sans cesse accordée à la vie intérieure sur la vie extérieure, la confiance absolue en la toute-puissance de la bonne volonté. Ce n'est pas que l'auteur ignore le triomphe fréquent du mal et de la douleur, et ne nous les montre en des tableaux d'une vérité émouvante. Mais l'être de bonne volonté surmonte la douleur et le mal, et en tire du bien pour lui et pour les autres. Dédain des faits, importance exclusive de la vie de l'âme, ce trait, que nous avons déjà relevé chez d'autres auteurs suédois, prend, dans les contes de Selma Lagerlöf, un relief saisissant. Nulle part on ne le dégage mieux que dans le récit suivant .:,- Un ménage de pauvres paysans, chargés de sept enfants, a recueilli une vieille mendiante. Celle-ci méchante, déclare qu'elle porte le malheur avec elle, et qu'elle l'attirera sur eux. Ils la gardent pourtant et elle meurt dans leur maison. Peu après, les enfants sont pris d'une maladie étrange, et trois d'entre eux meurent successivement. Le père, fou de douleur, est pris d'une angoisse terrible : serait-il vrai qu'une bonne action ait pu attirer le malheur ? Est-ce donc le mal qui est tout-puissant ? Désespéré, il fuit sa maison, s'en va chercher à travers le monde la solution de la question redoutable. Après son départ, deux autres enfants et la mère meurent.. Cette dernière a gardé son inébranlable foi : ce Sûrement, dit-elle en mourant, il n'y, a pas là de malédiction ; une FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI 445 bonne action ne peut causer de mal... la mort n'est rien pour qui a une bonne conscience. » Les deux plus jeunes enfants restent tout seuls au monde. Sérieux et travailleurs, ils se font berger et bergère, gagnent leur vie et économisent avec soin. Un soir, quelqu'un vient faire au village une conférence sur la tuberculose, qui ravageait alors les campagnes de Suède. Les enfants écoutent, se 'souviennent, comprennent : . — Mais, c'est de ee mal-là que sont morts nos parents ! On 1 aurait pu l'éviter si on avait su. C'est donc la faute des hommes et non pas une malédiction ! Et ils éprouvent une grande joie, courent à travers le monde rechercher leur père à qui, ils en s'ont certains, cette nouvelle rendra la paix. Car il ne s'agit pas de vivre ou de mourir, mais de pouvoir croire à la justice. Devant un idéalisme si déterminé, pour lequel la vie (et même la vie des êtres aimés) compte pour si peu de chose, le sacrifice des biens matériels doit paraître facile. L'auteur sait pourtant qu'il rencontre en bien des âmes une vive résistance, et dans un de ses plus beaux contes : Le Tombeau du Géant (1), elle pose, de façon infiniment originale, la question si suédoise du sacrifice. Le récit est plein de couleur. Il a pour cadre la forêt, et rien n'inspire mieux la fantaisie de la conteuse. Elle (1) Osynîiga Lànker. 446 FEMMES ÉCRIVAINS B'AUJOURD'HUI connaît merveilleusement sa forêt ; elle y a situé ses plus frappantes, histoires : Elle pourrait dire avec Eva Gunnarsdotter : . - ce. Celui qui habite la plaine avec le grand ciel ce découvert n'a pas l'entendement des Choses terce riMes comme nous qui vivons seuls dans l'obs« curité des bois (1). » Elle connaît le charme des clairières, qui s'ouvrent tout à coup, joyeuses, aux yeux longuement attristés par l'ombre. Le début du Tornbeàu du Géant (2), dans une de ces clairières, est Un tableau achevé : ' ' ; ce C'était l'époque où les bruyères fleurissent ce toutes ' rouges, Ces petites plantes 'Sont piqu ance tes et dures, n'ont ni beauté de forme ni parce fum ; ce qui en fait des fleurs, c'est seulement ce leur couleur ; elles sont d'Un rouge si éclace tant!... Grâce à elles, la joie bénie reposait ce sur le champ maigre, qu'elles couvraient de « leur manteau