Les Théatres - Théâtre de l'Œuvre : L'Ecole de l'Idéal, trois actes, en vers, par M. P. Vérola. Le Petit Eyolf, trois actes, en prose, de M. Ibsen. La représentation de l'OEuvre a été des plus curieuses. Voici l'histoire. Un poète, M. Vérola, donnait une pièce en vers, l'Ecole de l'Idéal. Il paraît - l'histoire n'est pas un mystère - que, pour être joué, il avait pris à son compte les frais de la soirée et permis ainsi qu'on montât le dernier drame de M. Ibsen. Ceci eût pu désarmer les âmes les plus farouches mais la religion d'Ibsen comme toutes les religions du Nord est volontiers intolérante. La pièce de M. Vérola touchait à l'Ecole du Bon Sens et rappelait - horreur ! - Gabrielle. C'est l'aventure d'un certain Adrien qui, se croyant artiste et comme tel incapable de supporter la vie de ménage, laisse femme et enfants pour aller courir les pays excentriques, à la façon de M. Saint-Saëns. Pendant ce temps, ses affaires vont mal et il fait faillite. Quand il revient, il croit que la femme qu'il aime est devenue la maîtresse de son ami Leclos. Mais si celui-ci a fait la cour à Jeanne, ce fut pour l'éprouver et il ne lui donna que de bons conseils. Aussi, tout s'arrange et le déserteur retrouve au foyer, où il ne voulait rentrer que pour y mourir, le bonheur qu'il n'avait pas su apprécier et ses dettes payées par sa femme. Histoire simple et morale, j'en conviens. Mais ne croyez pas que M. Vérola n'ait pas fait de concessions à l'esprit nouveau ! Il lui avait accordé des vers faux, des rimes sans l'ortographe, des mots coupés en deux, des hiatus pleines mains et nombre d'images baroquement romantiques, surgissant au milieu d'un discours qui semblait, par moment, un hommage rendu à la mémoire de Camille Doucet ! Rien n'y a fait. On a commencé par murmurer, puis on a rigolé. Et enfin ce fut du délire. J'avais dans mes alentours un Ibsénien, chevelu comme Odin et agitant une canne qui semblait un sapin déraciné dans une forêt norvégienne, très inquiétant, qui menait la fête avec un entrain formidable. Les pauvres acteurs, sans sourciller, ont joué comme ils ont pu, et M. Vérola a été égorgé devant l'autel des dieux sanguinaires du Nord. Il paya, fut joué et sifflé. On me permettra de le plaindre et même de trouver qu'on a été quelque peu trop loin ! – Puis, la cérémonie religieuse a commencé - je veux dire on a joué le Petit Eyolf au milieu d'un pieux silence. Dans les loges où, tantôt, éclataient les rires aigus, on eût entendu voler une mouche au-dessus des têtes de sphinx des dames pâles à bandeaux plats. Et, sous l'œil de l'Ibsénien redoutable à la canne de géant, ayant laissé tomber ma lorgnette, je n'ai pas osé la ramasser... Tant d'attention n'eût pas suffi peut-être, si dans le silence du cabinet, le volume de M. Prozor sous les yeux, je n'avais pioché sévèrement le Petit Eyolf, ce qui me permet de le raconter. Alfred Allmers est un professeur, enrichi par son mariage avec la belle Rita, amoureuse de son allure de pasteur protestant. Il rentre, après un voyage, dans son calme intérieur où, jusqu'ici, il avait travaillé à un livre sur « là responsabilité humaine ». Il y retrouve, avec sa femme, sa demi-sœur Asta et son fils Eyolf. Celui-ci est boiteux. On nous explique plus tard que son père et sa mère, très amoureux, le laissèrent un jour sur une table, endormi, et allèrent dans une autre pièce. L'enfant tomba et se cassa la jambe, ce qui mit un remords au cœur da son père. Ce remords s'est développé dans la solitude du voyage et Alfred a résolu désormais de tout laisser, son livre même, pour ne s'occuper que de son fils. Le père doit succéder à l'amoureux. Ceci ne fait pas l'affaire de Rita. Son mari, c'est elle qui nous le raconte, l'a laissée, au retour, se coucher et, après lui avoir parlé de l'enfant, s'est endormi, peu empressé. Maintenant que je suis loin de mon voisin ibsénien, je puis bien avouer que c'est là une situation de vaudeville ! Rita la prend au tragique et, dans une crise qui touche à l'hystérie et appelle la douche, elle se déclare jalouse et du travail de son mari, et de sa sœur, et de son fils même, dont, dans un élan de blasphème, elle regrette la naissance et souhaite la mort. Elle veut « son homme » tout entier. Cette Norvégienne est une gaillarde. Et voici que son vœu sacrilège est exaucé. On entend des cris. Eyolf s'est noyé dans la mer, au pied de la maison. Mais comment? Nous avons vu tantôt entrer dans le salon mal gardé une vieille Femme, à allure de sorcière, dite : la femme aux rats. Son industrie consiste à détruire les rats dans les maisons. Mais elle ne s'y prend pas comme le taupier de George Sand avec sa longue épée. Elle fait le tour de la maison avec son chien Ratonneau, qu'on nous montre en son cabas, joue de la guimbarde, et les rats fascinés la suivent. Elle monte en barque : ils vont derrière elle et se noient. Le pouvoir de la Mort aux rats s'étend aux hommes : et c'est cette sirène sur le retour qui a entraîné Eyolf à la mer. Après cette exposition bizarre, la pièce se développe avec une assez grande monotonie. Alfred apprend que sa sœur Asta n'est pas sa sœur par le sang. Ceci nous rassure sur l'amour mystique qu'elle ressentait pour lui, et qui l'empêchait de se marier avec l'ingénieur Borgheim, son prétendant. Alfred déclare à Rita que son amour a « évolué », devenant chaste. Enfin, pour conclure, après une dernière révolte de Rita, Asta épouse Borgheim, et Alfred et sa femme vont se consacrer, en mémoire du petit Eyolf, à rendre heureux les enfants de leur domaine. Je ne suis pas assez niais - ignorant d'ailleurs les partis pris d'école – pour ne pas accorder que cette œuvre cause une impression étrange, par moments un trouble et une émotion qui en font une œuvre d'art et de valeur. Mais, si on la prend au pied de la lettre, la fable est banale, touche par instants au ridicule et reste profondément obscure. Il faut donc admettre que son mérite est « symbolique ». Son symbolisme, aidé de la préface du traducteur, je l'ai débrouillé. Alfred, c'est l'homme allant vers l'idéal, en passant par la passion charnelle (Rita), dont l'influence est égoïste et mauvaise, l'amour mystique (Asta), le devoir envers la race (Eyolf), l'altruisme pur, enfin (le bonheur donné aux petits pêcheurs). La femme aux rats est la fatalité, entraînant les hommes, (comme les rats à la mer), et la Providence, délivrant par la mort les petits, les malheureux, que la société accable et hait. Mais qui diable comprendra ceci, s'il n'a lu les Symboliques et travaillé Kreutzer ? J'imagine que bien des enthousiastes en sont au vieux mot Credo quia OBSCURUM ! Et je persiste à penser qu'une œuvre que la foule ne peut entendre reste, par l'expression au moins, inférieure. M. Lugné-Poé, qui joue Alfred, a lu, dans le texte ibsenien, qu'il fallait parler d'une voix « mate ». Il joue en somnambule et son ton fait toujours croire qu'il dit des choses profondes, cachées derrière les paroles banales qu'il prononce. Cet artifice, où il excelle, est pour beaucoup dans l'impression produite. Madame Zapalska donne au personnage de la Femme aux rats - un Gavarni tragique - un bon aspect. Mademoiselle Morre représente avec grâce le pauvre enfant estropié. Mademoiselle Mellot est une Rita aux ardeurs et aux ondulations espagnoles, comme son nom. Enfin M. Ravet est un ingénieur très convenable, homme laborieux et pratique, le plus sain de la bande, un vrai ingénieur de monsieur Legouvé! Mais que fera-t-il avec l'étrange Asta, si troublante sous les traits de mademoiselle Desprès ? Voir Hadda Gabler. Henry Fouquier.