de pourpre jusqu'à la lisière de ce là forêt. ' « Dans cette clairière. S'élevaient quelques très ce vieux tombeaux à demi renversés. Sous le plus ce grand, ' reposait un vieux roi nommé Atlès; ce sous les autres., quelques-uns de ses compacc gnons tombés là dans une grande bataille... ce Mais il y avait si longtemps, si longtemps de (1) Jérusalem en balëcarlie. (2) Osynliga Lànker. FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI 447 ce cela, que toute idée de peur ou de respect de , ce la mort avait disparu de ce lieus,, » Cependant, lé soir, au crépuscule, les grosses pierres qui recouvrent le tombeau prennent parfois la figure d'un guerrier assis, incarnation de là fpp&eLÉiatéri#le,'brutale, .et/pûi'Ssàenite,. Ce matin-là^ il n'apparaît pas, et la clairière est toute joyeuse; , ce Là matinée était étincelânte, chaude de soleil, ce fraîche de rosée. Un petit chasseur maigre et ce fatigué, qui avait peiné depuis l'aube, s'était ce jeté sur la bruyère derrière la temibe du roi ce AtlèSi H avait avancé son chapeau sur ses ce yeux et dormait, là tête posée sur sa carnas.Cc sièré, d'où sortaient les longues oreilles d'un ce lièvre et les plumes tordues d'un faisan„l ce Une jeune fille, portant à la main un petit paee quet qui contenait son repas, sortit du bois. ce En arrivant sur la partie plate qui se trouvait eé entre les tombes, elle se,dit: ce Quel bon ence droit se serait pour la danse! ». ce Elle voulut tout de suite en faire l'essai, jeta et son paquet dans la bruyère^ et se croyant toute ce seule, se mit à danser. Elle avait ramassé une ce vieille racine de sapin et tournait en là tenant ce dans ses bras... Elle dansait avec tant d'ardeur ce que des petites mottes de terré noire toùrbil- 448 FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI ce lonnaient autour d'elle... Sa jupe, en tournant, ce frôlait la bruyère, une nuée de petits papilT ce Ions s'en échappaient, blancs comme de Tarée gent... On eût dit que la mer de bruyère rouge ce faisait jaillir cette écume blanche,-.. ce Dans le champ, les cigales résonnaient comme ce des cordes de harpe... Mais bientôt cette musicc que ne suffit pas à la danseuse, et d'une voix ce assez aigre elle commença à fredonner un air. ce Ce chant éveilla le chasseur : il se souleva sur ce le coude, et à moitié endormi il regarda la ce jeune fille. ce Elle était grande et de lourde structure, son ce visage n'était pas beau, sa danse n'était pas ce légère... Elle avait de larges joues très rouges, ce des cheveux noirs, une stature plantureuse, ce des mouvements pleins de vigueur. Ses vêteec ments étaient pauvres, mais de couleurs vives, ce garnis de galons de laine bariolés... D'autres ce jeunes filles ressemblent à des roses ou à des ce lis, celle-ci ressemblait à la bruyère, forte, ce rude, joyeuse. ce Le chasseur la regarda avec plaisir et se mit ce à rire, si bien que sa bouche s'ouvrit d'une ce oreille à l'autre. Mais tout à coup elle le vit ce et resta immobile un instant : ce Tu dois me croire folle! dit-elle enfin. ce Elle voulait le prier de se taire sur ce qu'il FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI 449 ce avait vu, car elle ne se souciait pas qu'on race contât au village qu'on l'avait vue dansant ce avec une racine de sapin... Mais lui était un ce homme si timide que pas un mot ne vint à ses ce lèvres, et qu'il ne sut rien faire de mieux que ce de s'enfuir. Son chapeau fut bien vite sur sa ce tête, sa carnassière sur son dos et il se mit à ce courir. ce Elle ramassa son paquet et le poursuivit. Il ce était petit, de mouvements raides, et visibleec ment avait peu de forces... C'était un enfant te de la faim et des soucis, décharné, d'une pâte leur jaunâtre... Elle l'eût bientôt rattrapé et ce saisit à pleines mains sa gibecière, il fallût ce bien qu'il s'arrêtât pour la défendre... Ils lutec tèrent et elle le jeta sur le sol. ce Maintenant, ce il ne le dira à personne! pensa-t-elle. Et elle ce fut contente. Mais au même moment elle eut ce peur, car lorsqu'il fut par terre il parut tout ce pâle, et ses yeux tournèrent dans leur orbite. « Il ne s'était pourtant pas blessé, c'était l'émo« tion qu'il n'avait pu supporter. Jamais des ce sentiments si forts et si contradictoires ce n'avaient agité ce solitaire habitant des bois, ce Cette jeune fille le réjouissait, il était fâché, ce honteux, et pourtant fier de la voir si forte, ce II était tout ahuri de tout cela! » La vigoureuse Jofrid le relève, le soigne et se prend pour lui d'une affection maternelle. Sans 29 450 FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI doute, le pauvre Tonne ne réalise pas son idéal, et elle n'avait guère songé ce à s'offrir un si chétif petit mari ». Mais quand elle lui voit construire, avec mille soins et mille peines, à la place même où elle avait dansé, une cabane qu'il n'ose lui demander de venir habiter, elle se sent très émue. C'est bien misérable, mais ce serait pourtant ce qu'elle a toujours rêvé, elle, pauvre servante : un logïs bien à 'elle 1 Elle né peut se tenir d'y entrer en l'absence de Tonne, et, voyant la chambre si nue, de courir chercher -de belles brode-; ries qu'elle a faites et de lés suspendre aux murs, l'oint u'autre aveu que ee "geste gracieux, il suffit à ces gens avares de paroles. On se marie et c'est un heureux: ménage. Jofrid est laborieuse, les affaires prospèrent, on acquiert quelques chèvres.- Tonne, réchauffé par l'affection conjugale, dévient plus vigoureux ; son esprit se -développe, et cet heureux changement est pour Jofrid une joie quotidienne. Ils n'ont point d'enfants, et cela vaut mieux ainsi. ce Les femmes ont l'habitude de trouver la^jOie « de leur coeur à s'occuper des enfants, mais ce Jofrid avait un mari pour lequel, sous bien des ce rapports, elle avait les soucis d'une mère ; elle « n'éprouvait donc pas le besoin de se dévouer « encore pour d'autres. » Par malheur, un voisin, laboureur resté veuf avec Un Unique enfant, s'avise de confier son FEMMES ÉCRIVAINS DAUJOURD'HUI 4M petit, âgé de quelques mois, à ce ménage ami, très estimé dans le pays. Jofrid prend l'enfant, pensant y trouver quelque bénéfice. On 1 ne le traite pas mal ; mais c'est un petit être délicat qui aurait besoin de l'oeil tendre et perspicace d'une mère ; il est négligé ; ses premiers malaises ne sont pas compris. Tl meurt au bout d'un an, et de cette mort Jofrid ne se croit pas coupable. Elle est pourtant troublée et, le jour de l'enterrement, les conversations des bonnes femmes tout à coup la frappent au coeur. Elles parlent de leurs enfants, et avec quelle tendresse inquiète ! Comme elles veillent et se fatiguent au moindre malaise ! comme elles se privent pour ces petits, rois dans leur maison et dans leur coeur !... C'était cela qu'il fallait à l'enfant : si on l'eût aimé ainsi, il ne serait pas mort ! .Le remords entre dans l'âme de la femme, et surtout dans la conscience plus fine et plus inquiète de Tonne ; ils croient entendre la nuit les pas légers du baby rôder dans la maison, ils languissent et s'affolent. Alors l'idée chrétienne de l'expiation s'impose à l'esprit de Tonne. Il veut donner sa cabane et tout ce qu'il possède au père de l'enfant mort, et servir chez lui comme valet. Mais la femme ne consent pas à cela. Elle s'est habituée au bien-être, à la liberté, elle a sa 452 FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI maison à elle, elle est estimée et respectée, elle ne veut pas tout sacrifier!... D'ailleurs, pourquoi ?.Ils ne sont pas coupables ! Et, contre son sentiment secret, elle raille les scrupules de Tonne... Mais la nuit, les pas légers du petit fantôme viennent lui imposer silence. La lutte des deux consciences est analysée avec une pénétrante émotion. C'est Tonne, le faible, le simple, qui a la plus haute idée du devoir ; Jofrid, trop attachée aux biens matériels, ne s'élève pas jusqu'à lui. - Le vieux roi de pierre, le géant Atlès, dont le tombeau est devant sa maison, lui apparaît Un soir et semble encourager sa résistance : ce Jouis ce sans scrupule, comme je l'ai fait moi-même, ce semble-t-il lui dire ». Et Jofrid sent qu'elle a tort- de laisser le vieux roi de pierre régner sur son coeur, mais elle ne parvient pas à l'en chasser. '-.,' Elle devra céder pourtant, consentir au sacrifice, car Tonne dépérit, redevient l'être misérable qu'il était avant son mariage. Mais Jofrid mourra de cet effort qui lui est imposé, auquel elle ne peut accorder son consentement profond. Avant de quitter sa maison, elle a voulu donner une fête d'adieu. On a dansé dans la cabane, puis, s'y trouvant à l'étroit, on a ouvert la porte, et au clair de lune, sur la prairie glacée, la farandole, entraînant Jofrid désespérée, a décrit FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI 453 de grands cercles autour des vieux tombeaux... Ce tableau, qui fait pendant à celui du début, encadre le conte avec un art remarquable. Pendant cette danse effrénée, Jofrid, entraînée par ses vigoureux danseurs, bute, tombe, et se fend la tête sur le tombeau du vieux géant. VI 'Dans tous les récits que nous venons de citer, l'intérêt résidait sans doute dans l'analyse des sentiments, mais la couleur extérieure, le cadre y tenait une place importante. Dans le récit que nous allons feuilleter : VEpitaphe (1), tout le drame est contenu dans une seule âme, et il est si serré, d'un art si classique, et cependant si imprégné de la plus poignante émotion humaine, que la conteuse nous semble s'élever ici au-dessus d'elle-même. Le récit n'a que quelques pages. Le petit cimetière du village de Lerum dort sous la neige; les tombes y sont modestes. Seul, un monument orgueilleux domine les autres, et on y lit, (1) Osynliga Lanker. ... 454 FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI en lettres d'or le nom de la plus notable famille du pays : celle du maître de forges Sanders. Or, un enfant vient de mourir chez le riche industriel; on doit l'enterrer le lendemain. La mère, Ebba Sanders, pleure, assise à la fenêtre de la salle à manger. Le mari, qui achève son déjeuner, se lève et dit : ce — Je ne peux supporter que cet enfant soit ce enterré dans mon tombeau. Mon père et ma ce mère y sont; sur la pierre il y a le nom de ce Sanders. Je ne veux pas que l'enfant repose ce là. » - La femme se lève, tremblante. Il y a quelques années elle a trompé son mari : brève folie suivie des plus cuisants remords. Il a pardonné, il a dit: ce Tu n'étais pas dans ton bon sens. » Et depuis des années jamais un mot là-dessus n'a été échangé entre les époux'. Mais aujourd'hui, elle le sent, la décision de Sanders est inébranlable : I — Ah! je le savais bien, dit-elle avec terreur, que tu te vengerais un jour. — Je ne me venge pas, dit-il. Seulement je ne peux pas supporter cela. ce Elle se mit à trembler et grelotter, comme « saisie par un grand froid: ce — Pourquoi ne m'as-tu pas chassée? Pource quoi m'as-tu promis que tu me pardonnerais? FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI 455 ce Maintenant on devinera tout, je serai une ce femme perdue! ce —- J'ai pensé à cela aussi. Mais je ne peux ce pas. Explique les choses, de ton mieux,, je. me ce tairai seulement. » Et, jusqu'à la cérémonie du lendemain, l'angoisse de la jeune femme est si forte qu'elle étouffe entièrement la douleur maternelle. Que dira-t-on demain, quand le .cortège,, conduit par Sanders, tournera au lieu de se rendre tout droit au grand monument de famille? Quel murmure d'étonnement: circulera de rang en rang ! On dira tout bas: ce C'était donc vrai, ces bruits qui autrefois avaient vaguement couru! » Ce sera inutilement que, pour racheter sa faute,, pour reconquérir son mari, elle aura pendant de longues années travaillé comme une servante a la, cuisine, à la chambre à tisser,.. Quelques secondes seulement, et elle sera jugée, elle sera perdue ! Au moment où le cortège part, elle, est comme un condamné qu'on mène au supplice, et sa terreur est si forte qu'elle écrase son mouchoir sur sa bouche pour ne pas pousser de grands cris. Mais... comment n'y avaient-ils pas pensé au milieu de leur trouble? La neige est trop épaisse, la terre trop glacée, on ne peut faire d'inhumations en ce moment. Le cercueil sera seulement déposé dans la petite chapelle des morts, on y 456 FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI dira les prières, et plus tard, au dégel, quand le printemps s'annoncera, sans cortège ni cérémonies, on fera l'enterrement. Et nul ne saura rien,_ on pourra croire l'enfant dans le grand tombeau. Ebba est sauvée, sauvée ! et elle éclate en violents sanglots. N -- - " Gomme elle a du chagrin! disent ses voisines. - ce. Mais elle le sait bien, elle, qu'elle pleure ce comme quelqu'un qui vient d'échapper au dance ger de mort. » Deux jours se passent. Au crépuscule, Ebba est assise à sa place ordinaire, à la fenêtre dé la salle à manger. C'était l'heure où l'enfant venait jouer près d'elle ; elle pense à lui, elle le revoit. Chaque soir, à la même heure, la petite vision se précise, et Ebba songe tout à coup que jamais du vivant de l'enfant elle n'avait pensé à lui ainsi. Son esprit était alors absorbé par cet unique désir : reconquérir son mari. L'enfant, pour ce dernier, n'était pas agréabje à voir, il fallait-.-l'éloigner-un-peu... Qui sait si le petit n'a pas quelquefois senti qu'il était une charge? Elle se souvient maintenant comment ses yeux parfois priaient et mendiaient... Il était rusé, quoique si petit, et elle sent maintenant qu'il mettait toute sa ruse à conquérir un peu de son amour. Il était beau, non pas comme'les enfants roses et joufflus, car il était délicat et pâle, mais d'une plus merveilleuse beauté. FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI 457 Et l'enfant disparu conquiert lentement cette mère dont il n'avait pu, de son vivant, posséder le coeur. Et dans des âmes comme l'es nôtres, sans doute , un tel sentiment se préciserait en remords. Il n'en est pas ainsi. Nous l'avons vu déjà, dans ces âmes mystiques le fait brutal de la mort n'est pas ce qu'ilest pour nous. Sans doute Ebba regrette de n'avoir pas rendu l'enfant plus neureux-: C'est pour cela qu'il m'a été enlevé, se dît-elle. ce Mais .-sa douleur prend rarement cette forme, ce Elle souhaite bien que l'enfant vive, mais il ne ce serait jamais plus près d'elle qu'il né l'est, ce; Elle ressuscite tout son passé, elle vit dans; ce cette courte vie qu'elle pénètre si profondéce ment aujourd'hui. Cette douleur lui est une ce richesse. » Et peu à peu, dans cette âme ennoblie, les soucis qui avaient jusqu'alors dominé l'existence apparaissent puérils et vains. Tout s'efface à ses yeux, elle n'a plus à aimer que son enfant au monde, elle veut qu'il ait une tombe sur laquelle, sans crainte ni mensonge, elle pourra aller prier. Aussi quand le printemps vient, quand la neige fond et découvre le cimetière, on voit sur un tombeau isolé une croix; le nom d'Ebba Sanders y est écrit en lettres blanches, et on peut lire au-dessous : ce Ici repose mon enfant. » 458 FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI VII Le souffle d'idéalisme N qui animé toute son oeuvre,; Selma Lagerlof l'a incarné en certains personnages, trop beaux sans doute pour être d'une stricte vérité individuelle, mais qu'où sent vrais quand même eu tant) qu'images synthétiques des tendances profondes d'un peuplé;:- Dans La Fille dn Grand Mardis, la figure; de Melga ^est dé ce nombre; Elle est trop! parfaite^ et pourtant elle n'a pas: la froideur d'une artiffl-: cielle beauté; elle est vivante, parce que lest traits qui ont servi à la former se sont trouvés, épars; sans doute, mais réels, dans l'âme de quelquespaysans et paysannes de Suède. Là le conflit se présente immédiat, tragique entre la vie maté-/ rielle/ et la vie morale, et la pauvre paysanne: qui ai-à^ choisir entre le pain qui assurera la vie de son enfant, et le salut de l'âme d'un homme, n'hésitera pas un instant. Il faut citer cette admirable scène (1). Elle se passe devant un petit tribunal de province. Un juge, fatigué d'avoir vu tout le jour passer sous ses yeux la méchanceté humaine, ap(1.) ap(1.) Livre des Légendes, traduit en français par 'Fritiof Palmér. Paris 1911. . . - FEMMES ÉCRIVAINS D'AUJOURD'HUI 459 pelle une cause nouvelle. Une pauvre fille, séduite par un homme marié, réclame une pension alimentaire pour pouvoir élever son enfant. L'homme soutient que cette fille, qui a été quelque temps à son; service, n'a jamais: été sa maîtresse, et la loi permet, sur ce point, d'accepter son serment. ce La demanderesse est très jiêune et paraît ce, toute effarouchée, Elie> pleuré par timidité^ et ; % ce essuie péniblement ses larmes à l'aide drun « mouchoir entortillé; ce Elle porte un costume d'aspect: presque neuf, ce mais qui lui va si mal qu'elle semble l'avoir ce emprunté pour se présenter décemment devant « le juge. ce Quant au défendeur, on voit: tout; de suite « que c'est un homme aisé. Il paraît âgé d'une ce quarantaine d'années' et il a une figure encrée glque. A le voir là devant, le tribunal,: on cohs(c- tate qu'il a une attitude irréprochable. ce Aussitôt après la lecture du procès-verbal, le ce juge, s'adressant au défendeur, lui demande ce s'il persiste dans son refus, et s'il est disposé ce à prêter serment. ce En réponse à ces questions, le défendeur ce prononce sans hésitation un oui énergique. ce En l'entendant prononcer ce oui, la jeune ce fille a un sursaut. Elle fait quelques: pas vers te le tribunal, comme si elle avait quelque chose le Siècle de / l'enfant, les Lignes de la vie, etc. —Théorie / du bonheur,. —...-' - . / ,' CHAPITRE V, ,,.,,...,.'..: ../.,./ . . ,214 Anthologie d'Ellen ^ey.. --r Ses ozuynçs de critique..,— Alrnqpist. — Aiç $Pr4 $u. lqe Y.at- '--. , tern. CHAPITRE VI. — Hilma Angered §trandberg . . 234 Une méconnue. —Une vie douloureuse. — Nou- . ~ ' . velles paysannes. — Le Nouveau Monde. —- Idéalisme et égoïsme. CHAPITRE, VIL — Ecrivainsijfe gajiche ... . . 263 4ifh^ Açvëb. ^~ I^%MH. &M§r~^ 4-WW. Dran- ' - ting.- Marikq Sfyemstedt. TABLE DES MATIÈRES 487 ... Pages CHAPITRE VIII. —-Ecrivains"de droite. — Ecri- (! : vains sans parti. . . .'.. .-. . . ., . . . . .' 299 -'. Mathilda Roos. —- Baronne Akerhjeim, — Anna-Maria Roôs. — AnnaWaMenberg, —- .,' ' Mme Ger'nandt-Claine. CHAPITRE IX. —- Les deux Benjamines . .... 326 Elin Wagner. — Anna Lena El'gstrom. CHAPITRE X, — Selïaa Lagerlof . . . ...... 352^ CHAPITRE XI, — Selma Lagerlof (Suite). . . : .. 448 ; y -Récifs italiens,— ^ils Holgersson,.—Les contes. — Conclusion. '.. .-''.- APPENDICE . . ,''-. '. . . ........... . 469 Paris. — Imp. G. CxAMBART. & Cie, 52, avenue du Maine.